Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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dessin (suite)

Le dessin en tant que projection de l’état corporel subjectif

« Quand l’enfant dessine un personnage, c’est lui-même qu’il dessine tel qu’il se sent » (J. Favez-Boutonier). L’image du corps, dont les composantes sont sensorielles (inscrites dans l’unité structurale du schéma corporel), affectives, socio-culturelles, est figurée selon les deux dimensions de la feuille de papier avec son histoire psychosomatique et son insertion actuelle dans l’environnement. Les représentations graphiques du corps sont historiquement assez postérieures à sa symbolisation imaginaire. Elles ne surviennent que vers trois ou quatre ans, après l’acquisition de l’autonomie végétative et motrice par rapport à la mère : simple rond d’abord, l’image s’entoure des membres, et, en son intérieur, se creusent les orifices réalisant le « bonhomme-têtard » (fig. 3). Vers quatre ans, un second rond en fait un bonhomme de face (fig. 4), qui ne se latéralisera qu’à cinq ou six ans, pouvant alors se mouvoir et tenir des objets ; vers huit ans, l’enfant peut dessiner le bonhomme de profil. Le moteur de cette évolution est le geste qui construit l’espace autour du corps propre de l’enfant. Le schéma corporel contribue à élaborer l’image du corps, dont l’expression picturale actualise l’histoire libidinale du sujet. F. Dolto décrit la double image ressentie : image de base liée au moi dans sa spatialisation narcissique et image de fonctionnement représentant les zones érogènes, c’est-à-dire relationnelles ; chaque moment de l’histoire libidinale archaïque dans la diade mère-enfant, puis de l’histoire relationnelle, s’inscrit dans le dessin : chez B. (fillette de sept ans), le corps atteint de maladie rénale à rechutes est objet de pulsions érotiques fortement masochistes ; il est nié dans sa représentation et figuré en utilisant le symbole classique et idéalisé de la fleur (fig. 5). Ultérieurement, l’évolution de la relation d’objet et des identifications précoces diversifie les représentations des personnages.


Le dessin comme expression du développement affectif

Mieux que dans tout entretien verbal (ou parallèlement à lui), l’enfant exprime dans le dessin ce qu’il ressent et ce qu’il a ressenti dans son histoire.

• Le dessin peut ainsi être l’objet d’une étude clinique comme voie privilégiée de l’inconscient, expression du fantasme au même titre que le rêve, les rêveries diurnes, les symptômes pathologiques, les associations libres. Les thèmes proprement inconscients se révèlent par des rapprochements insolites, des répétitions injustifiées, des anomalies stéréotypées, des libertés à l’égard du principe de non-contradiction. L’analyse du symbolisme du dessin constitue un vaste chapitre de réflexion ; symbolisme universel de l’eau et du feu, de la lumière, de la nuit, de la maison, de l’arbre ; choix de l’animal comme support des projections enfantines se substituant aux personnages.

De la symbolique psychanalytique, on donnera quelques exemples simples : signification phallique des tableaux guerriers (fig. 6), des anomalies des membres (leur aspect, leur taille, leur suppression) ; signification phallique de l’automobile, des avions, des trains (fig. 7 : « père écrasant le fils ») ; le dédale des chemins de l’enfant instable, la voie sans issue du manque ; la décoration intérieure de la maison chez la fillette qui la détaille comme son propre corps ; la mère phallique, redoutable, énorme à côté d’un père en retrait, effacé, petit, retrouvée dans certains « dessins de la famille » ; l’omission de la bouche chez l’enfant anorexique ; l’ajout d’une canne à la représentation d’un père faible. Plus que le rappel de ces significations, que l’on pourrait multiplier à plaisir, l’intérêt est centré sur l’expression symbolique des conflits de chaque enfant dans son histoire entre le père et la mère, dans sa fratrie, dans son entourage. On retrouve ici les règles de condensation et de déplacement propres au processus du rêve ; en fait, plus que du rêve lui-même, le dessin est proche du récit que le rêveur en fait, et l’interprétation tient compte de la dynamique même de l’opposition entre d’une part le fantasme inconscient et la fantasmatisation secondaire, d’autre part les remaniements visant à rendre le dessin cohérent et logique, remaniements proches des mécanismes de défense du moi, visant à n’actualiser devant l’autre que l’acceptable. La structure du dessin serait ainsi proche de la structure psychologique de celui qui dessine ; cet aspect a frappé divers auteurs qui se proposaient d’étudier le dessin comme expression du « caractère » de l’enfant. F. Minkowska a opposé ainsi deux « visions du monde » avec des analogies entre le test de Rorschach et la peinture : type sensoriel comme la peinture de Van Gogh, type rationnel comme celle de Seurat.

Cette description amène à appliquer au dessin certains schémas plus vastes de M. Klein sur le jeu enfantin, « dont le but serait de transformer l’angoisse de l’enfant normal en plaisir ». Selon les deux dimensions du papier se fait ainsi la représentation de la lutte des bons et des mauvais objets internalisés, constamment projetés ; il faut insister sur cette fonction même du dessin en tant qu’abréaction des conflits, saisie active d’une situation subie passivement, extériorisation d’un vécu angoissé. Exemple clinique : l’enfant malade physiquement pratique volontiers le « jeu du médecin » et se dessine souvent en médecin orné de ses appendices thérapeutiques. Il utilise ainsi l’identification à l’agresseur comme mécanisme de défense du moi. Ailleurs, ce sont les situations traumatisantes qui sont figurées à répétition (accident, sanctions), montrant le rôle de protection du moi que joue le dessin contre l’anxiété provoquée par certaines tensions pulsionnelles. Ces répétitions ne vont pas sans laisser paraître un certain plaisir de figuration ; à ce titre, le dessin nous apparaît nécessaire à l’hygiène mentale de l’enfant.

On peut dire que le fait de dessiner est une arme défensive dans l’évolution de ses conflits ; à l’inverse, une inhibition du dessin est un signe pathologique intéressant avant que survienne, à l’âge scolaire, le désinvestissement progressif de cette activité spontanée.