Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

législative (fonction) (suite)

En France, aujourd’hui, le droit écrit est représenté essentiellement par la législation ; sous l’Ancien Régime, surtout avant Louis XIV, il était constitué, pour sa plus large part, d’une soixantaine de coutumes générales, c’est-à-dire provinciales, et de près de deux cents coutumes locales, dont la rédaction avait été achevée aux xive et xve s. De Louis XIV à l’Empire s’y ajoutèrent les grandes ordonnances de Colbert* et de d’Aguesseau*, puis les décrets votés par les assemblées révolutionnaires. Au xixe s., le droit écrit devait être avant tout constitué par les codes, notamment le Code civil, véritable compromis entre les principes du droit naturel (« Il existe un droit universel, immuable, source de toutes les lois positives », proclamait l’article premier du projet de Code civil), la raison, les coutumes d’origine germanique des provinces du Nord et, dans une moindre mesure, les coutumes, largement inspirées du droit romain, des provinces du Midi.


La loi dans le droit positif français

Pendant presque tout le xixe s., le droit positif français n’avait reconnu pour loi que la seule règle de droit émanant formellement des assemblées parlementaires et adoptée par elles suivant la forme législative. Comme l’affirmait Carré* de Malberg, la loi ne se caractérisait pas par son contenu, mais par sa forme. Elle était conçue comme une règle d’essence supérieure émanant d’une autorité placée au-dessus des autres autorités de l’État. Son domaine était illimité, et sa régularité ne pouvait être mise en cause. Ne pouvaient émaner des autres autorités de l’État que des actes administratifs dont le domaine était restreint à celui de l’exécution des lois ; deux fonctions distinctes coexistaient : une fonction législative et une fonction exécutive (le dernier terme évoque bien une mission relativement modeste), les organes investis de la seconde se trouvant totalement subordonnés aux organes investis de la première.

Cependant, dès la fin du xixe s., une double évolution se produit. Les juristes français se rallient en nombre croissant (Duguit, Jèze, Esmein*, Planiol, Hauriou*, etc.) à la distinction, déjà reconnue par la majorité des juristes allemands à la suite de Paul Laband (1838-1918) et de Georg Jellinek (1851-1911), entre la conception formelle et la conception matérielle de la loi. C’est ainsi que Duguit oppose le point de vue formel, selon lequel « est loi toute décision émanée de l’organe qui, dans un pays donné, est considéré comme exprimant directement la volonté souveraine de la collectivité support de l’État », et le point de vue matériel, selon lequel « la loi est l’acte par lequel l’État formule une règle de droit objectif ou crée des règles, organise des institutions destinées à assurer la mise en œuvre d’une règle de droit objectif..., et cela indépendamment de l’organe de l’État qui a fait l’acte ». Selon cet auteur, l’acte législatif, d’après sa nature propre, peut être une « loi » formelle, mais peut aussi ne pas l’être, très souvent même ne l’est pas.

Une double conséquence peut être tirée de cette doctrine : d’une part, une loi formelle peut ne pas constituer une loi matérielle (Duguit cite plusieurs lois qui, comportant exclusivement des dispositions individuelles et concrètes, constituent pratiquement des actes administratifs) ; d’autre part, de nombreux décrets portant une disposition impérative par voie générale et abstraite constituent des lois, si l’on se place au sens matériel du terme. Dans cette conception, la fonction législative est remplie par le Parlement — sous la forme des lois proprement dites —, mais aussi par le président de la République dans l’exercice de son pouvoir réglementaire.

L’influence de la nouvelle école du droit français se conjugue avec la tendance à l’accroissement continu de l’intervention de l’État dans la vie du pays ; la jurisprudence administrative va reconnaître l’existence d’un pouvoir réglementaire autonome, dont elle va progressivement élargir les limites en lui permettant de porter sur des questions n’ayant pas encore été réglées par une disposition législative, à l’exception, toutefois, de celles qui paraissent réservées à la loi soit par des dispositions constitutionnelles, soit par la tradition républicaine (notamment les domaines des libertés* individuelles, du droit de propriété, de la création de sanctions pénales et d’impôts*). Il a tout d’abord été admis que le gouvernement pouvait, en matière de police* et de fonctionnement des services* publics, faire spontanément un règlement ne se rattachant à aucune loi déterminée ; puis, tenant compte des nécessités de la conduite de la Première Guerre mondiale, le Conseil d’État accepte que, dans le cadre des pouvoirs spéciaux qui lui sont conférés par le Parlement, le gouvernement puisse suspendre ou modifier des lois en vigueur. Mieux encore, apparaissent en 1924 les décrets-lois, qui deviennent pratique courante à partir de 1935, mais que seule la ratification ultérieure par le Parlement peut faire échapper au contrôle juridictionnel, bien qu’ils soient toujours pris dans le cadre d’une délégation expresse des assemblées législatives. La prohibition d’une telle pratique par la Constitution de 1946 n’y met pas fin en réalité. Par la technique des lois-cadres (on en attribue l’idée à Léon Blum*), le Parlement délègue au gouvernement le pouvoir d’assurer la réalisation des principes généraux qu’il a posés ; mieux, par la loi du 17 août 1948, il attribue un domaine propre, défini très largement, au pouvoir réglementaire du gouvernement.

La Constitution du 4 octobre 1958 achève l’évolution du droit positif français en constitutionnalisant d’une manière très originale la coexistence matérielle de deux domaines législatifs, dont l’un est confié au Parlement et l’autre au président de la République, et surtout au Premier ministre ; ces domaines exclusifs sont définis avec suffisamment de précision (art. 34 et 37) pour permettre à un publiciste, qui sera l’un des premiers appelés à faire partie du Conseil constitutionnel (Marcel Waline [né en 1900]), d’affirmer que, désormais, la définition formelle de la loi a fait place à une définition matérielle.