Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Frédéric II de Hohenstaufen (suite)

La personnalité et le gouvernement de Frédéric II

La personnalité complexe de Frédéric, son comportement et les idées qu’on lui prêta scandalisèrent les contemporains. De nos jours, ce Hohenstaufen beaucoup plus italien qu’allemand (sur trente-huit années de règne, il n’en a passé en Allemagne que dix, en deux fois) a souvent été considéré comme une individualité hors série, étrangère à son temps. En fait, les singularités apparentes de sa pensée et de son action s’expliquent largement par la situation originale du royaume de Sicile, où s’entrecroisaient les influences normandes, byzantines et islamiques. D’une curiosité d’esprit universelle, parlant plusieurs langues, Frédéric s’intéressait à la grammaire, à la rhétorique, à l’astrologie, à la médecine, aux sciences naturelles. Il est l’auteur d’un traité de fauconnerie, De arte venandi cum avibus, et il composa, en italien, des poèmes d’amour à la façon des Minnesänger.

L’Empereur fit venir à sa cour des savants juifs et arabes ; lui-même étudia la philosophie d’Aristote et d’Averroès. Porté au faste, il s’entoura d’une cour brillante, semi-orientale : on trouvait de nombreux musulmans parmi ses soldats, ses pages, ses servantes, son harem.

Il fut traité d’antéchrist, de matérialiste, d’athée par ses adversaires. Il semble bien, selon divers témoignages, avoir manifesté quelque scepticisme en matière religieuse et une sympathie certaine envers l’islām. Par contre, il persécuta cruellement les hérétiques chrétiens, d’autant plus que c’était là le seul domaine où il pouvait s’accorder sans dommage avec la papauté.

De la dignité impériale, Frédéric avait sensiblement la même conception que ses prédécesseurs. Défenseur de la chrétienté, il revendiquait une supériorité universelle, qui cependant n’impliquait aucune domination temporelle sur les royaumes occidentaux. Il se considérait comme le successeur, non seulement de Charlemagne et de Constantin, mais aussi des premiers Césars, comme le montre la frappe en Sicile des « augustales », pièces d’or à l’effigie de l’aigle romaine. À ses yeux, l’Italie et Rome, bien plus que l’Allemagne, devaient être le centre de son empire.

Un aussi vaste empire ne pouvait être gouverné de façon uniforme. Du royaume de Sicile, Frédéric fit une monarchie centralisée, l’État le plus moderne du temps, qui lui procura les ressources nécessaires à ses guerres. Abolissant les privilèges, développant les monopoles royaux, renforçant la fiscalité, il dota le pays, par les constitutions de Malfi (1231), d’une législation relativement uniforme qui lui assurait une autorité absolue. La fondation de l’université de Naples eut surtout pour but de lui fournir des juristes et des fonctionnaires capables et soumis.

Dans le royaume d’Italie, Frédéric tenta, surtout après 1240, de pratiquer une politique analogue. Au lieu d’Allemands, il nomma des Italiens capitaines généraux, véritables vice-empereurs, tout-puissants dans leurs circonscriptions ; il intervint dans la nomination des podestats, restreignant les libertés urbaines. Mais la diplomatie pontificale et les succès de la Ligue lombarde rendirent précaire cette œuvre de réorganisation.

En Allemagne enfin, l’Empereur fut contraint à de larges concessions aux princes ecclésiastiques et laïques par la Bulle d’or d’Egra (1213), le traité avec les princes ecclésiastiques (1220) et le statut en faveur des princes (ratifié en 1232). On ne pense plus aujourd’hui, comme jadis, que Frédéric ait délibérément sacrifié le pouvoir royal et ait transféré aux princes les attributs de la souveraineté. Les efforts sérieux qu’il fit pour renforcer et étendre le domaine royal, les prescriptions de son édit de paix de 1235 semblent montrer qu’il espérait, ici aussi, rétablir sa pleine puissance. Mais l’échec final de sa politique l’en empêcha.

La mort de Frédéric II marqua en effet l’effondrement du rêve d’empire universel poursuivi depuis trois siècles par les souverains germaniques. La Sicile, conquise par les Angevins, fut perdue, l’autorité impériale devint purement platonique en Italie, l’Allemagne sombra dans l’anarchie du grand interrègne, d’où elle ne sortit que pour rester morcelée entre de multiples principautés.

F. D.

➙ Allemagne / Hohenstaufen / Italie / Sacerdoce et de l’Empire (lutte du) / Saint Empire romain germanique / Sicile.

 E. Kantoroivicz, Kaiser Friedrich der Zweite (Berlin, 1928-1931 ; 2 vol. ; nouv. éd., 1957). / M. Brion, Frédéric II de Hohenstaufen (Tallandier, 1948). / P. Andrewes, Frederic Second of Hohenstaufen (Londres, 1970).

Frédéric II le Grand

(Berlin 1712 - Potsdam 1786), roi de Prusse de 1740 à 1786.



Des débuts difficiles

Le 31 mai 1740, Frédéric Guillaume Ier, le Roi-Sergent, meurt rassuré : son fils, quoique ami des muses, grâce à Duhan de Jandun, son précepteur français, et au flûtiste Quantz, est un vrai Hohenzollern, pénétré de ses devoirs de souverain.

Mal aimé, cible des sarcasmes et sévices paternels, Frédéric a appris tôt à feindre et à endurer. L’échec de sa tentative d’évasion en Angleterre (1730) lui a valu d’assister à l’exécution de son ami Katte, l’exil à Küstrin, où il s’est initié aux besognes administratives, aux exercices militaires, et un morne mariage avec Elisabeth-Christine de Brunswick-Wolfenbüttel, nièce de l’impératrice (1733), qui l’a libéré toutefois de la tutelle paternelle. À Neuruppin, puis à Rheinsberg (1736), il a vécu enfin à son gré, entouré d’artistes, de lettrés, sans négliger la réflexion politique. Frédéric a dénoncé la caducité d’un équilibre européen imposé par les grands États (1738) et profité d’une laborieuse réfutation du Prince pour exposer sa théorie d’une monarchie contractuelle dans l’Anti-Machiavel, corrigé et publié par Voltaire (1740), son correspondant depuis 1736.