Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Cappadoce (suite)

 E. Chantre, Mission en Cappadoce (Leroux, 1898). / G. de Jerphanion, Une nouvelle province de l’art byzantin. Les églises rupestres de Cappadoce (Geuthner, 1925-1942 ; 3 vol.). / N. et M. Thierry, Nouvelles églises rupestres de Cappadoce (Klincksieck, 1964). / Arts de Cappadoce, répertoire monumental et chronologie (Nagel, 1971).


L’art chrétien de Cappadoce

La Cappadoce est célèbre, et à juste titre, pour ses monuments chrétiens, qui illustrent le passé glorieux d’une province connue pour sa foi précoce et intense. Si les monuments de l’époque patristique restent inconnus, quelques églises construites au ve et au vie s. sont conservées, telles la basilique à trois nefs de Göreme de l’Argée (près de Develi) ou Kızıl kilise (près de Sivrihisar), édifice en croix libre à coupole qui serait l’église funéraire de Grégoire de Nazianze. Ces monuments témoignent d’une des périodes d’apogée de l’Asie Mineure, qui prit fin au cours du viie s. avec les invasions arabes. À partir de 863, les contre-offensives grecques sont victorieuses, et la Cappadoce retrouve sinon la prospérité, du moins la paix. Il ne s’agit plus alors d’une campagne monumentale comparable à celle de l’ère romaine ou proto-byzantine, mais quelques églises sont construites, dont Karagedik kilisesi, dans le vallon de Peristrema (fin du xe s.), et Çanlı kilise, au sud-est d’Aksaray (début du xie s.) ; elles ont les caractères byzantins de l’époque, le plan en croix inscrite avec coupole centrale, les parements de brique et pierre en lits alternés ; elles ont conservé quelques fragments des peintures qui les décoraient.

Au petit nombre d’églises construites s’oppose la multitude des sanctuaires rupestres. Les plus grandes concentrations s’observent dans le vallon de Peristrema et surtout dans les environs d’Ürgüp, à Göreme, Çavuş In, Cemil, Soğanlı, etc. Le tuf tendre se prête aux installations troglodytes, et le sol volcanique est fertile une fois irrigué. Ainsi, dès l’Antiquité se constituèrent de petites communautés agricoles aux abords des points d’eau. À l’époque chrétienne, la cohabitation des moines et des paysans connut les fortunes diverses du peuplement grec en Cappadoce.

Les monuments troglodytes ont été assez bien conservés, mais leur protection contre les déprédations diverses constitue aujourd’hui un important problème. La Cappadoce constitue en effet une véritable « réserve » de peintures chrétiennes du vie au xiiie s. ; on compte actuellement près de cent cinquante décors utilisables pour l’historien de l’art. Certains décors pré-iconoclastes, les peintures iconoclastes d’Haghios Basilios (près de Sinasos), quelques programmes des ixe et xe s. n’ont aucun autre équivalent byzantin ; leur témoignage comble des vides importants dans l’histoire de la peinture grecque, modifiant certaines définitions établies à partir des seuls monuments constantinopolitains et balkaniques. Enfin, quelques décors du haut Moyen Âge montrent d’intéressantes parentés avec les œuvres décoratives du monde méditerranéen contemporain, chrétien et musulman.

Si la chronologie prête encore à discussion, l’étude approfondie des monuments permet d’aboutir à une classification cohérente. D’une part, on peut décrire un groupe pré-iconoclaste (vie-viiie s.) dans lequel s’inscrit le décor iconoclaste d’Haghios Basilios (726-780), qui n’en est qu’une variante sans figures sacrées. D’autre part se présente un groupe post-iconoclaste comprenant des églises des ixe, xe, xie et xiiie s. Entre les églises du haut Moyen Âge et celles de la période qui suit immédiatement l’iconoclasme (seconde moitié du ixe s. et première moitié du xe), la rupture des traditions est à peu près complète. Par un heureux hasard, l’église Saint-Jean de Güllü Dere (près de Çavuş In) a conservé deux décors superposés : sous la couche datée de 913-920, on reconnaît un programme caractéristique du haut Moyen Âge.

Le groupe pré-iconoclaste, auquel se rattachent trois ou quatre églises iconoclastes, est celui qui a le plus souffert de phénomènes d’érosion ; il représente encore plus de 15 p. 100 de l’ensemble. Son monument le plus remarquable est la grande basilique de Çavuş In (fin du ve s.) ; celle-ci est creusée au sommet de la falaise, sous la nécropole ; sa colonnade, les décors sculptés de sa façade, la fosse à reliques creusée dans l’abside témoignent de son importance passée. À l’intérieur, les peintures sont d’époques diverses ; l’image votive du sacrifice d’Abraham et celle des trois Hébreux dans la fournaise peuvent être attribuées au vie s. L’art du haut Moyen Âge, où dominent les vastes surfaces ornementales, les icônes de saints, les grandes croix couvrant plafonds et voûtes, se voit à Haghios Stephanos (près de Cemil), dans l’église du styliste Nicétas (non loin d’Ortahisar), ou dans l’église iconoclaste d’Haghios Basilios (près d’une croix, on lit : « Le Christ ainsi figuré ne subit aucun dommage, car il ne saurait être représenté par l’image »).

Les églises de la seconde moitié du ixe s. et de la première moitié du xe représentent à peu près 35 p. 100 de l’ensemble. Le décor le plus représentatif de cette série « archaïque » se voit à Tokalı, ancienne église (Göreme) : celle-ci sert aujourd’hui d’entrée à la grande église creusée au milieu du xe s. À la voûte, l’enfance et la vie du Christ sont racontées en registres superposés ; on illustrait surtout les Évangiles apocryphes, comme plus tard en Occident. Ces peintures, d’un style assez schématique, sont du même atelier que celles de Saint-Jean de Güllü Dere. Dans d’autres églises, cette iconographie est traitée de façon plus plastique : ainsi à Kılıçlar kilise (près de Göreme), dont le beau style est celui des débuts de la Renaissance macédonienne. Ailleurs, comme à Saint-Eustache (Göreme), les « bandes » narratives empruntent des formes particulièrement populaires.

L’apogée de la Renaissance macédonienne est illustré par la nouvelle église de Tokalı, où les figures courtes des décors du début du siècle sont remplacées par d’élégantes et nobles silhouettes aux proportions classiques. Le xie s. est encore très créateur (25 p. 100 des églises), mais il est marqué par des programmes strictement orthodoxes ; les cycles narratifs sont remplacés par l’illustration des fêtes liturgiques : progressivement, l’Église de Constantinople a épuré les sources d’inspiration. Là encore, le style est variable, mais toujours de bonne qualité, y compris dans ses formes populaires (Saklı kilise, près de Göreme). Il est schématique et archaïsant dans la belle église d’Eski Gümüş (près de Niğde), expressionniste à Karabaş kilise (vallon de Soğanlı ; décor daté de 1060-1061), doux et poétique à Myriamana (Göreme), académique et aristocratique dans les trois célèbres églises à colonnes de Göreme (Elmalı k., Çarıklı k., Karanlık k.). La préciosité qu’on découvre dans ces trois églises annonce le maniérisme qui s’épanouira à Byzance au xiie s., mais c’est une évolution que la Cappadoce n’a pas connue. En effet, aucun décor n’est attribuable à la fin du xie s. et au xiie : l’installation des Turcs et le dépeuplement de la région expliquent ce silence.

Une éphémère et médiocre renaissance est attestée au xiiie s. par de nombreuses inscriptions et quelques décors (10 p. 100). Un des mieux conservés est celui de l’église des Quarante-Martyrs de Suveş (1216-1217). En fait, du xiie au xive s., le grand art monumental de Cappadoce est musulman.

N. T.

➙ Byzantin (art).