Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Luther (Martin) (suite)

La famille luthérienne est regroupée au sein de la Fédération luthérienne mondiale, qui est membre du Conseil œcuménique des Églises. Créée en 1947, comptant 78 Églises et 54 millions de membres, cette fédération est une plate-forme de dialogue et de recherches n’ayant aucune autorité sur les Églises membres. Toutefois, elle organise de nombreux « services » communs, tant auprès des réfugiés que dans certaines situations de détresse, et dispose à Addis-Abeba d’un émetteur international, « Radio voix de l’Évangile », qui couvre une grande partie de l’Afrique et de l’Asie.

Malgré leur extrême diversité, les communautés luthériennes sont caractérisées par une impressionnante unité.

En théologie, le Livre de concorde, composé des trois « symboles anciens », de la Confession d’Augsbourg, de l’Apologie, des deux Catéchismes de Luther et des articles de Smalkalde, reste la référence de base ; les formules sola gratia, sola fide demeurent le centre de la prédication, de l’enseignement, de la piété.

En ce qui concerne la piété, il n’est pas douteux que la référence permanente à l’expérience spirituelle de Martin Luther accentue, parfois de façon très sensible, l’aspect d’individualisme et d’indifférence au monde, que le piétisme a cristallisé de façon particulièrement tenace.

Dans le domaine des arts et de la culture, le luthéranisme a joué et continue à jouer un rôle de premier plan depuis que Dürer* et Cranach* l’Ancien en peinture, J.-S. Bach en musique ont voulu, par toute leur œuvre, accompagner et illustrer le message de la Réforme.

Sur le plan politique, les fortes Églises luthériennes ne voient pas d’inconvénients aux concordats ou règlements divers qui organisent leurs rapports avec l’État. Si la tradition Scandinave interprète Luther davantage dans le sens d’une contestation du pouvoir civil et si la majorité des luthériens allemands le regarde davantage comme le fondateur de régimes d’autorité et d’une attitude de soumission entière au pouvoir, il n’est pas douteux que, dans son ensemble et contre les intentions profondes — parfois démenties par les actes — du réformateur, le luthéranisme ait été (comme le catholicisme, dont, sur ce point, il diffère peu en pratique) un facteur de conservatisme et parfois même d’immobilisme politique, économique et social.

Dans le domaine œcuménique enfin, le luthéranisme peut, à juste titre, réclamer un rôle décisif dans le passé, puisqu’il fut à l’origine de la convocation du concile de Trente, où commença le grand travail de réforme intérieure du catholicisme. Dans un passé plus récent, il convient de mentionner le nom de l’archevêque luthérien suédois Nathan Söderblom (1866-1931), qui fut un des fondateurs du Conseil œcuménique des Églises. Participant à sa lente recherche et reconstruction, le luthéranisme, qui a en lui-même ses intégristes et ses révolutionnaires, occupe la plupart du temps des positions qui le situent à la droite du mouvement œcuménique.

Malgré la lourdeur conformiste des institutions ecclésiastiques, l’ardeur originelle de Luther revit toujours dans la tradition qui se réclame de lui : c’est ainsi qu’en 1934, face à l’irrésistible ascension de Hitler, le calviniste Karl Barth* et le luthérien Martin Niemöller organisaient la résistance ouverte et clandestine au nazisme ; c’est ainsi que le luthérien Dietrich Bonhoeffer* participait au complot du 20 juillet 1944 qui visait à éliminer Hitler et payait de sa vie, avec d’autres martyrs, cet acte de fidélité à la vraie tradition luthérienne ; c’est ainsi que, face aux régimes staliniens et néo-staliniens des pays de l’est de l’Europe, les voix de luthériens allemands s’élèvent avec tous ceux qui demandent que soient respectés le droit et la cause de l’homme.

Quiconque a entendu Luther ne peut prendre son parti ni du mensonge, ni de l’oppression, ni de l’injustice. Cela, bien des chrétiens l’ont compris qui ont commencé à faire une analyse lucide des perversions autoritaires du message et de l’action de l’Église au cours des siècles. Parfois, c’est en relisant le jeune Luther qu’ils l’ont saisi ; parfois c’est en remontant directement à l’Évangile. Il se constitue ainsi une invisible famille spirituelle de Luther à travers les siècles et les confessions. Elle déborde même ces dernières : à côté de Kierkegaard*, le prophète solitaire fulminant contre l’institution luthérienne danoise du xixe s., Leibniz*, Nietzsche*, Engels*, Brecht*, Dreyer*, I. Bergman* et tant d’autres sont aussi les héritiers de Luther.

Chaque fois qu’un homme, au mépris de son intérêt, de sa liberté, de sa vie, dresse la protestation du sens face à l’absurdité structurelle, idéologique ou religieuse, face à toutes les intimidations et cruautés du pouvoir, on peut dire qu’il est de la famille spirituelle de Luther.

G. C.

➙ Calvin / Églises protestantes / Melanchthon / Protestantisme / Réforme / Zwingli.

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