Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

académisme (suite)

Le mouvement académique en Italie au xviie s.

L’histoire des académies dans l’Italie du xviie s. est dominée par le rôle des Carrache* (Carracci). Leur doctrine, qualifiée d’éclectisme, proposait pour modèles les maîtres romains du dessin, c’est-à-dire Michel-Ange pour son énergie, Raphaël pour la justesse des proportions et l’harmonie de la composition, les Vénitiens, Titien* surtout, pour la science des ombres et des lumières, et enfin le Corrège* pour la grâce aristocratique due à la pureté de son coloris. Les Carrache fondèrent à Bologne l’académie « degli Incamminati » en 1585. Leur objectif était une transposition de la Renaissance et de ses enseignements dans le monde moderne, et non pas une fidélité archéologique aux maîtres du passé. Concurremment avec celle du Caravage*, leur influence domine toute l’évolution de la peinture du xviie s. Dans l’éclectisme qu’ils conseillèrent à leurs disciples, il ne faut pas voir une faiblesse de jugement qui permet de tout accepter, mais plutôt le signe d’une vitalité qui leur a permis d’accueillir des expériences variées. Parmi les disciples de cette doctrine, les plus importants montrèrent que l’influence de l’académie bolonaise pouvait mener jusqu’au réalisme.



Guido Reni,

dit en franç. le Guide (Bologne 1575 - id. 1642), fréquenta l’académie des Carrache, puis séjourna trois ans à Rome (1600-1603). Il y ressentit très fortement l’influence du Caravage, comme le montre sa Crucifixion de saint Pierre. De retour à Bologne, il travailla en collaboration avec Ludovico Carracci et ses élèves. Partageant ensuite son activité entre Rome et Bologne, il choisit parmi diverses influences la voie du classicisme, c’est-à-dire Raphaël et les antiques. Un tableau comme le Massacre des Innocents retrouvait l’équilibre des compositions de Raphaël et servit de modèle au classicisme français, de Poussin* à Ingres*.


Domenico Zampieri,

dit en franç. le Dominiquin (Bologne 1581 - Naples 1641), fut un élève de Ludovico Carracci. Il travailla aussi avec Annibale à la décoration de la galerie du palais Farnèse. Ses fresques inspirèrent profondément Poussin, qui travailla à l’académie de dessin que le Dominiquin avait ouverte à Rome. Le Martyre de saint André (1608), la Vie des saints Nil et Barthélemy (1608-1610, abbaye de Grottaferrata) témoignent de la profondeur de la culture classique de leur auteur, dont le goût pour la mesure et le rythme dans la composition, et la théorie de l’expression des visages ont été caractérisés sous le nom d’idéalisme, terme dont on se sert aussi pour commenter les œuvres du Guide. Une œuvre comme Hercule et Cacus, équilibrant le réalisme du paysage et la réflexion philosophique, aide à comprendre comment l’académisme du xviie s. trouva une issue au maniérisme.


Giovanni Francesco Barbieri,

dit en franç. le Guerchin (Cento, près de Bologne, 1591 - Bologne 1666), travailla à Bologne avec Ludovico Carracci, puis à Venise, où il s’initia aux problèmes de la couleur, ce qui explique son premier style luministe. Appelé à Rome par le pape Grégoire XV Ludovisi, il peignit pour celui-ci la célèbre fresque l’Aurore (1621), dans un style presque baroque, bien différent de celui du Guide qui avait traité le même sujet. Mais, après la mort de ce dernier, le Guerchin en recueillit le goût classique, déjà sensible dans une œuvre plus ancienne, Et in Arcadia ego, qui inspira les Bergers d’Arcadie de Poussin.


L’académisme en France

Poussin est l’intermédiaire par lequel les idées des disciples des Carrache et leur peinture contribuèrent à former le goût français du xviie s. C’est en France que la forme académique trouva son expression la plus achevée grâce à un roi passionné pour la grandeur de son décor. Les exigences scientifiques réapparurent, aussi rigoureuses que dans les traités d’Alberti. L’importance primordiale du dessin, de la peinture d’histoire, le besoin de justifier une activité artistique par l’obéissance à des « règles certaines », tirées cette fois non seulement de l’examen des antiques et des chefs-d’œuvre de la Renaissance, mais aussi des œuvres de Poussin, tels sont les principaux aspects de la théorie académique selon Le Brun*. Certains furent imposés avec tyrannie : c’est le cas de la prédominance du dessin sur le coloris. Une querelle restée célèbre sur les mérites respectifs de la couleur et du dessin éclata en 1672. On en trouve l’écho dans le Dialogue sur le coloris de Roger de Piles (1673), où la couleur était considérée comme seule capable de distinguer la peinture des autres arts. Il ne fallait pas craindre de pousser les effets grâce au clair-obscur. Significatif est le vœu de R. de Piles que l’on crée, en pendant à celle de Rome, une école académique à Venise, patrie du coloris. L’opposition que ces idées suscitèrent prouve que l’esthétique était alors profondément liée à la morale : trop accorder à la couleur équivalait à se laisser éblouir par l’« éclat extérieur » aux dépens du « solide ». Remarquons aussi que les partisans du coloris étaient ceux de Rubens et que les « rubénistes » triomphèrent dans les dernières années du siècle au détriment des « poussinistes ».

Après la mort de Le Brun et dans les dernières années du règne de Louis XIV, l’importance de l’Académie alla décroissant ; l’argent manquait et l’on était fatigué de l’autoritarisme. Mais le rayonnement de l’institution académique se manifesta d’une autre manière, par la création en province d’académies artistiques aussi bien que scientifiques et littéraires. À l’étranger, on vit s’ouvrir des académies sur le modèle français : à Berlin en 1696, à Vienne en 1705, à Madrid en 1714.

En France, la première moitié du xviiie s. fut une époque de tolérance et d’éclectisme : si l’Italie de la Renaissance et les Bolonais restaient les grands maîtres, les Flamands avaient acquis droit de cité. Mais, au milieu du siècle, une réaction se produisit, causée par le retour aux postes clés de fortes personnalités, comme les directeurs des Bâtiments Tournehem et d’Angiviller. L’enseignement artistique, redevenu le monopole de l’Académie, multipliait les exigences archéologiques, ajoutant aux programmes antérieurs des cours d’histoire, de littérature antique, d’histoire du costume, dont la fréquentation était obligatoire. De grands efforts furent faits pour restaurer la prééminence de la peinture d’histoire (on n’hésita pas à modifier les tarifs de façon à favoriser les grands formats). Imposant à tous le genre le plus difficile, l’Académie contribua à épuiser les talents et à exalter la médiocrité, aidée en cela par un enseignement où des maîtres trop nombreux professaient une doctrine trop étroite. C’est la raison pour laquelle David s’employa à détruire une partie de l’organisation des beaux-arts. Son propre enseignement était sincèrement hostile aux conventions, mais, incapable de se passer de théories qu’il ne pouvait concevoir lui-même, David se rangea à une conception moralisante de l’art dangereuse pour des personnalités artistiques moins marquées que la sienne. À mesure que se développaient les idées selon lesquelles la beauté artistique ne pouvait dépendre du respect de règles fixes (ce sont les idées de Diderot* en critique d’art et de Kant* en philosophie), l’institution académique pouvait paraître anachronique.