Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

Les arts plastiques du xxe siècle


L’expressionnisme*

Dès les premières années du xxe s., les arabesques un peu apprêtées du Jugendstil se durcissent, les couleurs se figent, les personnages prennent une allure de somnambules, une atmosphère tragique imprègne paysages et intérieurs : l’expressionnisme se confond dès lors, au moins jusqu’en 1914, avec l’avant-garde allemande. Les portraits frustes et émouvants de Paula Modersohn-Becker (1876-1907) en sont l’avant-coureur. Mais c’est le groupe « Die Brücke » (le Pont, 1905-1913), fondé à Dresde par Erich Heckel (né en 1883), Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938) et Karl Schmidt-Rottluff (1884-1976), auxquels se joignit Emil Nolde* (1867-1956), qui en incarnera le mieux l’idéalisme foncier, les angoisses et les élans. Par contre, et en dépit de la présence parmi eux d’Alfred Kubin (1877-1959), les peintres du « Blaue* Reiter » (le Cavalier bleu, 1911-1914), réunis à Munich autour de Kandinsky* (1866-1944), participent d’un élan dionysiaque apparemment délié de toute inquiétude : August Macke (1887-1914) et Franz Marc (1880-1916) seront pourtant tués tous les deux sur le front français. Les sculpteurs Ernst Barlach (1870-1938) et Wilhelm Lehmbruck (1881-1919), le premier par un dynamisme ramassé, le second par une élongation pathétique de ses personnages, se situent à mi-chemin de l’esprit des deux groupes.


Du dadaïsme à la « neue Sachlichkeit »

L’ampleur et l’atrocité du conflit allaient, par contrecoup, accuser l’idéalisme des expressionnistes. Ceux-ci vont se trouver pris entre deux surenchères : l’une qui proclame le néant, le ridicule de toute chose, y compris de l’art et a fortiori de l’art sentimental ; l’autre qui conclut que l’artiste doit s’engager dans la lutte politique s’il veut changer ce monde hideux. La première, c’est Dada*, qui éclate dans le Berlin de 1918 presque en même temps que la révolution spartakiste et dont le refus de l’œuvre d’art durable se traduit par des solutions originales au problème du collage* : le « merz » de Kurt Schwitters* (1887-1948) et le photomontage. La seconde, à vrai dire nourrie d’expressionnisme et parfois de dadaïsme, se manifeste d’abord dans le « Novembergruppe » fondé en 1918, puis vers 1922 dans la « neue Sachlichkeit » (nouvelle objectivité), caractérisée par un réalisme souvent féroce, parfois glacial, mais dans certains cas non dénué d’une étrange poésie. L ex-dadaïste George Grosz (1893-1959) y déploie une agressivité à toute épreuve, mais c’est peut-être Otto Dix (1891-1969) qui, justement parce qu’il échappe aux simplifications de la caricature, atteint alors les sommets de la cruauté. Hans Grundig (1901-1958) et Anton Raederscheidt (né en 1892) décrivent au contraire un univers industriel et urbain dont la précision même prend un caractère onirique. Quant à Max Beckmann (1884-1950), il poursuit à l’écart la veine de Die Brücke. On notera que l’Allemagne, bien qu’ayant fourni avec Max Ernst* (né en 1891), Hans Bellmer (1902-1976) et Richard Oelze (né en 1900) une contribution décisive au surréalisme, est demeurée plutôt hostile à ce mouvement, qui n’a cessé pourtant de proclamer sa dette à l’égard du romantisme allemand.


Du « Bauhaus » à l’« entartete Kunst »

Sans doute est-ce le désir de définir un art utile qui, en même temps que la neue Sachlichkeit, inspire les animateurs du Bauhaus*. Mais si Dix, Grosz et leurs pareils entendent dénoncer la société telle qu’elle existe, le Bauhaus, fondé en 1919, étudie les formes par lesquelles se traduira une vie harmonieuse. D’où l’accent qui est mis sur les aspects collectifs de la création et sur le visage de la cité future, au détriment de la poétique individuelle. Dans ce contexte, néanmoins, se développent des démarches aussi singulières que celles de Kandinsky*, de Klee* (1879-1940), d’Oskar Schlemmer (1888-1943). Et les nazis, qui ont poursuivi le Bauhaus de leur haine, mettaient à sa réouverture en 1933 une condition : que Kandinsky en fût écarté. Alors s’épanouit la thèse de l’« entartete Kunst » (art dégénéré), qui permet aux nazis d’enlever des musées, de détruire (et aussi de vendre à l’étranger) des milliers d’œuvres, des impressionnistes aux abstraits, d’empêcher les artistes allemands d’avant-garde de s’exprimer. Beaucoup s’enfuirent, quelques-uns continuèrent à œuvrer clandestinement, peu protestèrent avec violence, comme le sculpteur Käthe Kollwitz (1867-1945).


Depuis 1945

Dans l’Allemagne exsangue, ceux qui n’avaient point cédé prirent figure de symboles aux yeux des jeunes artistes : tels Willi Baumeister (1889-1955) et Carl Buchheister (1890-1964), dont l’exemple prit d’autant plus de poids qu’il coïncidait avec le renouveau de l’abstraction. Ernst Wilhelm Nay (1902-1968) et Fritz Winter (né en 1905) furent, avec les précédents, les chefs de file d’une abstraction émancipée, qui connut comme pointe extrême la calligraphie dynamique de Karl Otto Götz (né en 1914) et de K. R. H. Sonderborg (né en 1923). En réaction contre cette tendance se développèrent d’une part un courant fantastique, porté à son ampleur maximale par Oelze, Friedrich Schröder-Sonnenstern (né en 1892), Bernhard Schultze (né en 1915) et Ursula (Ursula Schultze-Bluhm née en 1921), d’autre part une description faussement rigoureuse des objets manufacturés, qui procédait à la fois de la neue Sachlichkeit et du surréalisme, et dont Konrad Klapheck (né en 1935) donna la formule plusieurs années avant le pop’art américain. Dans le même temps, la sculpture échappait aux soucis d’élégance formelle de Karl Hartung (1908-1967), de Norbert Kricke (né en 1922), de Brigitte Meier-Denninghoff (née en 1923) ou de Hans Uhlmann (né en 1900) pour choyer des formes électives — la boule pour Jochen Hiltmann (né en 1937), la pointe pour Günther Uecker (né en 1930) — ou des volumes purs — en carton avec Erwin Heerich, en bois coloré avec Georg Karl Pfahler (né en 1926). Mais le prophète de l’art dans l’espace est aujourd’hui Joseph Beuys (né en 1921), dont les environnements faits de planches, de feutre et de graisse ont inauguré, comme les « actions » de Wolf Vostell (né en 1932), une nouvelle sensibilité. De grandes collections privées, en se transformant en donations comme la collection Ludwig au Wallraf Richartz Museum de Cologne, apportent à l’art le plus récent un soutien incomparable. Quant à l’architecture, elle a retrouvé sans effort les principes du Bauhaus, tout en rejoignant, avec Hans Scharoun* (1883-1972) [salle de concerts de l’Orchestre philharmonique de Berlin, 1956-1963], une tendance « organique ». Enfin, il faut rappeler que la carrière d’artistes allemands de premier plan comme Hans Hartung* (né en 1904), Richard Lindner (né en 1901) et Wols* (1913-1951) s’est accomplie presque entièrement hors d’Allemagne.

J. P.