Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

constituante (Assemblée nationale) (suite)

Dans l’ordre social, c’est le triomphe de l’individualisme. Entravé autrefois par les carcans de la famille, du métier, de l’État, le génie créateur de chaque individu peut désormais se donner libre cours. À la primauté de la naissance est substituée celle du talent et du mérite. Nombreux sont les bourgeois qui croient sincèrement travailler pour le bien commun et permettre à tous d’accéder au Bonheur, maître mot du xviiie s.

Mais des textes contredisent ces intentions : ainsi la loi Le Chapelier (14 juin 1791), qui refusa « aux ouvriers le moyen de défendre leur salaire, en même temps qu’elle repoussait toutes taxations des denrées » (G. Lefebvre). L’interdiction de la coalition et du droit de grève « constitua l’une des pièces maîtresses du capitalisme de la libre concurrence : le libéralisme, fondé sur l’abstraction d’un individualisme social égalitaire, profitait au plus fort » (Albert Soboul).

Il n’y avait donc pas substitution d’un seul ordre aux trois ordres qui constituaient jadis le corps social. Pour reprendre les termes de Babeuf, on reconnaissait en fait l’existence « de l’ordre des patards [petite monnaie de l’époque], celui de l’écu, celui de la pistole et celui du marc ».

Les contemporains dénoncèrent une Constitution qu’ils jugeaient n’être favorable qu’à une fraction de la société. Ainsi, Marat écrit-il : « Pour jeter de la poudre aux yeux et faire croire que la Constitution française est réellement fondée sur les principes énoncés dans la Déclaration des droits, les jongleurs des comités de rédaction l’ont fait suivre du décret qui abolit les titres, les privilèges, les dignités et les distinctions héréditaires de noblesse [...]. Mais il est faux que les pères conscrits aient, comme ils s’en targuent, aboli toute institution qui blesse la liberté et l’égalité des droits, puisqu’ils ont commencé par établir comme base de leur travail les distinctions les plus humiliantes, les plus injurieuses et les plus injustes, en excluant du droit de cité, de l’éligibilité aux emplois publics et de l’honneur de servir la patrie la classe innombrable des infortunés déclarés inactifs, non habiles aux fonctions d’électeurs, d’administrateurs, de juges et de représentants du peuple. Qu’ont-ils donc fait ? [...] substituer les distinctions de la fortune à celle de la naissance [...]. »

À l’opposé de l’éventail politique, l’abbé Royou dénonce « une Constitution que tous les gens instruits s’accordent à regarder comme une sorte d’anarchie républicaine, présidée par un grand fonctionnaire à qui on a laissé le vrai titre de roi [...] ».

Ce sont ces deux Frances affrontées qui vont encore radicaliser la Révolution.


21 juin - 30 septembre 1791
La fuite du roi

La monarchie constitutionnelle est peu à peu mise en place. Le 21 juin, le roi s’enfuit. Il déclare n’avoir accepté que sous la contrainte les transformations du royaume. Il est dans le camp de la Contre-Révolution. Il l’imagine être celui d’une majorité de Français lassés des excès de quelques démagogues. Comme beaucoup, il est troublé par la condamnation de l’œuvre religieuse de l’Assemblée (v. Église constitutionnelle).

Cette Contre-Révolution est passée à l’action. Dans le Languedoc, le Sud-Est et la vallée du Rhône, l’Ouest, l’Alsace et la Franche-Comté, les troubles qu’elle fomente éclatent. D’avril à juin 1790, Toulouse, Nîmes, Montauban sont touchés. En juillet, c’est l’émeute à Lyon ; en août, c’est le rassemblement dans le Vivarais, au camp de Jalès. De septembre 1790 à mars 1791, c’est le tour de la Vendée, où complote le marquis de La Lézardière. Dans l’armée, les officiers contre-révolutionnaires entrent en lutte ouverte contre les sous-officiers et officiers démocrates ; à Nancy, les Suisses du régiment de Châteauvieux se révoltent en août 1790 ; le motif est le paiement de la solde. Le marquis de Bouille (1739-1800), qui préparera la fuite du roi, les fait pendre ou envoyer aux galères.

La Contre-Révolution s’exprime aussi dans de nombreux journaux subventionnés en secret par le roi. À la tribune de l’Assemblée, Jacques de Cazalès (1758-1805) et Jean Siffrein Maury (1746-1817) sont ses porte-parole. Les thèmes qu’ils développent sont identiques à ceux que l’on trouve dans les écrits des étrangers qui observent la France et s’inquiètent d’une révolution subversive de tout l’ordre social (cf. Edmund Burke, Reflections on the Revolution in France, 1790). Entre les aristocrates étrangers et français des liens se tissent. Les émigrés massés sur le Rhin ou à Turin autour du comte d’Artois préparent l’intervention armée. Les souverains étrangers refusent dans le domaine international l’instauration d’un nouveau droit où les peuples décideraient eux-mêmes du rattachement de leur terre à tel ou tel État. Que doivent devenir les terres des princes d’Empire possessionnés en Alsace ? Avignon et le comtat Venaissin ne seront-ils plus terres pontificales ? L’arrestation du roi à Varennes, « exemple effrayant », pousse le roi de Prusse et l’empereur à déclarer que le rétablissement de l’ordre en France est une affaire d’intérêt européen (Pillnitz, 27 août). En fait, le manifeste qu’ils publient cache l’impossibilité d’agir en commun des puissances aux intérêts divergents.

Mais le danger demeure pour les révolutionnaires. Or, la fuite vers Varennes les divise. Les masses populaires, s’appuyant sur les clubs des Jacobins et des Cordeliers, réclament la déchéance du roi et la proclamation de la république. Mais les Feuillants opposent à ces exigences le thème de la conservation sociale.

Les députés se rangent en majorité à leur avis et à celui de Barnave. Le 17 juillet, la loi martiale étant proclamée, on fusille la foule venue au Champ-de-Mars signer une pétition républicaine. On absout le roi, sa fuite étant présentée comme un « enlèvement ». Il prête serment le 14 septembre. Seize jours plus tard, l’Assemblée se sépare. La Législative va se réunir, alors que la tension intérieure et extérieure reste grande. Les membres de cette nouvelle Assemblée sont tous des hommes nouveaux, la Constituante ayant, sur proposition de Robespierre, interdit la réélection de ses membres.

J.-P. B.

➙ Biens nationaux / Droits de l’homme et du citoyen (déclaration des) / Louis XVI / Necker (Jacques) / Révolution française.