Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Flaubert (Gustave) (suite)

Le sous-titre de Bouvard et Pécuchet, écrit Flaubert à Gertrude Collier devenue Mrs. Tennant, pourrait être « du défaut de méthode dans les sciences » (16 déc. 1879). Il veut décrire la grande tentation moderne, c’est-à-dire la science, qui lui parait jouer le même rôle au xixe s. que la religion au ive. Il cherche à en montrer à la fois la force et les dangers, quand ceux qui s’en occupent veulent jouer les apprentis sorciers. Bouvard et Pécuchet sont des âmes ingénues, et leurs efforts pour se tenir au courant des sciences de leur temps, voués à l’échec. Pourtant, leurs études les élèvent au-dessus des autres habitants de Chavignolles. Le moment critique de leur évolution se situe quand Flaubert les gratifie d’un don qu’il possédait lui-même au plus haut point, celui « de voir la bêtise et de ne plus la tolérer ». Lorsqu’ils renonceront à la quête de la vérité, les deux amis ne se mettront pas à copier « comme autrefois » (interpolation malheureuse de la nièce de Flaubert), mais bien le dictionnaire des idées reçues, l’album de la marquise, le sottisier patiemment recueilli. Au fond, Flaubert est très inquiet sur l’« avenir de la science », il voit trop clairement les erreurs passées, il ne partage pas les certitudes simplistes de son ami Taine. Comme la première Tentation de saint Antoine, Bouvard et Pécuchet se termine sur une note profondément pessimiste : au rire du diable fait écho le ricanement heureux des « deux bonshommes » devant la « bêtise au front de taureau », l’éternelle bêtise humaine. Toute l’œuvre de Flaubert est satirique, mais la satire semble l’emporter sur l’émotion à mesure que le romancier vieillit. Dans Bouvard et Pécuchet, plus de scènes grandioses ou émouvantes, comme la mort d’Emma, la dernière rencontre de Frédéric et de Mme Arnoux, la procession de la Fête-Dieu d’Un cœur simple. L’intrigue de Bouvard et Pécuchet reprend le cadre de l’Éducation sentimentale : le ton est bien plus férocement amer dans le dernier roman de Flaubert, comme le montrent les épisodes concernant la révolution de 1848, les velléités religieuses de leur héros ou leurs amours ridicules.

Flaubert n’a pu achever le « second volume » de son roman, c’est-à-dire la copie des « deux bonshommes ». Sa santé avait déjà été compromise en 1879 par une chute qui avait entraîné une fracture du péroné, sans parler de ses ennuis d’argent, des crises nerveuses qui reparaissent à un rythme inquiétant. Le moral était atteint lui aussi ; les amours avec Léonie Brainne, l’une des « trois anges », la fidélité de son « disciple » Guy de Maupassant et de ses autres amis ne peuvent compenser la solitude grandissante de Flaubert. Il se sent de plus en plus isolé dans un monde hostile. Il meurt d’une attaque le 8 mai 1880.


« C’est fini. Je n’ai plus qu’une dizaine de pages à écrire, mais j’ai toutes mes chutes de phrase. »
(Goncourt, Journal, 1862.)

L’œuvre de Flaubert a été rangée par ses contemporains dans la catégorie réaliste, malgré qu’il en ait et malgré ses efforts pour mettre en relief l’immense différence qui sépare sa quête de la beauté des « tranches de vie » de Champfleury, Duranty et des naturalistes. Il s’est toujours défendu d’avoir une « école », que la critique contemporaine lui attribuait : les Goncourt, Feydeau, Zola, les collaborateurs des Soirées de Médan (Huysmans, Maupassant, Céard, Hennique, Alexis). Le seul Maupassant a eu le droit de se dire son disciple, mais Flaubert n’a connu de lui que ses vers et Boule-de-Suif. La pensée de Flaubert se retrouve, un peu affadie et trop limitée à la technique, dans la préface de Pierre et Jean (1888).

Dans leur réaction contre réalisme et naturalisme, les écrivains du début du xxe s. ont attaqué l’œuvre de Flaubert et, paradoxalement, exalté sa correspondance. On a soutenu que « Flaubert écrivait mal » (Louis de Robert), et, malgré la défense de Marcel Proust, la fortune de Flaubert a connu une éclipse. De nos jours, les « nouveaux romanciers » (Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute) voient en lui leur « précurseur » ; la gloire et l’influence de Flaubert ne sont pas moins éclatantes à l’étranger.


« Je ne suis rien qu’un lézard littéraire qui se chauffe toute la journée au grand soleil du Beau. »
(À Louise Colet, 17 oct. 1846.)

Gustave Flaubert est avant tout un grand artiste. Sa recherche avide de la vérité est subordonnée à sa quête passionnée de la beauté. Nul plus que lui n’a médité les problèmes de structure, de langage qui mèneront Mallarmé, l’écrivain le plus proche de lui, au « livre ». L’admirable prose de Flaubert recrée cette vision tragique du monde qu’il avait si chèrement acquise et place son œuvre à côté de celles qu’il estimait les plus hautes : l’Iliade d’Homère et le théâtre de Shakespeare.

J. B.


Quelques correspondants de Flaubert


Amélie Bosquet,

institutrice, romancière et féministe normande (1815-1904). Flaubert lui fera un brin de cour dans les années 1860. Auteur de la Normandie romanesque et merveilleuse (1845), Louise Meunier (1861)...


Louis Bouilhet,

poète et dramaturge normand (1822-1869). Condisciple de Flaubert au collège royal de Rouen, il deviendra son meilleur ami de 1846 à sa mort. Auteur de Melaenis (1851), Madame de Montarcy (1856), Festons et astragales (1859)...


Ernest Chevalier,

magistrat et député (1820-1887). Il fut le meilleur ami d’enfance de Flaubert.


Maxime Du Camp,

romancier (1822-1894). Il rencontre Flaubert en 1843 et fera avec lui les voyages de Bretagne et d’Orient. Auteur des Forces perdues (1867), d’ouvrages sur Paris et des Souvenirs littéraires (1882-83) [Acad. fr., 1880].


Jules Duplan,

directeur d’une maison de commerce à Paris († 1870). L’un des intimes de Flaubert de 1851 à sa mort.


Ernest Feydeau,

romancier (1821-1873). Père du dramaturge Georges Feydeau. Très lié avec Flaubert depuis 1856, il est l’auteur de Fanny (1858), Daniel (1859), etc.


Edmond Laporte,

industriel normand. L’ami des dernières années de Flaubert.


Alfred Le Poittevin,

poète et romancier normand (1816-1848). Passionné de métaphysique, il a exercé la plus profonde influence sur Flaubert. Sa sœur sera la mère de Guy de Maupassant.


Marie-Sophie Leroyer de Chantepie,

romancière angevine (1800-1885). Correspondra longuement avec Flaubert, surtout sur les problèmes religieux. Ils ne se verront jamais.


Edna Roger des Genettes

(1818-1891). Amie de Louise Colet. Retirée à Villenauxe, elle sera la confidente de Flaubert durant ses dernières années.