Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Capétiens (suite)

Ainsi se constitue une classe de légistes imbus de droit romain et pour lesquels le roi n’est que le garant de la res publica en vertu d’un pouvoir dont il n’est que le dépositaire. Illustrée d’abord par le second Philippe de Beaumanoir, auteur du Livre des coutumes et usages du Beauvaisis (v. 1280), puis et surtout par Pierre Flote, Guillaume de Nogaret et Enguerrand de Marigny, dont l’action politique se confond avec celle de Philippe IV le Bel, cette classe de légistes amorce la restauration de la notion d’État aux dépens de la conception familiale et patrimoniale de la royauté.

Bien secondés par ces dévoués serviteurs, les Capétiens s’assurent habilement tant de la fidélité de l’Église (sacre) que de celles des bourgeoisies urbaines et des communautés rurales, auxquelles ils concèdent généreusement chartes de communes et chartes de franchises, ce qui amène les unes et les autres à s’intéresser plus étroitement au maintien de l’ordre public ; surtout ils réussissent à se constituer une importante force armée, qui ajoute des mercenaires soldés (prisée des sergents de 1194) et des milices urbaines à l’ost féodal.


Conclusion

Aussi n’est-il pas étonnant que les princes de cette dynastie apparaissent comme les monarques les plus puissants d’Europe au début du xive s. À eux revient le mérite d’avoir assuré la transition essentielle entre la monarchie féodale des xie et xiie s. et la monarchie absolue des Temps modernes. À eux aussi la chance de disparaître de la scène de l’histoire au moment où les derniers souverains de cette dynastie semblent tentés, selon Robert Fawtier, de « renoncer à la ligne de conduite qui l’avait menée au succès ».

Le sacre des rois capétiens

À l’exception de Hugues Capet, qui reçut la couronne royale à Noyon le 5 juillet 987, tous les autres rois de France furent sacrés à Reims en présence des pairs laïcs et ecclésiastiques. La cérémonie était double, parce qu’elle comprenait d’une part la remise des insignes de la royauté (la couronne, le sceptre, la main de justice, l’épée, etc.) et d’autre part (et surtout) une onction faite sur la tête et différentes parties du corps du nouveau souverain par l’archevêque de Reims à l’aide non pas d’huiles bénites, comme pour les prêtres, mais d’un chrême dont la composition (mélange d’huile et de baume) était analogue à celle du chrême qui servait à consacrer les évêques. Ainsi, comme les rois d’Angleterre à la même époque et comme les rois d’Israël jadis, les rois de France se trouvaient-ils revêtus d’un caractère d’autant plus sacré que la tradition attribuait, au moins depuis le ixe s., une origine miraculeuse au « saint chrême », qui aurait été apporté, selon cette tradition, à saint Remi par une colombe le jour du sacre de Clovis ; contenu dans une « Sainte Ampoule », détruite par le Conventionnel Philippe Jacques Ruhl en 1793, ce chrême aurait possédé l’étonnante propriété de ne jamais baisser de niveau bien que quelques gouttes en soient puisées à chaque sacre et bien qu’à partir du xive s. l’ampoule se soit vidée après chacun d’eux pour se remplir miraculeusement au suivant. Sans doute la légende travestit-elle doublement la réalité, d’abord parce que Clovis n’a été que baptisé à Reims, ensuite parce que la cérémonie du sacre est une innovation carolingienne.

Elle n’en contribue pas moins à faire du souverain une sorte d’évêque du dehors, personnage à la fois religieux et mystique, qui tient de son onction le pouvoir miraculeux de guérir les écrouelles, selon une autre tradition qui remonte sans doute à Robert II le Pieux et qui fait des Capétiens des rois médecins, des rois thaumaturges. Bien que le rite du sacre n’implique pas la substitution du principe d’hérédité de la Couronne au principe électif, qui survit sous la forme de l’acclamation populaire, il n’en reste pas moins significatif que cette dernière est sollicitée par deux évêques non plus avant, mais après la cérémonie à partir du règne de Louis IX. Le sacre ne constitue qu’un des éléments qui légalise le pouvoir royal des Capétiens ; ceux-ci font débuter leur règne non pas le jour de sa célébration, mais le jour de leur avènement. Pour le peuple, le sacre apparaît cependant très vite comme étant le seul élément justificatif de leur pouvoir, à tel point qu’il ne reconnaît ce dernier à leurs souverains qu’au soir de leur sacre : ainsi, pour les Français du xve s., Charles VII n’est-il vraiment reconnu légitime roi de France qu’à l’issue de la cérémonie de Reims, le 17 juillet 1428.

P. T.

➙ France / Louis VI / Louis VII / Louis IX / Philippe II Auguste / Philippe IV.

 Les Grandes Chroniques de France (Champion, 1920-1938 ; 9 vol.). / A. Longnon, la Formation de l’unité française (Picard, 1922). / M. Bloch, les Rois thaumaturges (Istra, 1924) ; la France sous les derniers Capétiens, 1223-1328 (A. Colin, 1958). / C. Petit-Dutaillis, la Monarchie féodale en France et en Angleterre, xe-xiiie siècle (Renaissance du Livre, coll. « Évolution de l’humanité », 1933). / W. M. Newman, le Domaine royal sous les premiers Capétiens, 987-1180 (Sirey, 1937). / C. Petit-Dutaillis et P. Guinard, l’Essor des États d’Occident : France, Angleterre, péninsule Ibérique (P. U. F., coll. « Histoire Générale », sous la dir. de G. Glotz, 1937 ; nouv. éd., 1944). / R. Fawtier, les Capétiens et la France (P. U. F., 1942). / R. Pernoud, la Formation de la France (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1945 ; 3e éd., 1966). / F. Lot et R. Fawtier (sous la dir. de), Histoire des institutions françaises du Moyen Âge (P. U. F., 1957-1962 ; 3 vol.). / J. F. Lemarignier, le Gouvernement royal aux premiers temps des Capétiens, 987-1108 (A. et J. Picard, 1965). / C. T. Wood, The French Apanages and the Capetian Monarchy, 1224-1328 (Cambridge, Mass., 1966). / M. Pacaut, les Structures politiques de l’Occident médiéval (A. Colin, coll. « U », 1969). / G. Duby (sous la dir. de), Histoire de la France des origines à 1348. Naissance d’une nation (Larousse, 1970).