Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

canonique (droit) ou droit canon

Ensemble des normes juridiques qui régissent à une époque donnée l’activité des chrétiens ou des Églises en tant qu’institutions.



Généralités

Les Églises chrétiennes obéissent à des traditions juridiques différentes selon qu’il s’agit de l’Église latine, des Églises issues de la Réforme de Luther ou des différentes Églises orientales, qu’elles soient ou non unies à Rome. On n’envisagera ici que le droit de l’Église catholique latine.

Essentiellement religieux, le droit canon repose sur des bases en grande partie préjuridiques. Il systématise en effet des éléments considérés comme de droit naturel et d’autres comme de « droit divin », c’est-à-dire en relation étroite avec la théologie dogmatique. Cela se vérifie surtout dans le domaine du droit public (constitution hiérarchique de l’Église, primauté du pape, pouvoir collégial des évêques) et dans celui du droit appelé « sacramentaire ». Même dans le domaine des lois contingentes (la plupart des lois du Code), une finalité métajuridique est visée : la sainteté et l’épanouissement de la vie chrétienne.

Le droit canonique n’en est pas moins un vrai droit, fortement marqué par le vocabulaire et les institutions du droit romain. Il fonde des obligations et des droits véritables, tempérés par les coutumes particulières, les privilèges et les dispenses.


La naissance du droit canonique

Dans le Nouveau Testament, les lettres de l’apôtre Paul contiennent déjà quelques prescriptions concernant la vie chrétienne, le choix des évêques, des diacres, le bon ordre dans les communautés, les rapports des chrétiens avec les païens. Plusieurs documents du iie s. développèrent cet embryon de législation : la Didakhê (fin du ier s. - début du iie s.), les Lettres de saint Ignace, évêque d’Antioche († v. 107), l’Apologie de saint Justin (v. 100 - v. 165) montrent que des coutumes locales s’établissent alors, qui doivent être respectées.

Les évêques d’une même région se réunissent parfois en conciles locaux. Ces réunions se multiplieront à partir du iiie s. : une législation de circonstance se crée ainsi, dont les canons, ou règles de droit, circuleront facilement d’Église à Église. Elle concerne surtout la discipline du clergé, les biens de l’Église, les lieux du culte, l’observance du dimanche, la liturgie. Nombre de ces règles seront regroupées et systématisées dans des collections postérieures, atteignant ainsi une audience universelle. Les conciles généraux de Nicée, de Constantinople et de Chalcédoine statueront de même, non seulement en matière dogmatique, mais aussi en matière disciplinaire.

De leur côté, les papes agissent fréquemment par lettres décrétales pour régler des questions particulières. La collection du moine Denys le Petit rassemblera au ve s. les décisions jugées les plus importantes. Les empereurs interviennent également dans la vie de l’Église. Signalons, pour l’Orient, le Code Théodosien (438), le Digeste et les Novelles de Justinien (v. 530-565) : ce droit romain, peu connu tout d’abord en Occident, sera redécouvert au xie s. et exercera alors une grande influence sur le droit du Moyen Âge. En Occident, les capitulaires de Charlemagne seront, eux aussi, à la base de nombreuses compilations canoniques.


L’âge d’or du droit : les grandes collections

Le Moyen Âge voit naître les grandes collections juridiques, dites « systématiques », où sont regroupées les lois — parfois contradictoires et émanant d’autorités fort diverses — qui concernent un même sujet. Les plus connues sont le Décret de Gratien, moine camaldule de Bologne (v. 1140-1150), qui exerça une influence considérable sur le droit de l’Église par la richesse des textes cités et surtout par sa méthode d’interprétation de textes discordants. Le Décret — ou Concordia discordantium canonum — sera désormais l’œuvre de référence dans les universités, où il sera commenté par de nombreux « décrétistes ».

Les institutions juridiques de la chrétienté latine se précisent largement avec l’activité des conciles généraux qui se tiennent au Latran en 1123, 1139, 1179 et 1215. C’est l’époque des grands papes canonistes qui ont nom Alexandre III, Innocent III, Grégoire IX. Sous l’autorité de ce dernier, le dominicain saint Raimond de Peñafort réunit en une seule collection les cinq livres des décrétales — ou lettres pontificales —, modifiant ou abrégeant le texte selon les circonstances nouvelles afin de leur donner une audience universelle. Le livre des Décrétales est envoyé officiellement par le pape aux universités en 1234.

Jusqu’au Code de droit canonique de 1917, les décrétales de Grégoire IX (commentées par les décrétalistes) formeront, avec le recueil de Gratien et quelques textes pontificaux postérieurs (le livre Sexte de Boniface VIII publié en 1299, les Clémentines, décrétales de Clément V, publiées en 1317 par Jean XXII, et les Extravagantes), le grand recueil juridique de l’Église.


La centralisation romaine

Avec le concile de Trente (1545-1563) et la profonde réforme intérieure menée par l’Église en réaction contre la Réforme s’ouvre une période de législation intense marquée par la centralisation du droit et l’affirmation de la puissance de la curie romaine.

Les règles disciplinaires édictées par le concile de Trente affectèrent surtout la vie sacramentelle (législation du mariage et sacrement de l’ordre), la vie des évêques et des prêtres, la vie des moines et des religieux, la formation sacerdotale, la création des séminaires, les biens ecclésiastiques. De nombreux synodes locaux et conciles provinciaux mirent en œuvre les décisions du concile de Trente. L’essentiel de cette législation passera dans le Code de 1917 et demeure en vigueur jusqu’à nos jours.

La curie romaine, réformée sans cesse par les papes, fut en mesure, par ses congrégations, ses offices, ses tribunaux, d’intervenir fréquemment et avec efficacité non seulement dans la vie administrative, mais aussi dans le domaine juridique proprement dit. Réglementant minutieusement la vie des diocèses et des chrétiens, les réponses et les décisions émanant des congrégations romaines formèrent une jurisprudence qui s’imposait à tous.