Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gabrieli (Andrea et Giovanni) (suite)

 C. von Winterfeld, Johannes Gabrieli und sein Zeitalter (Berlin, 1834 ; rééd., 1956 ; 3 vol.). / A. Pirro, Schütz (Alcan, 1913). / G. Benvenuti, « A. e G. Gabrieli e la musica strumentale in S. Marco », dans Istitutioni e monumenti dell’arte musicale italiana, I et II (Milan, 1931). / A. Einstein, The Italian Madrigal, II (Princeton, 1949). / S. Kunze, Die Instrumentalmusik Giovanni Gabrielis (Tutzing, 1963 ; 2 vol.). / E. F. Kenton, Giovanni Gabrieli. Life and Works (Dallas, 1967).

Gadda (Carlo Emilio)

Romancier italien (Milan 1893).


En 1957, Quer pasticciaccio brutto de via Merulana (l’Affreux Pastis de la rue des Merles) révéla à la fois à l’Italie et à l’Europe Carlo Emilio Gadda comme le prosateur sans doute le plus original de la littérature italienne contemporaine. Les avant-gardes se disputèrent à l’envi et l’œuvre et le mérite de sa révélation, tandis qu’une certaine critique philologique prétendait confisquer au profit de son érudition — et exorciser — cette écriture aux multiples stratifications linguistiques, rhétoriques et dialectales. C’était dans l’un et l’autre cas méconnaître inconsidérément l’histoire, déjà fort longue, de la création gaddienne. Histoire qu’à vrai dire la bibliographie embrouille à l’extrême, les principaux récits de Gadda ayant d’abord été publiés par fragments en revue avant de paraître en volume (récits au demeurant inachevés lorsqu’il s’agit des romans) selon un ordre chronologique inverse de celui de leur rédaction. Les premiers chapitres du Pasticciaccio (1957), en effet, voient le jour dans Letteratura en 1946 ; ceux de La Cognizione del dolore (1963, et nouv. éd. 1970, augmentée de 2 chapitres inédits), en 1938 ; les plus célèbres récits du recueil édité en 1965 (I Racconti), San Giorgio in casa Brocchi et L’Incendio in via Keplero, remontent respectivement à 1931 et 1930 ; quant au roman le plus récemment apparu en vitrine (La Meccanica, 1970), il fut achevé en 1928-29 et avait été entrepris en 1924, date à laquelle Gadda avait déjà écrit le tout premier de ses textes, ce Giornale di guerra e di prigionia (1955) qu’il composa à partir de 1915 et tout au long de la Première Guerre mondiale. Mais c’est moins la coquetterie ou quelque savante stratégie littéraire qui poussèrent Gadda à différer jusqu’à trente ou quarante ans la publication intégrale de certains de ses récits, que le fondamental besoin de se prémunir — par les recours conjugués du style et du temps — contre ce que son inspiration première pouvait avoir de trop brutalement autobiographique ; rien d’étonnant dès lors à ce que ce soient précisément les écrits de la prime jeunesse qui aient nécessité la plus longue maturation. C’est que, plus qu’aucune autre, cette œuvre est née d’un cri de douleur et de révolte, d’autant plus violent qu’il a été plus longuement réprimé. Le titre de ce qui est sans doute le chef-d’œuvre de Gadda, la Connaissance de la douleur, a à cet égard valeur d’emblème de l’œuvre tout entière. Dès 1916, Gadda écrivait (in Apologia manzoniana, éd. 1924) : « La lutte que j’ai menée dans la vie a été terrible, épuisante ; rendue atroce par la supériorité de l’ennemi qui se riait de mes efforts. J’y ai laissé mon âme et désormais je ne suis plus qu’un végétal. Cet ennemi atroce, ce chien d’ennemi s’appelle sensibilité, excitabilité. »

Élevé dans une famille de la bonne bourgeoisie milanaise, Gadda fit des études d’électronique qui lui valurent, après l’interruption de la Première Guerre mondiale, son diplôme d’ingénieur. Guerre qu’il avait souhaitée au nom des idéaux les plus nobles, et qu’il imaginait semblable aux édifiants récits de César et de Tite-Live, ses auteurs classiques favoris, avec Horace et Manzoni. Loin de se démentir à l’épreuve du feu, le militarisme du jeune officier Gadda s’offense de la pusillanimité des états-majors et de l’énorme gâchis, d’hommes et de matériel, qu’elle entraîne. Succédant à la débâcle italienne et à l’emprisonnement en Allemagne, la mort sur le front de son frère bien-aimé réduit littéralement Gadda au désespoir : « J’ai tant souffert, la pauvreté, la mort de mon père, l’humiliation, la maladie, la faiblesse, l’impuissance du corps et de l’âme, la peur, la dérision, pour finir à Caporetto, à la fin des fins. Je n’ai eu ni amour, ni rien. L’intelligence ne me sert qu’à constater et à souffrir ; les élans du rêve, l’amour de la patrie et du risque, la passion de la guerre m’ont conduit à une souffrance monstrueuse, à une difformité spirituelle qui n’a ni ne peut avoir d’égale. » La guerre n’en demeurera pas moins la seule période heureuse qu’il ait jamais connue, et en revenant à la vie civile il n’a plus guère l’impression que de se survivre. L’écriture devient pour lui l’ « instrument absolu du rachat et de la vengeance » ; mais désormais (après le Giornale di guerra), l’humiliation primordiale qui l’a engendrée a été comme refoulée et n’apparaît plus qu’à travers la déformation d’un langage attestant la difformité spirituelle de l’âme offensée ; langage violenté qui est le signe même de la violence faite à l’âme trop candide, victime d’une société qui est la contradiction vivante des idéaux qu’elle élabore. Aussi la dimension propre de l’écriture gaddienne est-elle la caricature, et plus encore l’autocaricature ; sa « rage » explose tour à tour selon toutes les modalités de la parodie, de l’outrance, du pastiche, de la contamination, du grotesque, du scatologique et de l’obscénité ; en un mot, du comique tel qu’il s’accomplit, dans une tradition issue de la rhétorique médiévale, à travers les œuvres de Rabelais, Francesco Colonna, Teofilo Folengo, Dante, Joyce et, à un moindre degré, bien que susceptibles d’avoir eu une influence directe sur Gadda, celles des « Scapigliati » lombardo-piémontais du xixe s., Carlo Dossi et Giovanni Faldella.

Ces constantes de la création gaddienne n’excluent pas cependant une sensible évolution de son art, liée au premier chef à son expérience d’homme. On a pu dire en effet que Gadda est totalement dépourvu d’imagination, au sens où il n’a jamais rien inventé de ce qu’il raconte. Autant chez Gadda l’élaboration créatrice peut être complexe, autant le principe de son inspiration est simple : l’œuvre gaddienne tout entière est fondée sur un besoin élémentaire, et comme vital, de représentation.