corporation (suite)
Les nécessités économiques imposaient aux métiers de grande industrie comme aux autres de s’organiser en corporations. Leurs produits vendus au loin devaient être « standardisés » ; c’est pourquoi leur fabrication était déterminée avec précision, et la répartition des travailleurs sévèrement organisée. Aussi paradoxal que le fait puisse paraître aux regards de notre histoire devenue traditionnelle — au moins au xixe s. —, tous les métiers plus ou moins capitalistes étaient soumis aux disciplines corporatives.
Les autres l’étaient beaucoup moins, en tout cas au cours du Moyen Âge. Car, ici encore, la routine de l’histoire répète des erreurs : les corporations ne sont pas surtout un fait médiéval. Il est vrai que les États féodaux, les seigneuries puissantes ont imposé souvent à leurs travailleurs des organisations communistes. Mais c’est surtout à la fin du Moyen Âge, pour des raisons diverses, administratives, fiscales, militaires, que les institutions corporatives se sont répandues.
En France, si l’on doit admettre que leur esprit avait plus ou moins dégénéré, c’est surtout au xviie et encore au xviiie s. que leur nombre fut le plus considérable, et que leur emprise s’exerça sur la vie économique avec le plus d’efficacité. En revanche, fondées au premier chef sur des privilèges au sens le plus précis du mot, elles heurtaient les aspirations à la liberté qui, jaillissant de toutes parts, conquéraient l’« opinion générale » à l’époque des lumières. Aux prises avec des contradictions inextricables (comme beaucoup d’institutions de l’Ancien Régime), c’étaient des organismes plus ou moins sclérosés, quoique encore en expansion, que la Constituante abolit au moyen des décrets proposés par Pierre Gilbert Leroi d’Allarde (1752-1809) les 2 et 17 mars 1791.
La profondeur des traditions, la pesée des habitudes, les regrets de commodités courantes maintinrent pourtant leur souvenir. Napoléon fut peut-être favorable à leur rétablissement, proposé après 1804. Sous la Restauration, des nostalgiques de l’Ancien Régime agitèrent des projets confus. Après 1830, les bourgeois dominants écartèrent ces entraves possibles à la liberté, tandis que des ouvriers gardaient de mauvais souvenirs des « maîtrises et jurandes ». L’idée en fut pourtant entretenue sous des traits déformés dans les brumes romantiques par des fidèles attardés. Leurs vues approximatives devaient être invoquées par les dictateurs du xxe s., qui installèrent des caricatures de corporations dans leurs systèmes totalitaires.
E. C.
➙ Compagnonnage.
E. Levasseur, Histoire des classes ouvrières et de l’industrie en France avant 1789 (Guillaumin, 1859 ; nouv. éd., Rousseau, 1900-1901 ; 2 vol.). / E. Martin Saint-Léon, Histoire des corporations de métiers de leurs origines jusqu’à leur suppression en 1791 (Guillaumin, 1897 ; 4e éd., P. U. F., 1940). / F. Olivier-Martin, l’Organisation corporative de la fronce d’ancien régime (Sirey, 1938). / E. Coornaert, les Corporations en France avant 1789 (Gallimard, 1941 ; 2e éd., Éd. ouvrières, 1968). / J. Heers, le Travail au Moyen Âge (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1965).