Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Jarry (Alfred) (suite)

Le succès de scandale d’Ubu roi sert à la gloire de Jarry, mais surtout à l’affirmation de plus en plus résolue de l’originalité de sa personne, qu’il fignole désormais comme une œuvre d’art. Sans adopter l’idéologie du Père Ubu, stigmatisant la bêtise humaine, Jarry emprunte à son héros les formes excessives de son comportement pour pouvoir aller jusqu’au bout de lui-même : Aut numquam tentes, aut perfice (n’essaye rien ou va jusqu’au bout) ; telle est sa devise. Dans cette juxtaposition permanente de l’œuvre exemplaire et de la vie, celle-ci devient un théâtre où Jarry lance des répliques devenues fameuses. À une dame qui se plaignait de la menace que faisait planer sur ses enfants les coups de revolver qu’il aimait à dispenser inconsidérément, Jarry répondra « Si ce malheur arrivait, nous vous en ferions d’autres. »

En 1900 paraît Ubu enchaîné, qui ne sera joue qu’en 1937 ; en 1901, c’est l’Almanach illustré du Père Ubu et, en 1906, Ubu sur la butte. Mais si le ventripotent personnage d’Ubu qu’il avait lui-même dessiné le poursuit, il ne suffit pas à combler une imagination sans repos. Dès 1897, Jarry a fait paraître les Jours et les Nuits, roman d’un déserteur ; en 1898, l’Amour en visites ; en 1901, Messaline ; en 1902, le Surmâle. Cette série de romans se caractérise par une désinvolture qui permet à l’auteur de prendre une distance par rapport aux personnages envisagés. Ceux-ci sont campés de telle sorte qu’ils semblent agir comme des automates. Jarry décrit leur comportement avec une objectivité rigoureuse qui les érige en type universel. Il se sépare de la phraséologie symboliste et de la complaisance des romantiques (essentiellement par l’humour), et pose les premiers jalons de ce qu’il a appelé lui-même, à propos du Surmâle, le « roman moderne ».

On ne peut passer sous silence le contenu social et éthique de l’œuvre de Jarry. Ubu ridiculise le pouvoir abusif ; Sengle, le déserteur, refuse l’armée. Le Surmâle rejette les restrictions de l’être sous quelque forme que ce soit. « Il importe au Surmâle de dépasser le rythme habituel de l’homme, des actes auxquels l’homme pense être naturellement limité. » Le Surmâle, comme Jarry lui-même, tend à l’appropriation de lui-même dans sa totalité, quitte à scandaliser. Il n’est nullement question d’un surhomme dominateur, mais d’un homme qui combat le sous-développement aussi bien physique que moral infligé par la société à l’homme.

Dans l’Amour absolu (1899), Jarry use plus particulièrement d’une imagination qui va jusqu’à déformer les êtres et les choses ainsi que les mots. Le formidable Merdre qui inaugure Ubu roi n’est qu’une préfiguration significative de la transformation à la fois des mots et du monde. L’Amour absolu, « roman de la métamorphose », laisse la porte ouverte à tous les absolus, et plus particulièrement à celui de l’être libéré pulvérisant les limites d’ordre social, moral ou esthétique. Il s’agit de cette « pataphysique » formulée dans Gestes et Opinions du docteur Faustroll (1911). La pataphysique est la « science du particulier » et des « solutions imaginaires ». Elle conduit à une physique nouvelle qui démontrerait qu’il n’y a ni jours ni nuits et que « la vie est continue ». Surréaliste, Jarry l’est non seulement dans l’absinthe, comme l’affirme Breton, mais aussi dans sa vision du monde.

Préoccupé par ses créations (celles de ses œuvres, de son personnage et d’un monde à venir), il ne néglige pas pour autant la vie de ses contemporains. Dans l’obligation de subvenir à ses besoins — après dilapidation inconsidérée de l’héritage familial —, il fait paraître des articles dans la Revue blanche, le Canard sauvage, la Plume, articles qui seront réunis dans Gestes et Spéculations. Il peut ainsi faire valoir sa curiosité, portant un intérêt aux sujets les plus divers (inventions, mode, sport, sciences, arts). Il fut aussi un cycliste et un escrimeur fervent.

Jarry ne se ménage pas dans sa résolution d’aller jusqu’au bout de lui-même. L’« herbe sainte » (l’absinthe) aura raison de ses jours et de ses nuits, et, malgré les efforts de ses amis, qui tentent de le soustraire par des séjours compagnards à cette vie qui l’épuisé à Paris, il meurt en 1907, d’une méningite tuberculeuse, fidèle à lui-même : son dernier vœu sera qu’on lui apporte un cure-dent.

M. B.

 C. Chassé, Sous le masque de Jarry. Les sources d’« Ubu roi » (H. Floury, 1921). / Rachilde, Alfred Jarry ou le Surmâle des lettres (Grasset, 1928). / P. Chauveau, Alfred Jarry ou la Naissance, la vie et la mort du Père Ubu (Mercure de France, 1932). / F. Lot, Alfred Jarry, son œuvre (Nouvelle Revue critique, 1934). / A. Lebois, Jarry l’irremplaçable (le Cercle du livre, 1950). / J. H. Levesque, Alfred Jarry (Seghers, 1951). / C. Giédion-Welcker, Alfred Jarry, eine Monographie (Zurich, 1960). / Peintures, gravures et dessins d’Alfred Jarry, préface et commentaire de M. Arrivé (Club fr. du livre et Collège de pataphysique, 1968). / M. Arrivé, le Langage de Jarry. Essai de sémiologie littéraire (Klincksieck, 1972). / H. Béhar, Jarry, le monstre et la marionnette (Larousse, 1973).

Jaurès (Jean)

Homme politique français (Castres 1859 - Paris 1914).



Vers une carrière universitaire

Le père de Jaurès avait pour cousins germains deux amiraux et professait des opinions légitimistes. Commerçant, il avait fait de mauvaises affaires et s’était finalement installé à quelques kilomètres de Castres, à la Fédial, où il cultivait quelques hectares.

Jean Jaurès sera beaucoup plus influencé par sa mère que par son père, qui mourra en 1882. Il songe au concours des Postes, quand il est remarqué par l’inspecteur général Félix Deltour, qui intervient pour qu’il puisse préparer le concours d’entrée à l’École normale supérieure, tout en étant interne à Sainte-Barbe (Paris). Au bout de deux années, il entre premier d’une promotion qui compte dans ses rangs Henri Bergson.