Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bonaparte (les) (suite)

L’ascension de Napoléon profite à Joseph : après plusieurs mois passés comme ambassadeur à Rome, il revient à Paris pour se faire élire, en même temps que Lucien, au Conseil des Cinq-Cents (1798). Au retour de l’expédition d’Égypte, les deux frères accueillent avec satisfaction le nouvel Alexandre. Pourtant, le 19 brumaire an VIII (10 novembre 1799), Lucien joue un rôle décisif dans la carrière de Napoléon. Lorsque, accueilli par les Cinq-Cents aux cris de « Hors-la-loi ! », ce dernier sort bouleversé de l’Orangerie de Saint-Cloud, Lucien, qui préside l’assemblée, tente de tenir tête aux députés. Hué à son tour, il va rejoindre son frère, monte à cheval à ses côtés et harangue les grenadiers du Corps législatif, les convainquant que les « audacieux brigands » des Cinq-Cents se rebellent contre les Anciens et contre le général chargé de l’exécution des décrets. Les députés seront dispersés. Lucien a sauvé une situation lourdement compromise, ce que Napoléon acceptera de mauvaise grâce ; c’est peut-être de ce jour de brumaire que date l’hostilité qui ne cessera de les opposer. Quoi qu’il en soit, en récompense, Lucien est nommé ministre de l’Intérieur (1800), puis obtient l’ambassade de Madrid.


« Je n’aime pas ces mariages d’amourettes... »

Plus que jamais, Napoléon, désormais au pouvoir, estime avoir un droit de regard sur sa famille. Il facilite le mariage de la coquette Caroline « à l’ambition désordonnée » avec Murat (1800), laisse la même année Joseph conclure un traité avec les États-Unis ainsi que les paix de Lunéville (1801) et d’Amiens (1802). Pense-t-il aussi déjà à sa succession ? Il marie (1802) sa belle-fille, Hortense de Beauharnais, avec son protégé, Louis, au caractère sombre et anxieux. « Nous n’aurons peut-être pas d’enfants, dit-il à Joséphine. J’ai élevé Louis, je le regarde comme un fils. Ta fille est ce que tu chéris le plus au monde. Leurs enfants seront les nôtres... » Mais il se méfie surtout de l’esprit d’intrigue et d’insoumission de Lucien : lorsqu’on lui annonce que celui-ci, après la mort de sa femme, a épousé secrètement (1803) Alexandrine de Bleschamp, veuve du spéculateur ruiné Jouberthon, sa colère éclate devant ce « mariage de carnaval », malgré les tentatives d’apaisement de Letizia. Ulcéré, Lucien, sans céder, s’exile en Italie, cette Italie où Pauline, devenue veuve, va se remarier avec le richissime prince Borghèse (1803). Napoléon ne soulève pas d’obstacle à ce dernier mariage. Il a d’autres soucis : juste avant de monter sur le trône, il apprend que Jérôme s’est, à dix-neuf ans, marié aux États-Unis avec une jeune beauté de Baltimore, Elisabeth Paterson. Sa fureur est sans bornes. Il somme le coupable de rentrer en France. Après quelques protestations, le cadet obéit : le Conseil d’État déclarera le mariage inexistant. Jérôme n’a pas à se repentir de sa soumission : il est couvert d’or, nommé prince français et contre-amiral.


Rois d’Empire

« Je ne veux plus avoir de parents dans l’obscurité ; ceux qui ne s’élèveront pas avec moi ne seront plus de la famille », proclame le nouvel empereur. Mais il ajoute : « Mes frères ne sont grands que par moi ; ils ne sont grands que parce que je les ai faits grands. » Napoléon distribue les royaumes, mais entend rester le maître. Joseph a reçu le titre de prince et de Grand Électeur : l’épineuse question de la succession au trône de France préoccupe fort ce Corse susceptible et amène des heurts entre lui et l’Empereur. Il croit bon de refuser la couronne d’Italie, que lui offre son frère. Il accepte toutefois celle de Naples (1806). Charge honorifique ou véritable souveraineté ? Le roi s’attache les Napolitains par sa bienveillance et par sa simplicité — ce qui lui vaut souvent de vives remontrances —, et entreprend des réformes sociales et politiques : suppression de la féodalité, fermeture de nombreux couvents, réorganisation administrative et financière.

Grand connétable de l’Empire, Louis est nommé, en 1806, roi de Hollande. Le nouveau roi prend au sérieux sa tâche, mais entre vite en conflit avec Napoléon, dont il contrecarre la politique. Les sujets de litige sont nombreux : l’établissement du Code civil, le séjour des troupes d’occupation dans son royaume, et surtout l’application du Blocus continental en Hollande. Par ailleurs, la mésintelligence qui règne entre lui et Hortense irrite l’Empereur. Autre motif d’inquiétude : Jérôme. Napoléon l’a marié (1807) avec la princesse Catherine de Wurtemberg et l’a fait roi de Westphalie, royaume créé de toutes pièces. Dans sa capitale, Kassel, ce roi d’opérette mène une vie de plaisirs, accumule les dettes, dépense les revenus de l’État à tort et à travers. Quant à Lucien, le « rebelle », dans son exil romain, il refuse d’abandonner sa « coquine » et de céder à son frère. Leur entrevue à Mantoue (1807) ne les réconciliera pas. Trois ans plus tard, partant pour l’Amérique, il sera capturé par un navire britannique et traité en prisonnier de guerre.

En 1808, Joseph reçoit l’ordre de quitter Naples pour monter sur le trône de Madrid : Murat, grand-duc de Berg depuis 1806, le remplace dans le royaume napolitain, et Caroline ceint avec joie cette couronne. Joseph, el rey intruso (« le roi intrus »), comprend rapidement dans quel guêpier l’Empereur s’engage en Espagne. « Personne n’a dit toute la vérité à Votre Majesté, lui écrit-il : il n’y a pas un Espagnol qui se montre pour moi. Non, sire, vous êtes dans l’erreur. Votre gloire échouera en Espagne. » Après la capitulation de Baylen, il s’enfuit de sa capitale et ne sera rétabli sur le trône madrilène que grâce à l’intervention de Napoléon. Joseph essaie en conscience de faire son métier de roi dans une Espagne en feu. En Hollande, Louis est obligé de signer un traité qui enlève toute indépendance à son pays. L’Empereur ne le ménage pas : « En dehors de moi, vous n’êtes rien... Votre gouvernement veut être paternel. Il n’est que faible. » Louis tente en vain de réagir ; il finit par abdiquer (1810) et se réfugie en Bohême, puis en Autriche, d’où il proteste solennellement contre la réunion de la Hollande à l’Empire. Seule Elisa, grande-duchesse de Toscane depuis 1809, gouverne ses départements avec sagesse au gré de Napoléon, mécontent des débordements amoureux de Pauline en Italie, tandis que Madame Mère s’efforce, comme toujours, de calmer les esprits et de rétablir la concorde.