Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Blok (Aleksandr Aleksandrovitch)

Poète russe (Saint-Pétersbourg 1880 - id. 1921).



Il n’y a pas eu d’événements dans la vie de mon héros...

Telle apparaît à Blok sa propre existence lorsqu’il rassemble les matériaux de son poème autobiographique Représailles. Et, de fait, saisies de l’extérieur, les grandes lignes de sa vie d’homme et d’écrivain accusent surtout la continuité, l’absence d’exceptionnel.

Deux décors seulement ou presque servent de cadre à cette existence. Hormis trois voyages à l’étranger (l’un en Italie [1909], les deux autres en France [1911 et 1913]) et quelques séjours en Allemagne, où il accompagne sa mère aux eaux de Bad-Nauheim, Blok ne quitte Pétersbourg que pour retrouver chaque été, dans le gouvernement de Moscou, le domaine familial de Chakhmatovo, ce « coin de paradis » auquel sont liés les meilleurs souvenirs de son enfance et de son adolescence heureuses de petit patricien. C’est là surtout que se noue entre sa mère et lui une intimité de cœur et d’esprit qui ne se relâchera jamais. Là aussi qu’un second attachement est scellé quand, en 1903, il épouse la jeune fille de ses rêves, la belle Liouba Mendeleïeva, fille du chimiste célèbre. Bref bonheur. Moins de deux ans plus tard, son meilleur ami, le poète Andreï Belyï* s’éprend de Liouba. Liouba connaîtra d’autres aventures ; pourtant elle restera l’unique. Blok l’accueillera à chaque retour. Ensemble, pendant les dures années qui suivent la Révolution, ils s’épaulent, et elle est près de lui à ses derniers moments.

La littérature a déjà sa place dans les jeux d’enfant de Blok, qui, très tôt, s’essaie à composer des vers (les archives familiales ont conservé son premier quatrain écrit à l’âge de cinq ans), « édite » une revue, embauche les membres de la famille comme collaborateurs, monte des représentations théâtrales privées.

1903 est l’année de son « baptême littéraire ». Accueilli chaleureusement par les symbolistes de la première génération Dmitri Merejkovski et sa femme, Zinaïda Hippius, il peut faire paraître dans leur revue la Voie nouvelle quelques-unes des huit cents pièces dédiées à sa fiancée, prélude au recueil de 1904 des Vers de la belle dame. Touché d’abord par le philosophe-poète Vladimir Solovev, pour qui tout le visible « n’est qu’ombre et reflet de ce que ne voient pas nos yeux », Blok est aussi séduit par la nouveauté des vers de Brioussov inspirés par Verhaeren (Urbi et Orbi, 1903) et en imite les images et les rythmes dans son cycle la Ville (1904-1911). Mais il se sent surtout très proche des conceptions de Viatcheslav Ivanov et de Belyï, qui attestent l’existence, en face du monde diurne des idées claires, du monde nocturne des essences, par lequel l’homme se trouve en communion avec l’univers.

Reconnu comme le plus pur représentant du symbolisme russe, Blok ne verra pas sa carrière interrompue par les bouleversements historiques et politiques. En 1905, il avait, en tête d’un cortège, porté le drapeau rouge. Il accueille en 1917 la révolution d’Octobre et lui consacre son plus beau poème, les Douze. Puis le poète se tait. Seul l’homme de lettres continue de produire. Mais sa faveur auprès du public et son prestige restent intacts. À preuve le retentissement du discours, véritable testament littéraire, qu’il prononce quelques mois avant sa mort pour l’anniversaire de celle de Pouchkine.


« Parvenue à sa limite, la poésie sombrera probablement dans la musique »

La poésie de Blok confine à cette limite extrême. Les composantes auxquelles ses vers doivent leur puissance incantatoire sont, au premier chef, de nature musicale. C’est un ruissellement d’assonances, un réseau d’arpèges magiques, une harmonie rythmée, qui, plus que les mots avec leurs significations propres, produisent un appel esthétique et cérébral à la fois.

Cette expressivité exceptionnelle est commandée par la nature de sa perception artistique. Blok pense, avec Nietzsche, que la musique est la substance du monde, le principe cosmique éternellement créateur, que dans les profondeurs de l’esprit se créent « des rythmes et des balancements semblables aux mouvements dont naissent les montagnes, les vents, les courants de la mer, le monde végétal et animal ». Aussi, pour Blok, l’exploit poétique est-il de « supporter l’assaut du vent sourd des autres mondes » et, « dans les bribes de murmures et de mots d’une langue inconnue qu’il apporte, distinguer, s’il se peut, une phrase entière ». Ainsi, de la Révolution, perçue comme la manifestation d’une force élémentaire qui par vagues roule ses sons, naquit en janvier 1918 la symphonie des Douze. Blok entend une mystérieuse musique cosmique, le bruit de l’écroulement du vieux monde. Pendant qu’il écrit, le bruit terrible ne cesse de croître en lui et autour de lui : dans la tempête déchaînée, va-nu-pieds sans feu ni lieu, tuant les bourgeois et faisant l’amour aux filles, avancent les douze gardes rouges. Mais leur soif de liberté les métamorphose en héros, et la musique de la Révolution s’achève sur les harpes des anges.

Une chaîne de symboles féminins traverse l’œuvre poétique de Blok, mais il est un symbole dernier et qui les contient tous, la Russie, sa Russie, entité mystique conçue comme une force musicale en mouvement. Il l’appelle « sa femme », « sa merveilleuse merveille », entend sa voix parmi les cris des cygnes sur le champ de Koulikovo, où elle vient vers lui dans un vêtement ruisselant de lumière. Mais c’est aussi la Russie nomade et tsigane, et la « miséreuse Russie des isbas grises et des chansons portées par le vent » et le Sphinx mystérieux aux yeux bridés qui porte le salut au monde entier... Blok a aimé sa patrie d’un amour non intellectuel et philosophique, mais personnel, érotique, et c’est à travers cet amour qu’il a connu une expérience poétique dont l’authenticité le place au rang des grands poètes du xxe s.

Principales œuvres

Poésies :

Premier Livre de vers (1898-1904) ;
Deuxième Livre de vers (1904-1908) ;
Troisième Livre de vers (1907-1916).