saint Anselme

Philosophe et théologien bénédictin (Aoste 1033-Canterbury 1109).

Appliquant à la lettre le précepte de saint Augustin « la foi qui cherche l’intelligence », saint Anselme voulut donner à la foi chrétienne des fondements issus de la seule raison (sola ratione). Précurseur de ce qui est connu dans l’histoire de la pensée comme la preuve ontologique de l’existence de Dieu, il peut être considéré comme le père de la scolastique.

L'archevêque philosophe

Entré à l’abbaye du Bec (aujourd'hui Le Bec-Hellouin), fondation bénédictine de Normandie dont son compatriote, l’abbé Lanfranc, avait fait un haut lieu de la pensée et des études théologiques, le futur saint Anselme en devient le prieur en 1063 puis l’abbé en 1078. C’est également comme successeur de Lanfranc qu’il est nommé en 1093 archevêque de Canterbury et qu’à ce titre il devient le primat du royaume anglo-normand fondé par Guillaume le Conquérant. Auteur d’ouvrages réputés en leur temps, tels que le Proslogium, le Monologium et le Cur Deus homo (méditation sur le mystère de l’Incarnation), il fait aussi œuvre d’édification par ses nombreuses lettres et homélies. Ardent défenseur de la suprématie du spirituel sur le temporel, il est exilé par le roi Guillaume II le Roux (1087-1100), mais il est rétabli par Henri Ier Beauclerc (1100-1135) dans ses prérogatives ecclésiastiques.

La seule raison

À l’époque d’Anselme, deux courants théologiques s’affrontent : l’un, que représente Roscelin de Compiègne, fondateur du nominalisme, affirme le primat de la dialectique ; l’autre, défendu par saint Pierre Damien, ne place rien au-dessus des autorités spirituelles – les Saintes Écritures et les Pères de l’Église. Ainsi, Roscelin considère que la raison est le critère suprême que l’homme est censé suivre dans sa quête du savoir. Il résulte de cette position que la foi et ses mystères sont nécessairement subordonnés à la raison. Ceux qui, au contraire, s’opposent à cette ingérence de la raison dans le domaine de la foi se contentent de proposer aux croyants des arguments d’autorité. Dans cette atmosphère intellectuelle tendue, Anselme, alors prieur de son abbaye, est pressé par les autres moines de donner de la révélation divine une intelligence rationnelle.

Pour cela, Anselme va suivre une méthode originale. Il pose la nécessité de croire pour comprendre. Mais il veut que l’on s’efforce ensuite de comprendre ce que l’on croit : « Ne pas faire passer la foi d'abord, écrit-il, c'est présomption ; mais ne pas faire appel ensuite à la raison, c'est négligence. » L’importance déterminante qu’il faut accorder à la foi est donc en même temps le point de départ et le point d’aboutissement de cette méthode. La foi doit proposer l’objet que la raison devra scruter à son tour.

D’autre part, la raison ne doit jamais détruire, mais confirmer ce que la foi enseigne : c’est un sévère avertissement qu’Anselme adresse aux « dialecticiens » de son époque. Par une démarche somme toute paradoxale, la raison qui est l’outil de cette démarche reçoit de la foi son authentification dans la mesure où elle se révèle capable d’arriver par ses propres forces aux mêmes vérités que celles que la foi enseigne. La raison comprend qu’elle est vraiment capable de saisir la Vérité.

L'argument ontologique

Si l’expression sola ratione se trouve déjà chez saint Augustin, la méthode qu’elle désigne est propre à Anselme, dont le projet théologique aboutit à limiter le domaine de la recherche rationnelle à l’objet de la foi. Ce projet repose sur la recherche de l’enchaînement logique d’une série de raisons nécessaires.

En soutenant la solution que Platon avait apportée à la question de l'origine des idées, Anselme tire de ce raisonnement philosophique, baptisé réalisme, toute la valeur de la preuve de l'existence de Dieu qu’il expose dans le Monologium. « Nous avons l’idée de l’Être parfait ; or la perfection implique l’existence ; donc l’Être parfait existe. » Par cet argument, dit ontologique, il trace une ligne de partage entre ceux dont la philosophie institue l’identité de l’existence et de l’être intelligible conçu par la pensée (de saint Bonaventure à Descartes et à Hegel) et ceux qui fondent la philosophie sur une donnée empirique existante (de Thomas d’Aquin à Kant).