Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gaulle (Charles de)

Officier et homme d’État français (Lille 1890 - Colombey-les-Deux-Églises 1970).


Naître dans une famille de la bourgeoisie patriote à la fin du xixe s., choisir la carrière des armes pour la « revanche », traverser malgré les blessures et la captivité la Première Guerre mondiale avant d’aller vingt ans durant d’une unité à un état-major pour se retrouver à l’approche de la cinquantaine et, déjà, de la retraite simple colonel, puis, quatre ans plus tard, surgir en héros national, libérateur du territoire et restaurateur de la république, personnage historique de première grandeur, c’est un singulier destin.

Fonder un régime à soixante-huit ans, le diriger en maître absolu pendant onze années, puis accepter l’échec et le désaveu, se retirer dans son village pour écrire ses Mémoires et attendre la mort, c’est une curieuse aventure.

Survivre à cinq générations de grands de ce monde, s’asseoir à la table de Churchill, de Staline, de Roosevelt, puis voir défiler Attlee, Truman, apparaître Adenauer et surgir Malenkov, traiter avec Macmillan, Eisenhower, Khrouchtchev, avec Wilson, Kennedy, Brejnev et encore avec Heath, Johnson ou Nixon, Erhard, Kiesinger ou Brandt, c’est une extraordinaire carrière.

Pourtant, ce furent là le destin, l’aventure et la carrière de Charles de Gaulle. Dans la vie de ce personnage hors des séries, on pourrait distinguer, si l’on ose dire, trois actes et neuf tableaux. Trois actes ou plutôt trois incarnations successives : de l’enfance à la Seconde Guerre mondiale, l’officier ; du 18 juin 1940 à la retraite de 1953, le résistant et l’homme politique ; et, après l’entracte de la « traversée du désert », de 1958 à 1970, l’homme d’État.


L’officier

De ses origines, de son milieu, Charles de Gaulle a su très vite prendre et laisser. Un patriotisme hautain, ardent, exclusif qui emprunte parfois des accents de passion nationaliste, l’espoir et la volonté de la « revanche », une sorte de prédestination manifestée dès l’enfance et jusque dans les jeux, une obstination tendue et une gravité naturelle, tel est son héritage. En revanche, l’étroitesse de vues, le conservatisme, le goût du profit et l’amour de l’argent, la xénophobie, voire le racisme, qui sont trop souvent des traits caractéristiques non certes de sa famille, mais de sa classe, lui seront étrangers.

Il n’est ni un écolier modèle ni un saint-cyrien particulièrement appliqué, mais déjà pourtant ses camarades le jugent exceptionnellement brillant, bien que raide. Sa rencontre avec son premier chef, le colonel Pétain, les marque profondément et toute leur vie ; par-delà la réciproque séduction intellectuelle, les querelles d’auteurs, la rupture de 1938 et finalement le drame qui les oppose, les deux hommes garderont, de l’un à l’autre, une sorte d’étrange complicité, intime et secrète.

Cependant, la carrière militaire de Charles de Gaulle à travers la Première Guerre mondiale, qui restera toujours pour lui la « grande » guerre, se déroule sans éclat particulier. Trois blessures, trois citations, la captivité, cinq tentatives d’évasion, puis, la paix revenue, un avancement nullement exceptionnel, des affectations assez classiques allant d’un corps de troupes à un état-major avec toutefois un détour en 1919-1921 par la Pologne, deux crochets par l’armée du Rhin en 1924 et de 1927 à 1929, quelques missions au Proche-Orient en 1929-1931. Simplement, la protection de Pétain s’étend toujours, où qu’il se trouve, sur l’officier, et surtout il se signale peu à peu à l’attention, de deux façons très inhabituelles.

D’abord, il écrit : des rapports, des notes, des études qui, bien vite, deviennent des articles de revues, des livres de doctrine, de réflexion et même de morale où la stratégie et la politique sont étroitement mêlées, en particulier dans le Fil de l’épée, son chef-d’œuvre. Ensuite, il fréquente les milieux parlementaires, approche le pouvoir, s’y trouve un « patron », Paul Reynaud, et se fait le héraut d’une arme trop négligée — par l’armée française, non par l’adversaire —, l’arme blindée, le char. Quand éclate la Seconde Guerre mondiale, en 1939, le « Colonel Motor », comme on l’a surnommé, commande un régiment près de la frontière. Il se voit confier coup sur coup des responsabilités plus importantes et, dès que l’armée allemande commence à déferler sur les Pays-Bas, la Belgique, le Nord, le 10 mai 1940, il est placé à la tête de la 4e division cuirassée, qui se battra courageusement, pour l’honneur, autour de Laon et d’Abbeville ; il est alors promu général de brigade à titre temporaire.

Cependant, la politique, qu’il a tant courtisée, l’appelle, et Paul Reynaud, reprenant le pouvoir à la veille du désastre, le nomme sous-secrétaire d’État à la Défense nationale et à la Guerre. Il porte ce titre douze jours. À l’heure où le gouvernement Reynaud s’évanouit, où le régime se disloque devant Pétain et Weygand, où la défense s’effondre, où le pays glisse à l’abîme, l’officier de tradition choisit la rébellion, l’exil et la résistance. Le 17 juin 1940, il quitte quasi clandestinement Bordeaux, où le gouvernement s’est replié, pour Londres, pour l’action, pour son destin.


La France libre et la politique

Le 18 juin, au micro de la BBC, c’est l’appel à poursuivre le combat. Lorsque, le 14 juillet suivant, leur chef passe pour la première fois en revue sur le sol anglais ceux qu’on appelle les « Français libres », ils ne sont guère que trois cents. La métropole, écrasée, affolée, occupée, ignore à peu près tout de ce général inconnu qu’un conseil de guerre va condamner à mort par contumace, de son étrange entreprise, qui semble aux uns désespérée, aux autres suspecte. De toute façon, elle ne songe guère à résister.

Ce que sera l’extraordinaire aventure de la France libre défie l’imagination et même le bon sens. Tout commence mal : au lieu des ralliements massifs qu’il escomptait, le chef de la « dissidence » voit arriver quelques officiers de réserve, des errants qui rêvent d’en découdre, des hommes de gauche, des israélites, des pêcheurs de l’île de Sein et non ses pairs, les preux chevaliers. Les marins, les soldats encore présents en Grande-Bretagne après Dunkerque préfèrent, sauf rares exceptions, être rapatriés ; aucun général, aucun leader politique n’a répondu à ses pressants appels. L’allié anglais coule froidement une partie de la flotte française à Mers el-Kébir (3 juill. 1940), et, même quand l’Afrique-Équatoriale française a rallié la France libre, le reste de l’« Empire » reste fidèle à Pétain : une expédition navale devant Dakar échoue piteusement ; bientôt, les forces de Vichy et celles de la France libre s’affrontent au Liban et en Syrie. Il faut sans cesse défendre l’indépendance, proclamer la représentativité de la France libre devant Churchill, contre Roosevelt. Lorsque les Alliés débarquent enfin en Afrique du Nord, ils s’entendent avec Darlan, le second de Pétain, installent au pouvoir Giraud et non de Gaulle.