Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Beethoven (Ludwig van) (suite)

• La musique dramatique. Le genre du singspiel dominait alors en Europe centrale, où l’opéra-comique français n’était cependant pas inconnu. Ayant composé deux airs pour la Belle Cordonnière en 1792 et les deux lieder de Claire (Egmont, 1810), Beethoven avait alors projeté d’écrire un opéra sur un poème de Grillparzer : Mélusine, où certain leitmotiv aurait accompagné les entrées de la fée. La seule réalisation qu’il ait menée à son terme reste toutefois celle de Fidelio.

Beethoven, pour son unique tentative théâtrale, s’est inspiré du drame français mêlé de musique, et a choisi le livret de Bouilly, Léonore ou l’Amour conjugal, pour lequel Pierre Gaveaux avait déjà écrit une partition. L’originalité de Fidelio réside dans l’importance toute nouvelle que prend l’élément musical dans l’expression du drame. Avec Beethoven, la musique envahit de toutes parts la substance dramatique : elle devient le centre de l’action et le lieu du drame, ce qui explique l’ampleur inaccoutumée des ouvertures et des développements symphoniques, introduction, codas, mélodrames. Les scènes nouvelles ne se justifient que par des raisons musicales, et l’orchestre, par son importance, révèle une tentative de synthèse entre l’élément symphonique et l’élément dramatique, dont Wagner se fera plus tard l’apologiste et le réalisateur. Quant au sujet, Beethoven le transfigure et l’exhausse jusqu’à l’expression ascétique de l’amour, où viennent se fondre l’amour conjugal, l’amour pur et l’amour de la liberté, dont l’expression la plus haute se manifeste dans l’idéal de réconciliation et de fraternité humaines qui préfigure l’amour rédempteur de la dramaturgie wagnérienne.


La musique instrumentale

Le souci de concilier la forme et l’expression conditionne l’évolution de la musique instrumentale chez Beethoven.

• La symphonie. Avec Beethoven, la forme de la symphonie, comme celle de la sonate, prend une ampleur inconnue avant lui. Les thèmes deviennent de véritables « idées musicales » ; leur ampleur entraîne l’élargissement du pont modulant qui relie les deux thèmes de l’exposition, et le développement central acquiert plus d’amplitude. La coda s’allonge et engendre le développement terminal, tandis qu’une introduction importante coiffe le premier mouvement auquel elle s’enchaîne.

Lorsqu’il n’emprunte pas la forme sonate, le mouvement lent se présente sous la forme du lied en trois ou cinq parties, mais aussi sous la forme du lied varié. Le menuet s’accélère et cède rapidement la place au scherzo, qui s’agrandit fréquemment d’un ou deux trios. Quant au final, Beethoven reste fidèle tantôt au rondo, tantôt à la forme sonate, mais il est le premier à combiner ces deux structures dans la forme « rondo-sonate », qui superpose les deux architectures du rondo et de la sonate. Parfois aussi, il fait appel à la fugue (op. 110) et à la variation ; il lui arrive même, dans un profond souci d’unité, d’user de parentés thématiques qui annoncent déjà l’apparition lointaine de la sonate cyclique (Sonate pathétique).

Sur le plan expressif, l’évolution est plus rapide encore et plus nette. Après Stamitz, qui avait introduit la notion de nuance, après Haydn et Mozart, que l’on peut considérer comme les créateurs de l’écriture symphonique, Beethoven oriente celle-ci vers d’autres destins. La musique devient le langage de l’idéal qu’il porte en lui-même et que le monde ne peut satisfaire ; c’est pourquoi le problème expressif domine chez lui le problème formel, et trois de ses symphonies peuvent être considérées comme des anticipations sur la musique à programme : l’Héroïque, la Pastorale et la Neuvième, qui annonce la rédemption par l’amour.

• Le concerto. L’avènement de la symphonie conditionne la disparition rapide du concerto grosso et consacre en peu de temps la faveur dont va jouir le concerto pour soliste. L’école allemande reste surtout fidèle au clavier, avec le pianoforte et le piano. Ce dernier sera l’instrument favori des compositeurs à la fin du classicisme et dans la période d’épanouissement du romantisme. La virtuosité se donnera libre cours dans la cadence, autrefois improvisée, désormais écrite. Beethoven a écrit cinq concertos pour le piano et un pour le violon, auxquels il convient d’ajouter le triple concerto, qui ressemble moins au concerto grosso qu’au concerto simple, car les solistes, dialoguant tour à tour avec l’orchestre, engendrent par le jeu des répliques une amplification considérable des structures traditionnelles.

• La sonate. Contemporain de Mozart qui avait déjà pénétré les mouvements rapides d’une rare qualité émotionnelle, F. W. Rust (1739-1796) avait amplifié dans ses mouvements lents la tendance affective naissante. On pouvait à travers eux pressentir les grands adagios beethovéniens. Les récitatifs instrumentaux font leur apparition dans les sonates de Beethoven (op. 31, op. 110), et leur tournure déclamatoire montre combien l’essence de la musique, pour ce compositeur, a une signification dramatique : la vie intérieure et contemplative de certains adagios s’oppose à l’exubérance théâtrale et spectaculaire de ses envolées lyriques. Parmi les formes et les modes d’expression qu’il cultive, la variation, avec ses prolongements amplificateurs, et la fugue, dont la rigueur formelle se relâche dans l’op. 110 autant que dans le final primitif du 13e quatuor, rappellent encore les bases scolastiques d’un classicisme dont les données formelles s’estompent au profit de l’idée romantique, qui s’appuie sur elles pour prendre son essor et s’en affranchir.

• Le quatuor. Dans la mesure où la vie intérieure et la pensée profonde, favorisées par le romantisme naissant, reprenaient leurs droits, la musique de chambre, plus favorable que l’orchestre à l’expression des sentiments intimes, se développait rapidement. Les quatuors de Mozart et de Haydn avaient adopté le plan de la sonate ; Beethoven en conserve l’ordonnance, mais il le traite différemment en accordant aux quatre parties une importance égale dans l’alternance de leurs interventions. La technique propre à ce genre semble être sa préoccupation maîtresse dans l’écriture des sonates, dont l’étude approfondie révèle fréquemment l’esprit du quatuor. La dernière de ces sonates, l’opus 111, date de 1822. Sauf quelques canons conçus en 1825 et en 1826, Beethoven ne compose plus à partir de 1824 que pour le quatuor à cordes. Si l’on y ajoute la « grande fugue », ce sont, du 12e au 16e quatuor, six œuvres magistrales qui semblent résumer toute sa pensée créatrice en même temps qu’elles incarnent les principes fondamentaux, essentiels et testamentaires de son esthétique. La « résolution difficile » du 16e quatuor a fait couler beaucoup d’encre, et l’anecdote a souvent pris le pas sur la pensée profonde de Beethoven dans l’esprit de certains historiens. S’il est vrai, comme le pensait Mendelssohn, que « la vraie musique remplit l’âme de mille choses meilleures que les mots », c’est dans la substance même de ce dernier quatuor qu’il faut chercher directement la clef de cette énigme. Dans cette œuvre ultime, une méditation sereine et bouleversante (si elle fut, aux dires de certains, surajoutée, elle le fut par la volonté de l’auteur, qui l’inséra dans le plan définitif) précède la « résolution difficile ». Au seuil de l’éternité, Beethoven s’interroge (« Faut-il que cela soit ? Il le faut ») et, sur le thème musical qui souligne ce dilemme, s’éploie le final du 16e quatuor. La musique s’avère ici plus directement persuasive que les commentaires des exégètes spécifiquement rationalistes, dont les conclusions reflètent davantage leur pensée personnelle que la réalité intime du message beethovénien.