Michel Piccoli

Acteur français (Paris 1925-Saint-Philbert-sur-Risle, Eure, 2020).

On dirait qu'il a toujours eu la cinquantaine : l'œil vif et le front dégarni, bougon et souriant, embourgeoisé (sans avoir rien abdiqué de son passé de militant), « bohémien de l'existence » ayant jeté l'ancre dans le cinéma français en crise des années 1970, tel apparaît Michel Piccoli, pétri de talent, se refusant à vivre sur ses lauriers, ne cessant à chaque nouveau film de se remettre en question.

« Quand on se met à tourner en rond, dit-il, c'est dangereux. » Alors, il joue sur plusieurs registres : tendre, cynique, narquois, loufoque, complexé… Quel rapport entre ses personnages chez Sautet, Girod et Ferreri ? « Bien sûr, je suis contradictoire, admet-il. Et de plus, en vue. Et après ? »

Piccoli et ses maîtres

Il est d'abord attiré par le théâtre, et ne l'a jamais abandonné, de Combat de nègres et de chiens (de Bernard-Marie Koltès, mise en scène Patrice Chéreau, 1983) à la Maladie de la mort (de Marguerite Duras, mise en scène Bob Wilson, 1997), de Phèdre (de Racine, au TNP, 1985) au Roi Lear (de Shakespeare, mise en scène André Engel, 2006), de John Gabriel Borkman (de Henrik Ibsen, mise en scène Luc Bondy, 1993) à Minetti (de Thomas Bernhard, mise en scène André Engel, 2009).

À la télévision, il a campé un inoubliable Dom Juan (1965), dans une mise en scène de Marcel Bluwal : le rôle lui est resté collé à la peau. À l'écran, il a débuté dans un film « engagé » : le Point du jour, de Louis Daquin (1949). Jusqu'en 1962, il tournera tout et rien : policiers parodiques (Chicago digest, P. Paviot, 1951), comédies ringardes (Tabarin, R. Pottier, 1958) et même un court métrage d'avant-garde (la Chevelure, d'Ado Kyrou, 1961). Trois oasis dans cette traversée du désert : Jean Renoir (French Cancan, 1955), Pierre Chenal (Rafles sur la ville, 1958 ; la Bête à l'affût, 1959) et surtout Luis Buñuel (la Mort en ce jardin, 1956). Avec ce dernier, la complicité est immédiate et se poursuivra longtemps (le Journal d'une femme de chambre, 1964 ; Belle de jour, 1967 ; la Voie lactée, 1969 ; le Fantôme de la liberté, 1974 ; et surtout ce titre qui lui va comme un gant : le Charme discret de la bourgeoisie, 1972).

En 1963, le Doulos de Melville, suivi du Mépris de Godard (deux rôles « à l'américaine ») le hissent d'un coup au premier rang. Désormais, il va choisir avec soin ses metteurs en scène : Costa-Gavras (Compartiment tueurs, 1965 ; Un homme de trop, 1967) ; Resnais (La guerre est finie, 1966) ; Demy (les Demoiselles de Rochefort, 1967) ; Deville (Benjamin, 1968) et, consécration suprême, Hitchcock en 1969 (pour un film, l'Étau, qu'il juge « complètement réac » !). C'est pourtant avec Claude Sautet et Marco Ferreri, deux frères de sang qui expriment idéalement les deux versants de sa personnalité, qu'il affinera son image de marque : une image rien moins que flatteuse, mais Piccoli, comme Noiret, sait que l'antipathie, à terme, est payante. Voici donc Dillinger est mort (Ferreri, 1969), les Choses de la vie (Sautet, id.), Max et les ferrailleurs (id., 1971), Liza (Ferreri, 1972), la Grande Bouffe (id., 1973), Vincent, François, Paul et les autres (Sautet, 1974), Mado (id., 1976).

Un acteur aux dons multiples

Conscient des contraintes économiques du cinéma, et du statut privilégié du comédien « arrivé », cet homme de gauche choisit alors de se transformer en producteur indépendant. « Le métier que nous faisons, dit-il, dépend complètement de la politique et de l'économie. J'en connais qui vivent en égoïstes dans leur petit monde fermé. Moi, je ne veux pas. Je veux participer. » Le résultat, ce sera Themroc (C. Faraldo, 1973), la Faille (P. Fleischmann, 1975), Sept Morts sur ordonnance (J. Rouffio, id.), Des enfants gâtés (B. Tavernier, 1977), l'État sauvage (F. Girod, 1978), le Général de l'armée morte (L. Tovoli, 1983). Il y laisse des plumes, mais ce sera sa fierté. En 1985, on le voit dans le rôle du général unijambiste Cafarelli, ambigu, déchiré par son amour pour deux frères (Adieu Bonaparte, Y. Chahin).

Acteur aux dons multiples, il est capable à lui seul de « porter » un film et devient, avec Philippe Noiret, Jean Rochefort et Michel Serrault, l'un des comédiens les plus demandés, au cinéma aussi bien qu'à la télévision. Ses meilleurs rôles, il les doit ensuite à Richard Dembo (la Diagonale du fou, 1984), Michel Deville (le Paltoquet, 1986), Jacques Doillon (la Puritaine, id.), Louis Malle (Milou en mai, 1989), Nico Papatakis (les Équilibristes, 1990), Jacques Rivette (la Belle Noiseuse, 1991), Jiri Weiss (Martha et moi, id.), Peter Del Monte (Compagne de voyage, 1996), Raul Ruiz (Généalogies d'un crime, 1997), Manoel de Oliveira (Party, 1996 ; Je rentre à la maison, 2001 ; Belle toujours, 2006), Hiner Saleem (Sous les toits de Paris, 2007).

Michel Piccoli a épousé en 1966 Juliette Gréco, dont il a partagé la vie pendant onze ans. Il a obtenu en 1967 le prix de l'Académie du cinéma pour la Curée (R. Vadim, 1965), et en 1980 le prix d'interprétation masculine au festival de Cannes pour le Saut dans le vide (M. Bellocchio). En 1976, il a publié un livre de souvenirs, Dialogues égoïstes, dans lequel il rend hommage à ses maîtres, Renoir, Buñuel, Ferreri. En 1982, il retrouve Godard avec Passion et Demy avec Une chambre en ville. Agnès Varda, qui l'a dirigé dans les Créatures (1966) et dans les Cent et Une Nuits (1995), dit de lui : « C'est un merveilleux comédien qui sait cacher son métier parce qu'il a le don d'être simple et de parler juste. » Déjà engagé dans la production, il est passé derrière la caméra en 1997 (Alors, voilà), en 2001 (la Plage noire) et en 2005 (C’est pas tout à fait la vie dont j’avais rêvé).