Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

boue

Dispersion, dans l’eau, de poussières de natures diverses, minérales et organiques, formant un mélange stable, de consistance variable suivant le rapport pondéral poussière/eau, facteur essentiel, mais non exclusif du degré de viscosité.


Selon la composition et le degré d’affinité des éléments les plus fins du mélange, la boue, au point de vue rhéologique, peut avoir les caractéristiques d’un liquide très visqueux et sans structure notable, ou celle qui est voisine d’une suspension colloïdale douée d’un certain degré de rigidité, résultant d’une réticulation intergranulaire tridimensionnelle. Ce degré de rigidité peut être défini, pour une viscosité apparente déterminée, par l’angle qu’il convient d’imposer à une tranche d’épaisseur donnée et de surface horizontale, pour qu’il y ait rupture d’équilibre statique par fluage de la boue.


Propriétés générales

La valeur de l’effort F qui doit être appliqué à un élément de surface de 1 cm2, parallèle à la surface d’une tranche de boue fine d’épaisseur e, pour donner à cet élément un déplacement à la vitesse V est fournie par la formule

η étant un coefficient de viscosité pure et f un facteur caractérisant la « rigidité ». En général et en première approximation, les nombres η (coefficient de viscosité) et f (coefficient de rigidité) sont des constantes. La valeur de f peut varier, selon la nature de la boue, depuis une valeur nulle jusqu’à une valeur caractéristique, toujours relativement faible vis-à-vis de la quantité
1. Si le coefficient f est nul, on a La boue est douée de viscosité pure, sans aucune structure rigide interne. Si faible que soit la force F, la vitesse de déformation V n’est pas nulle ; de ce fait, si petit que soit l’angle d’inclinaison donné à la tranche de boue à partir de l’horizontale, il y a rupture d’équilibre et fluage jusqu’à ce qu’une nouvelle surface horizontale soit atteinte. La vitesse ne s’annule que si la force F devient nulle. Le rapport est le gradient de déformation de la tranche de boue d’épaisseur e et caractérise la « distorsion » imposée à cette tranche.
2. Si le coefficient f n’est pas nul, on peut écrire La vitesse de déformation V ne prend naissance que si la différence F – f est positive ; si F = f, la vitesse V est nulle et le reste tant que l’effort F n’atteint pas la valeur f, qui peut être très faible. Une tranche de boue horizontale peut donc prendre une certaine inclinaison sans que l’équilibre soit rompu ; au-delà de cette inclinaison, le fluage commence. À ce moment, les liaisons rigides sont rompues, la valeur f s’annule durant le mouvement et la tranche de boue peut reprendre la forme d’une surface horizontale, ainsi que son équilibre. Par le repos, les liaisons rigides, dues à la formation spontanée d’une microréticulation intergranulaire, se reconstituent en un temps plus ou moins bref, appelé durée de raffermissement ; le liquide, rendu simplement visqueux durant le mouvement (c’est-à-dire obéissant à la formule avec V′ > V), redevient rigide dès que la position horizontale est retrouvée. Durant le fluage, d’ailleurs, l’effort F diminue au fur et à mesure que la surface se rapproche de nouveau de l’horizontalité ; la vitesse V′ diminue proportionnellement à l’effort F, et, quand, de nouveau, l’horizontalité est acquise, les deux quantités F et V′ s’annulent ; la valeur F se reconstitue ensuite. Cette propriété de réversibilité entre deux états, fluidification par le mouvement et rigidification par le repos, qui peut se répéter un nombre indéterminé de fois, est dénommée thixotropie. Elle est, en fait, une propriété colloïdale ; c’est la faculté de passage d’un sol (solution à l’état fluide) à un gel (solution à l’état rigide). Les sols, ou solutions colloïdales, sont des dispersions d’éléments très fins, ou micelles, de dimensions variables, mais comprises entre 0,2 et 0,02 μ.

Les émulsions sont comparables, par leurs propriétés, aux sols colloïdaux, mais avec des grosseurs de particules plus fortes (de 0,5 à 5 μ). Elles peuvent être constituées par des dispersions stabilisées soit de globules d’un liquide non miscible au liquide aqueux dispersant, soit de particules solides de dimensions analogues à celles des globules. Les émulsions, qu’il s’agisse de globules liquides ou de fines particules solides, sont maintenues à l’état de liquides stables grâce à des substances appelées émulsifs, qui sont adsorbées en couche monomoléculaire à la surface des micrograins ou des microglobules dispersés, mais qui ne les empêchent de se souder et de se réticuler que durant un temps plus ou moins long. En fait, les émulsions acquièrent une très légère rigidité par le repos ; elles se trouvent donc plus ou moins gélifiées, état de transition qui aboutit finalement à la rupture de l’état émulsifié, c’est-à-dire à la floculation des éléments ; c’est un phénomène tout à fait comparable à la floculation des colloïdes, la floculation étant caractérisée par la séparation totale des phases dispersantes et dispersées, opérée brutalement, avec extériorisation de ces phases, tandis que la gélification, ou formation d’un gel, est une séparation partielle, plus ou moins complète, des deux phases, qui, toutefois, ne s’extériorisent pas, mais demeurent étroitement mêlées. Un facteur qui joue un rôle essentiel dans les ruptures d’équilibre, telles que la floculation, est le mouvement brownien, dû au bombardement des particules dispersées par les molécules du liquide dispersant, sujettes à l’agitation moléculaire, en relation avec la température. Le mouvement brownien est sensible dans les émulsions dont la dimension des particules est fine, c’est-à-dire ne dépassant pas 1 μ. Il est intense quand les particules ont une dimension inférieure à 0,5 μ ; comparée à la vitesse de sédimentation ou de « crémage », selon la densité de la phase dispersée par rapport à la densité du milieu dispersant, dans le cas où les grains sont très petits ou dans le cas où la différence de densité des deux phases est faible, la vitesse des particules dans le mouvement brownien est beaucoup plus forte que celle du mouvement continu de chute ou de remontée.