Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

corporation (suite)

Les nécessités économiques imposaient aux métiers de grande industrie comme aux autres de s’organiser en corporations. Leurs produits vendus au loin devaient être « standardisés » ; c’est pourquoi leur fabrication était déterminée avec précision, et la répartition des travailleurs sévèrement organisée. Aussi paradoxal que le fait puisse paraître aux regards de notre histoire devenue traditionnelle — au moins au xixe s. —, tous les métiers plus ou moins capitalistes étaient soumis aux disciplines corporatives.

Les autres l’étaient beaucoup moins, en tout cas au cours du Moyen Âge. Car, ici encore, la routine de l’histoire répète des erreurs : les corporations ne sont pas surtout un fait médiéval. Il est vrai que les États féodaux, les seigneuries puissantes ont imposé souvent à leurs travailleurs des organisations communistes. Mais c’est surtout à la fin du Moyen Âge, pour des raisons diverses, administratives, fiscales, militaires, que les institutions corporatives se sont répandues.

En France, si l’on doit admettre que leur esprit avait plus ou moins dégénéré, c’est surtout au xviie et encore au xviiie s. que leur nombre fut le plus considérable, et que leur emprise s’exerça sur la vie économique avec le plus d’efficacité. En revanche, fondées au premier chef sur des privilèges au sens le plus précis du mot, elles heurtaient les aspirations à la liberté qui, jaillissant de toutes parts, conquéraient l’« opinion générale » à l’époque des lumières. Aux prises avec des contradictions inextricables (comme beaucoup d’institutions de l’Ancien Régime), c’étaient des organismes plus ou moins sclérosés, quoique encore en expansion, que la Constituante abolit au moyen des décrets proposés par Pierre Gilbert Leroi d’Allarde (1752-1809) les 2 et 17 mars 1791.

La profondeur des traditions, la pesée des habitudes, les regrets de commodités courantes maintinrent pourtant leur souvenir. Napoléon fut peut-être favorable à leur rétablissement, proposé après 1804. Sous la Restauration, des nostalgiques de l’Ancien Régime agitèrent des projets confus. Après 1830, les bourgeois dominants écartèrent ces entraves possibles à la liberté, tandis que des ouvriers gardaient de mauvais souvenirs des « maîtrises et jurandes ». L’idée en fut pourtant entretenue sous des traits déformés dans les brumes romantiques par des fidèles attardés. Leurs vues approximatives devaient être invoquées par les dictateurs du xxe s., qui installèrent des caricatures de corporations dans leurs systèmes totalitaires.

E. C.

➙ Compagnonnage.

 E. Levasseur, Histoire des classes ouvrières et de l’industrie en France avant 1789 (Guillaumin, 1859 ; nouv. éd., Rousseau, 1900-1901 ; 2 vol.). / E. Martin Saint-Léon, Histoire des corporations de métiers de leurs origines jusqu’à leur suppression en 1791 (Guillaumin, 1897 ; 4e éd., P. U. F., 1940). / F. Olivier-Martin, l’Organisation corporative de la fronce d’ancien régime (Sirey, 1938). / E. Coornaert, les Corporations en France avant 1789 (Gallimard, 1941 ; 2e éd., Éd. ouvrières, 1968). / J. Heers, le Travail au Moyen Âge (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1965).

corps (image du)

Notion importante de la théorie et de la clinique psychanalytiques modernes.



Introduction

La question du corps dans la vie psychique, de la place qu’il y tient, du niveau (symbolique-imaginaire, conscient-inconscient) de sa représentation est une des plus confuses de la psychologie moderne. Si l’on s’en tient à celle-ci, il reste à considérer les apports de deux grands courants de recherche : la neuropsychiatrie et la psychanalyse. Ces deux directions ont eu de multiples interactions et convergences ; mais il n’en reste pas moins que les projets sont très différents. La neuropsychiatrie a eu à se poser la question de l’organisation perceptive et praxique — Comment peut-on percevoir ? Comment peut-on agir ? Y a-t-il une perception particulière du corps propre, et, si oui, quelle est-elle ? — toutes ces questions s’initiant dans la constatation des désorganisations de ces fonctions perceptives et praxiques, et aboutissant à la notion de schéma corporel. La psychanalyse, elle, a eu à constater que « quelque chose » du corps était présent dans l’inconscient, mais d’un corps qui n’a pas de rapports très directs avec le corps réel : une anatomie et une physiologie fantastiques. Ceci l’a conduite à élaborer la notion d’image du corps et à envisager dans sa théorie les rapports entre le corps et l’appareil psychique, entre les besoins et les pulsions. De ces deux directions de recherche, et de leurs points de divergence ou de convergence, nous nous proposons d’en donner ici une esquisse.


Dégagement de la notion de schéma corporel

Les attitudes gnosiques qui fondent la connaissance du corps propre sont multiples : je sais que mon corps existe comme objet, que « j’ai » un corps. Je suis capable de le décrire dans sa généralité, corps humain comme donnée quasi conceptuelle, avec les caractéristiques universelles de structure et de fonction qui y sont rattachées. Il est « ce » corps dans sa singularité, forme originale entre tous les corps.

Ces processus ne poseraient pas d’autres problèmes que ceux de la perception en général, s’il n’existait, sous-jacente à ces formes de connaissance, une certitude de reconnaissance, à savoir que ce corps est indubitablement mon corps, que je suis ce corps. À la perception du corps-objet doit se superposer, s’ajouter un mode de perception original qui me permet d’affirmer que cet objet est moi, parmi tous les objets.

C’est effectivement un mode de perception original que les premières recherches en ce sens ont tenté de distinguer, sous le nom de cénesthésie. « C’est par ce sentiment que le corps apparaît sans cesse au moi comme sien, et que le sujet spirituel se sent et s’aperçoit exister dans l’étendue limitée de l’organisme », écrivait Peisse en 1844. Le terme était vague et mal défini : cénesthésie signifie « sensations communes ». Il s’agissait essentiellement du complexe des sensations d’origine intéro- et proprioceptive, dont la caractéristique est de se limiter à la sphère corporelle. Krishaber, en 1874, à propos de l’étude des troubles de la personnalité physique et mentale, invoque une déficience de la cénesthésie, et, à sa suite, Taine puis Théodule Ribot (1839-1916) sont amenés à parler d’un « sens du corps ». L’accent était ainsi mis sur la spécificité d’une fonction mentale, qui s’occupait de grouper, en vue d’une connaissance du corps propre, des sensations d’origine interne. Quant aux sensations d’origine externe, elles n’intervenaient qu’avec une valeur d’appoint, de contrôle.