Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Berbères

Populations dont les foyers sont dispersés sur une vaste zone, limitée au nord par la Méditerranée, à l’est par l’Égypte, à l’ouest par l’Atlantique et au sud par la falaise de Hombori (boucle du Niger).


On pense communément que les Berbères représentent la population originelle de cette vaste étendue ; toutefois, ils n’auraient conservé leurs caractéristiques essentielles que dans quelques régions montagneuses ou d’accès difficile.

Il est malaisé de définir un critère de « berbérité », car les aires définies selon le mode habituel ne se recouvrent pas, qu’il s’agisse du critère de la race (les caractéristiques anthropologiques ne permettent pas de parler d’une race berbère), de celui de la langue (un certain nombre de Berbères sont arabophones), de celui des coutumes et de la vie sociale (on trouve des similitudes avec celles des Bédouins nomades) ou de ceux du droit ou de la religion. Cependant, dans tous ces domaines on trouve des caractéristiques berbères. Le critère reconnu habituellement est celui de la langue, de sorte qu’aujourd’hui lorsqu’on parle des Berbères on désigne en fait les populations berbérophones. Le terme par lequel les Berbères se désignaient serait amazigh (pl. imazighen), signifiant « noble » ou « homme libre ».


Les régions berbérophones

Les principales régions berbérophones se trouvent actuellement en Algérie et au Maroc. On ne fera que mentionner quelques petits groupes en Égypte (oasis de Sīwa), en Libye (îlots à Awdjila, Soqna, Zwara et dans le djebel Nafūsa), en Tunisie (quelques villages dans l’île de Djerba et dans l’extrême Sud) et en Mauritanie (les Zenagas).

En Algérie, 20 p. 100 de la population ont le berbère pour langue maternelle. Les régions berbères sont la Kabylie, les Aurès (parler chaouïa), le Mzab et le Hoggar (parler touareg). Les parlers berbères ont disparu ou sont en voie de disparition avancée dans l’Ouarsenis et à la frontière marocaine (Beni Snous, Beni Bou Saïd).

Au Maroc, la proportion de berbérophones serait de l’ordre de 40 p. 100. Les zones berbères sont l’Anti-Atlas, le Sous, le Haut Atlas (parler chleuh), le Moyen Atlas et le Rif (parler tamazirt).


Les structures de la parenté

Elles sont importantes à un double titre : en elles-mêmes, pour définir un milieu, et en tant que modèle presque unique d’une organisation de la vie sociale et politique.

La filiation est patrilinéaire, et la résidence patrilocale ; le mariage préférentiel est de type endogamique et se fait avec la cousine parallèle patrilatérale. Les cousins parallèles sont généralement englobés sous l’appellation de frères.

La famille traditionnelle est la famille étendue, dite « gentilice », groupant sous l’autorité du père, ou de l’aîné des frères, les fils et les filles, éventuellement les épouses des fils et leurs enfants. L’autorité du chef de famille est très large ; elle comporte un droit de décision absolu dans toutes les affaires importantes, y compris le mariage des enfants (en particulier le droit de contrainte matrimoniale — jabr — sur les filles). Cette autorité se maintient souvent même alors que l’organisation économique de type rural se trouve modifiée : ainsi, il n’est pas rare de voir des fils mariés remettre la totalité de leur salaire à leur vieux père, qui en dispose à sa guise. Elle est, en effet, profondément enracinée dans les structures mentales et renforcée par divers tabous, fondés sur un sens aigu de la « pudeur », de la « honte », visant à mettre à part le dépositaire de l’autorité parentale.

L’habitat correspondant à cette famille gentilice est généralement un ensemble continu de maisons — chez les sédentaires —, auquel est ajoutée une nouvelle unité chaque fois que l’un des fils se marie. Cet ensemble forme la cellule de base de la société berbère.


L’organisation sociale

Celle qu’on retrouve à travers les multiples sociétés berbères part de cette famille gentilice (ikhs chez les Chleuhs, takharrubt chez les Kabyles). La fusion de plusieurs d’entre elles constitue parfois un quartier de village (l’adhrum kabyle), puis un village (le taddart kabyle) ou un douar. Le groupement de plusieurs villages constitue la « fraction » (dite harfiqth en chaouïa), qui semble avoir généralement représenté l’extension maximale de l’organisation sociale permanente. Au-dessus, le groupement de plusieurs fractions en « tribu » (dite ‘arch ou taqbilt) est plus lâche. Quant à la « confédération » de plusieurs tribus, elle ne dépasse guère le cadre de l’alliance temporaire en vue d’une action déterminée.

La société berbère est ainsi organisée comme une segmentation, une ramification, sur une base généalogique. La généalogie, réelle au niveau des cellules de base, plus ou moins fictive au niveau des ensembles plus vastes, constitue le fondement de l’unité sociale. Construite sur un modèle familial, la société berbère transpose sur le plan politique le modèle de l’organisation intra-familiale et répugne à l’établissement d’un milieu qui en déborde trop le cadre et dont le lien ne serait plus essentiellement le lien agnatique. Mais sa segmentation permet un jeu politique complexe : deux douars peuvent être adversaires pour une question d’irrigation, mais alliés dans le cadre d’une fraction pour s’opposer à la fraction voisine.

Cette organisation se concrétise dans plusieurs secteurs de la vie sociale. Ainsi, les quartiers d’habitation sont-ils le reflet des diverses lignées. De même, les terres sont réparties d’après le schéma agnatique. C’est pour éviter des interférences dans cette répartition de la propriété que le droit coutumier berbère — contrairement aux prescriptions du droit musulman — ne reconnaît pas à la femme de droit d’héritage. En certaines régions, la répartition des tours d’eau pour l’irrigation suit le même ordre : ainsi, Jacques Berque note une correspondance dans le Haut Atlas entre la division de la population en segments familiaux primaires (ikhs), celle du terroir en quartiers familiaux et celle du temps en tours d’eau. Cette partition est souvent prolongée par celle des cimetières, où les tombes sont disposées selon les segments. Cette même partition s’observait encore récemment, là où la coutume existait, dans l’utilisation des greniers-citadelles (qala‘a dans les Aurès, agadir dans l’Atlas marocain), sortes de forteresses où les récoltes étaient mises en sécurité. C’est encore cet ordre gentilice qui était observé dans la répartition de la viande acquise collectivement par le groupe (timechrat en Kabylie) ou dans l’organisation des travaux collectifs (tiwizi en Kabylie).