Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bembo (Pietro) (suite)

Réussite exceptionnelle d’autre part que la vie de Bembo. Culture humaniste, carrière courtisane et dignités ecclésiastiques s’y conjuguent de façon exemplaire. La position politique de tout premier plan de son père, ambassadeur de la république de Venise, lui ouvre les portes des principales cours italiennes sans qu’il ait jamais à y offrir ses services. Il puise dans la richissime bibliothèque paternelle les fondements de la culture la plus moderne, qu’il peut compléter par l’étude approfondie du grec lors d’un séjour à Messine dont il dresse le bilan intellectuel dans le De Aetna ad Angelum Gabrielem liber. Puis il fréquente les cours les plus influentes politiquement au moment de leur plus grande splendeur culturelle. À Ferrare (1495-1506), il se lie, entre autres, avec l’Arioste, Antonio Tebaldeo, Lucrèce Borgia (à qui sont dédiés ses Asolani en 1505) et Isabelle d’Este ; à Urbino (1506-1511), il est le compagnon de Baldassarre Castiglione (1478-1529), célèbre auteur du Courtisan (1528), et se fait apprécier de Jean de Médicis, qui, devenu pape (Léon X), l’appelle à Rome et le choisit pour secrétaire (1512-1519) [Epistolarum Petri Bembi Card. et Patricii Veneti, nomine Leonis X Pont. Max. scriptarum libri XVI]. Il élabore alors les Prose et correspond avec Érasme, qui l’estime. Mais de plus en plus sensible à l’exemple de Pétrarque, dont il commente le Canzoniere et en qui il cherche un modèle de vie autant que de poésie, à partir de 1519, il se consacre entièrement à l’étude, séjournant à Padoue et à Venise. Il accepte cependant en 1529 l’invitation du conseil des Dix à écrire l’histoire de Venise (Rerum Venetarum historiae libri XII) ; il la commence en 1531 et la traduira ensuite en italien. En 1539, il revient à Rome, où Paul III le nomme cardinal, et où il lui est fait, en 1547, l’honneur insigne d’édifier son tombeau entre ceux de Léon X et de Clément VII.

Les preuves abondent, dans l’œuvre même de Bembo, du sérieux de sa culture classique et de sa maîtrise de la rhétorique latine. Entre autres l’épître De imitatione (1512). Mais il y préconise moins l’imitation de telle ou telle œuvre, ou technique, des Anciens, que la recherche d’équivalences stylistiques restituant la forme globale d’une écriture. Autrement dit, à travers la leçon des Anciens, hausser la culture vulgaire à la dignité de l’antique. Ainsi l’originalité du dialogue des Asolani tient moins à sa problématique (l’amour platonique est-il conciliable avec la foi chrétienne ?) qu’au fait que ce traité humaniste est rédigé en langue vulgaire. Les Rime (recueil définitif, 1530) révèlent la même intention, en particulier la chanson « Alma cortese » (1507), où Bembo pleure la mort de son frère, sujet tragique traditionnellement voué au latin. Une fois admise la dignité de la langue vulgaire, restait à l’instituer : serait-elle italienne, pluridialectale à prédominance toscane, selon l’usage des cours (Gian Giorgio Trissino [1478-1550], il Calmeta [v. 1460-1508], Castiglione), ou purement toscane, et, en ce cas, régie par l’usage florentin moderne (Machiavel) ou par la tradition littéraire ? Pour Bembo, « aucune langue ne saurait être considérée comme telle, si elle n’a pas d’écrivains ». Principe à travers lequel Bembo enrichit de critères esthétiques la visée spécifiquement linguistique du De vulgari eloquentia dantesque. Tel est l’objet des Prose della volgar lingua : à la fois grammaticalement normatif et esthétiquement sélectif ; en l’occurrence, ériger en modèles la langue et l’œuvre de Pétrarque. C’était jeter à la fois les bases du Dictionnaire (le Vocabolario degli accademici della Crusca, premier dictionnaire de la langue italienne, composé de 1591 à 1612, entérine définitivement les normes esthétiques et grammaticales de Bembo) et celles du « pétrarquisme », mythe parmi les plus tenaces de l’histoire littéraire italienne.

J.-M. G.

➙ Boccace / Dante / Humanisme / Italie / Pétrarque.

 G. Santangelo, Il Bembo critico e il principio d’imitazione (Florence, 1950). / L. Baldacci, Il Petrarchismo italiano nel Cinquecento (Milan-Naples, 1957). / C. Segre, « Edonismo linguistico nel Cinquecento » dans Lingua, stile e società (Milan, 1963). / B. Migliorini, Breve Storia della lingua italiana (Florence, 1965).

Bénarès ou Banāras

V. de l’Inde, dans l’Uttar Pradesh, sur le Gange ; 584 000 hab. Les Européens ont déformé en « Bénarès » le nom de la vieille cité religieuse de Vārānasi.


Traditionnellement considérée comme la ville sainte de l’hindouisme, dont elle était l’une des sept cités sacrées (avec Hardwār, Kāñcī, Ayodhyā, Dvāravatī, Mathurā et Ujjain), Bénarès est ou fut beaucoup plus que cela : un centre important du bouddhisme primitif, un foyer de traditions culturelles, un refuge scientifique lors des invasions musulmanes et même un centre politique d’une certaine importance.

Fondée il y a environ 3 200 ans, la ville que l’on nommait alors Kāśī (c’est-à-dire « toujours resplendissante de lumière divine ») est devenue une sorte de reflet de deux des composantes de l’histoire indienne : l’« antagonisme » hindouisme-bouddhisme ; les assauts religieux et politico-militaires de l’islām.

Cité la plus vénérée de l’hindouisme, Bénarès est la ville du seigneur Śiva (l’un des trois grands dieux de l’hindouisme), à qui le temple le plus vénéré — celui de Viśwanatha — est dédié. Par ailleurs, Bénarès joua un rôle très important aux origines du bouddhisme : le Bouddha y prononça sa première prédication, connue sous le nom de « sermon de Bénarès » et, au viie s., le pèlerin chinois Xuan Zang (Hiuan-tsang) y dénombrait trente monastères bouddhistes et une centaine de temples hindouistes. Comme dans toute l’Inde, le déclin du bouddhisme, à l’époque médiévale, y fut rapide.

Capitale religieuse, la ville est aussi un centre culturel vivant, plus ou moins officialisé par la fondation en 1916 de la « Banaras Hindu University ».