Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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jardins (art des) (suite)

Le jardin profane du Moyen Âge

La propagation de l’islām était venue, entre-temps, enlever aux jardins d’Orient ce qui persistait de leur caractère sacré. À Damas, à Bagdad, au Caire, l’influence des jardins persans reste inscrite dans la disposition des allées d’eau, en croix à partir d’un kiosque central, et l’emploi des automates ; mais l’abstraction domine dans le décor en faïence des bassins et dans les parterres de broderies. L’espace enclos devient par la présence de l’eau un monde impressionniste de senteurs et de murmures, propice à la méditation et à la rêverie. Au ixe s., l’Occident est atteint : la Tunisie, la Sicile, l’Espagne, où, même après la Reconquista, les jardins andalous de Cordoue, de Séville, de Grenade* (le Generalife) resteront célèbres et feront obstacle à la propagation de la mode italienne. Art raffiné à partir de moyens simples, le jardin mauresque persiste de nos jours au Maroc.

L’Occident féodal n’offrait pas les conditions nécessaires au développement des jardins. Il faut attendre le temps des Valois pour voir l’espace clos des cloîtres et des aîtres aboutir au verger d’agrément, pré entouré de plantations et de charmilles. Dans les plus grands parcs (hôtel Saint-Pol à Paris), le mail, la ménagerie et le labyrinthe marquent une antique tradition, où les croisades ont dû aussi jouer leur rôle. Ainsi, c’est après avoir été régent de Sicile que Robert II d’Artois compose à Hesdin, en 1289, un parc de 1 000 ha, avec des fabriques et des automates facétieux ; la rêverie, ici, fait place à la kermesse, et ce caractère frivole aura un succès persistant. Il n’est pas exclusif d’ailleurs, et les jardins de méditation réalisés en Anjou ou en Provence par le roi René suffiraient à en témoigner, tout en préfaçant le retour humaniste à l’Antiquité.


Du jardin composé au jardin ordonné

Les jardins italiens de la Renaissance, tels ceux que nous décrit au xve s. le Vénitien Francesco Colonna dans le Songe de Poliphile, s’inspirent des thèmes romains : ainsi la villa Médicéenne di Castello, près de Florence, prise par la suite comme modèle. Conçus par des architectes qui s’attachent à des tracés géométriques, à l’emploi d’une architecture végétale presque sans fleurs et qui exploitent les découvertes récentes de la perspective, ces jardins montrent la volonté de dilater l’espace construit, d’en faire un balcon ouvert sur la campagne. Le temple à terrasses étagées de Préneste avait fourni à Bramante*, pour la cour du Vatican, le thème d’une composition frontale de rampes ; celle-ci est traduite par Pirro Ligorio (v. 1510-1583) à la villa du cardinal Hippolyte II d’Este, à Tivoli, commencée en 1550, de façon à donner toute son ampleur au jeu des terrasses et des escaliers. Le captage des eaux de l’Anio multiplie les jets d’eau, les bassins et les grottes sur un tracé dénivelé, perpendiculaire à l’axe monumental, et crée une animation. En 1594, l’interprétation de la villa d’Este à Saint-Germain-en-Laye* par Étienne Dupérac (v. 1525-1604) reste isolée, car les sites français se prêtent rarement aux compositions verticales. En terrain plat, souvent marécageux, l’assiette du château de plaisance demande un canal pour l’assainir, au moins des dénivellations légères pour le modeler. Issu d’une tradition locale enrichie d’apports divers (tel le parterre de broderies depuis longtemps adopté en Angleterre), le jardin à la française tend à devenir l’élément majeur d’une composition destinée à célébrer les mérites d’une famille (Vizille, Richelieu marquent des étapes en ce sens). Socle d’une lumineuse demeure, il assure une liaison colorée avec un cadre plus sombre, aménagé en parc de chasse, sert de théâtre aux divertissements et aux promenades, et prolonge les salons d’apparat. Cette recherche d’harmonie entre l’espace construit et son environnement atteindra avec André Le Nôtre* et par la magie des éléments fluides, lumières et eau, à sa plus haute expression ; la suprématie du jardin français et, par lui, de la demeure dans sa totalité, sera bientôt reconnue dans toute l’Europe.


Le néo-classicisme paysager

La régularité, la hiérarchie des parterres finiront par sembler insupportables au début du xviiie s., et l’on demandera des boudoirs en plein air, loin de la vie de représentation. Puis, le besoin d’évasion et la sentimentalité aidant, on reviendra aux antiques principes paysagistes avec le jardin anglais, dit parfois « anglo-chinois », parce que les publications de Chambers* avaient montré les rapports entre les conceptions chinoises et le paysage antique, dont les descriptions hantaient les esprits. L’Angleterre, d’ailleurs, fidèle à la pelouse et au boulingrin, s’était longtemps contentée des arbres taillés de l’art topiaire ; la réaction d’un Pope* et surtout d’un William Kent (1685-1748) lui permit d’aboutir au véritable jardin paysagiste, où la raison se dissimule derrière des formes naturelles. Implanté sur le continent, ce principe va permettre, dans maintes demeures, d’aller à la limite des ressources de la scénographie classique et de s’approprier la campagne elle-même ; on atteint alors à un art de l’environnement qui n’a pas été surpassé.

Au xixe s., l’art des jardins, du fait de la révolution industrielle, prend une tout autre dimension. Sans doute, un renouveau de géométrie classique (lié aux restaurations de châteaux) vient-il se mêler dans le jardin mixte aux conceptions paysagistes, et un retour au jardin construit s’amorce-t-il au tournant de notre siècle pour culminer avec le « style international », soumettre la végétation à la rigidité d’un cadre bétonnier ou à l’artifice des éclairages nocturnes. Ce qui importe surtout désormais, c’est l’aspect social de l’art des jardins. La ville de jadis, peu étendue et ponctuée de verdure, est devenue une vaste cité polluée, défigurée par la spéculation. On a bien tenté d’y aménager des « espaces verts », squares d’origine anglaise et parcs paysagistes parisiens, lyonnais (la Tête-d’Or), etc., ou d’établir les banlieues dans des parcs existants (Le Raincy après 1848) ou créés (Le Vésinet en 1856). Mais ici, l’amenuisement des parcelles conduit à un quadrillage monotone et dépourvu de verdure. Par réaction et sous l’influence des théories sociales, la cité-jardin tend à s’imposer, surtout en pays anglo-saxons. En France, elle domine la pensée urbanistique d’un Tony Garnier (1869-1948) pour son projet de cité industrielle en 1904 et aboutit curieusement à un compromis chez Le Corbusier* et ses continuateurs.

La désertion des campagnes entraîne, de son côté, la détérioration des paysages aménagés par une action millénaire et rend nécessaire l’aménagement de parcs dits « naturels » pour conserver l’équilibre biologique indispensable à l’homme.