Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire colonial français (suite)

Mais l’influence de la crise ne se limitera pas au domaine économique et social. Partout la misère favorise le développement des mouvements revendicatifs, et l’arrivée du Front populaire au pouvoir fait naître bien des espoirs. Le premier ministère Blum* (1936-37), en effet, entreprend une politique libérale : au Proche-Orient, la Syrie et le Liban obtiennent la promesse de leur prochaine indépendance ; en Afrique du Nord, on projette des réformes ; en Afrique noire, le syndicalisme prend son essor ; l’Indochine bénéficie d’une large amnistie et d’importantes mesures sociales. Mais le Front populaire ne veut pas une transformation révolutionnaire ; il recule devant les obstacles dressés par ceux dont les intérêts sont lésés, montrant ainsi que le problème colonial ne comporte pas de solution libérale.


La Seconde Guerre mondiale

C’est une épreuve beaucoup plus grave, au cours de laquelle apparaissent les prémices de la dislocation future.

L’Empire accepte la guerre sans enthousiasme, mais avec loyalisme. La défaite de 1940 provoque la scission. À la suite du Tchad, l’Afrique-Équatoriale française se rallie à la France libre, ainsi que les possessions du Pacifique. Cependant, les plus importants des territoires d’outre-mer se rangent sous l’autorité du gouvernement de Vichy. Les deux parties de l’Empire poursuivent ainsi une vie séparée jusqu’au débarquement allié du 8 novembre 1942 en Afrique du Nord. Alors commence le rassemblement de toutes les terres de l’Empire, et, à l’exception de la Syrie et du Liban, dont il avait fallu reconnaître l’indépendance (dès 1941, puis en 1943), et de l’Indochine, encore inaccessible, l’œuvre est achevée en 1943. La conférence de Brazzaville (30 janv. - 8 févr. 1944) recommande d’importantes réformes administratives, économiques et sociales, mais, contrairement à la légende, ne marque nullement le début de la décolonisation, affirmant de manière catégorique que « la constitution éventuelle, même lointaine, de self-governments dans les colonies est à écarter ».

Ce qui engagera le processus de décolonisation, c’est l’affirmation des mouvements nationalistes. Ceux-ci apparaissent au grand jour en Afrique du Nord, réclamant l’autonomie interne en Tunisie, l’indépendance en Algérie et au Maroc. L’Indochine présente une situation encore plus inquiétante : le Japon avait profité de la guerre pour faire prédominer sa politique dans la péninsule, mais, lorsque son pouvoir s’effondre, la France n’est pas à même de prendre la situation en main, et c’est le parti nationaliste du Viêt-minh, de tendance communiste, qui forme un gouvernement provisoire ; le 2 septembre 1945, il proclame l’indépendance du Viêt-nam*. C’est le début d’une période de dislocation qui durera dix-sept ans.


Les tentatives de réorganisation

On pourrait parler plus exactement d’une tentative de réorganisation avec l’Union française et d’une tentative de sauvetage avec la Communauté.

• L’Union française (1946-1958). Avant même le vote de la Constitution de 1946, le besoin de rénovation se manifeste par diverses mesures, dont la départementalisation de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Réunion (mars 1946), et surtout l’attribution de la citoyenneté française à tous les nationaux français, autrefois sujets dans l’Empire (7 mai 1946). Mais, malgré la création d’un Haut Conseil de l’Union française, la Constitution accorde une prépondérance incontestable à la métropole et fait prédominer la tendance à l’intégration.

Or, la conjoncture est défavorable. Sur le plan international, il faut compter avec l’hostilité de l’U. R. S. S., des États-Unis, de l’O. N. U., de la Ligue arabe, sans parler de l’Église catholique, qui découvre le « devoir de décolonisation ». Sur le plan national, une évolution se manifeste aussi : on doute de plus en plus de la rentabilité des colonies ; on craint qu’une application généralisée de l’égalité politique ne fasse de la France « la colonie de ses colonies » ; de plus en plus nombreux sont ceux qui trouvent légitimes les revendications des colonisés, et ainsi s’affaiblit la volonté colonisatrice, tandis que monte la force des oppositions.

La désagrégation commencée en Indochine s’achève en 1954, quand, après sept ans et demi de guerre et la défaite de Diên Biên Phu (7 mai), la France reconnaît l’indépendance des États indochinois. En Afrique noire, on pense satisfaire les nationalistes par la loi-cadre du 23 juin 1956, qui marque une évolution vers l’autonomie, mais qui paraît insuffisante. En Afrique du Nord, on fait alterner la politique de « fermeté » et celle des réformes dans l’intention d’aboutir à une cosouveraineté en Tunisie et au Maroc : c’est l’échec, et les deux protectorats obtiennent l’indépendance le 3 mars 1956. Le 1er novembre 1954 éclate l’insurrection algérienne, et l’impossibilité d’en triompher explique l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle après l’émeute algéroise du 13 mai 1958.

• La Communauté (1958-1960). La Constitution de 1958 fonde la Communauté avec un président (qui est celui de la République française), un Conseil exécutif, un Sénat et une Cour arbitrale. On a sans doute pensé organiser une espèce de fédération ou, tout au moins, une confédération, les territoires devenant des États membres de la Communauté, mais, d’une part, la France conserve nécessairement un rôle directeur, vu son importance démographique et économique, et, d’autre part, les nouveaux États aspirent rapidement à se diriger eux-mêmes.

Dès 1959, certains demandent leur indépendance tout en affirmant vouloir demeurer dans la Communauté, ce qui est contraire au texte de la Constitution. Celui-ci est donc révisé par la loi du 4 juin 1960, et on parle de « Communauté rénovée » comme on a parlé d’« indépendance dans l’interdépendance » pour le Maroc en 1956. Le résultat ne se fait pas attendre : à la fin de l’année 1960, les anciens territoires de l’Afrique noire française donnent naissance à quatorze Républiques, plus la République malgache. En 1961 est créé un ministère de la Coopération, ce qui implique la fin de la politique coloniale traditionnelle. Cependant le problème est loin d’être entièrement résolu en Afrique du Nord, car la guerre continue en Algérie.