Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

décoration intérieure (suite)

Le cérémonial figé des réceptions d’antan a fait place aujourd’hui à la simplicité : le salon Louis XVI et ses bois dorés ont disparu au profit de la salle de séjour avec coin repas et coin détente ; la cuisine, elle-même, où n’officie plus la domesticité d’autrefois, s’est faite agréable à l’œil grâce à la variété des matériaux qui la constituent et, de ce fait, elle s’est trouvée intégrée à la salle de séjour dans le but de faciliter le travail de la maîtresse de maison, car « aujourd’hui on ne reçoit plus, on accueille » (I. Imbert). La distribution de l’espace intérieur reste, cependant, conçue selon une vision traditionaliste de la famille envisagée comme un tout. Pourtant, par suite du clivage entre les occupations des parents et celles des enfants, dont l’autonomie va grandissante, l’idéal serait de réserver à ces derniers un espace suffisant pour les occupations qui leur sont propres.

Le style de vie est, lui-même, défini par le climat. L’habitat prend d’autant plus d’importance que celui-ci est plus rigoureux : le coin de cheminée, la moquette et les tentures épaisses accentuent le caractère feutré des intérieurs de l’Europe septentrionale, alors que le marbre, les tissus légers et les larges baies vitrées sont en harmonie avec la lumière des pays méditerranéens.

L’actualité historique, artistique, ou simple phénomène de mode, participe à l’édification du décor. La découverte de Pompéi, au xviiie s., la campagne d’Égypte, sous le Directoire, ont redonné vie au style antique, en France et en Europe. L’Antiquité a, d’ailleurs, inspiré des types de décor d’esprit très différent : les styles Renaissance et Louis XVI sont marqués au coin d’une élégance raffinée, alors que le style Ier Empire traduit le goût de la pompe. Les conquêtes territoriales ont amené un brassage des styles et accéléré l’influence de courants prédominants (campagnes d’Italie : extension de la Renaissance). De même, les désastres de l’Empire, qui laissèrent la France ruinée, expliquent la création d’un mobilier en bois du pays et de meubles à usages multiples. Aujourd’hui, l’aventure spatiale a donné naissance à une série de sièges de forme ronde, s’apparentant plus ou moins à la cabine lunaire. Les sièges de cinéma et de télévision s’inspirent du confort des sièges d’avion. Le confort est d’ailleurs un des éléments les plus marquants de notre mobilier. L’histoire de la décoration intérieure est tout aussi inséparable de celle de l’art : influence de l’architecture gothique sur le mobilier, de l’art mauresque sur le décor espagnol, de la peinture hollandaise des xvie et xviie s. sur la tapisserie. Plus près de nous, l’Art* nouveau a engendré un décor fait de lianes souples, le cubisme a marqué le mobilier de ses masses aux arêtes vives, le pop’art a introduit sur nos murs la bande dessinée, et les formes abstraites du mobilier contemporain sont dérivées de façon plus ou moins lointaine des toiles de V. Kandinsky et ne démontrent « finalement qu’une manière commune d’aborder les problèmes de la forme » (Herwin Schaeffer).

Les facteurs économiques ont également influé sur l’évolution de la décoration : niveau de vie, progrès techniques, organisation de l’industrie, etc. La création de la Compagnie hollandaise des Indes, au xviie s., a contribué à répandre, en Europe, les objets importés d’Asie et à développer le goût des chinoiseries. Le même phénomène se produira au xixe s. à propos du Japon. L’industrialisation de la production allait inciter les pouvoirs publics à stimuler la production par des manifestations telles que l’Exposition universelle de 1851, suivie de plusieurs autres jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. L’ameublement y figura, dès l’origine, en bonne place. C’était la voie ouverte au mobilier de série. Mais le passage de la production artisanale — souvent l’œuvre d’artistes en renom — à la production industrielle n’allait pas se faire sans à-coups.

L’ornementation excessive du premier mobilier industriel et son absence de style caractérisé par un amalgame incohérent des styles anciens ne pouvaient qu’entraîner une réaction de la part d’artistes authentiques, conscients de la nécessité d’un renouvellement. L’Arts and Crafts movement, qui se développa en Angleterre dans les années 1880, soutint l’artisanat comme l’avaient déjà fait John Ruskin et William Morris. L’Art nouveau devait naître, en partie, de ces idées, mais adaptées aux données de l’industrie. Josiah Wedgwood (1730-1795) et Émile Gallé (1846-1904) furent des premiers à appliquer les méthodes industrielles à une production de l’art. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, un style fait de rigueur allait naître, fruit des recherches de De Stijl*, en Hollande, et des enseignements du Bauhaus*, d’où sortirent les premiers essais d’esthétique industrielle (v. design). Cette association de l’art et de l’industrie, lente à s’instaurer en France dans le domaine de l’ameublement, s’opère cependant peu à peu sous la pression d’un public mieux informé. Le décorateur, réservé, dans la première moitié du siècle, à une clientèle fortunée (Émile Jacques Ruhlmann [1869-1933], Maurice Dufrène [1876-1955]), constitue aujourd’hui le lien indispensable entre la technique et le client. Qu’ils se définissent comme « créateurs » ou comme « interprètes », la majorité d’entre eux se considèrent comme des « architectes d’intérieur », dont l’activité touche à l’ensemble de la décoration, y compris le mobilier. À côté d’une production de luxe (Jean Royère, Suzanne Guiguichon, Henri Samuel dit Alavoine), la production en série, œuvre de décorateurs, telle que la souhaitait René Gabriel (1890-1950) tend à s’affirmer aujourd’hui (mobilier de Marc Held pour Prisunic). André Arbus (1903-1969) avait déjà eu l’idée d’un mobilier de série orné, par des artistes, de motifs originaux. Les recherches entreprises par Marcel Breuer, Le Corbusier et Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969) pour un mobilier nouveau se sont poursuivies en France avec Charlotte Perriand, René-Jean Caillette, Pierre Paulin, J. A. Motte, Alain Richard, Christian Adam, Pierre Guariche, Olivier Mourgue, André Monpoix et bien d’autres.