Stanley Kubrick

Cinéaste américain (New York 1928-Childwickbury, Hertfordshire, 1999).

1. Premières réalisations

Né dans une famille juive new-yorkaise, Stanley Kubrick explore tôt les possibilités de l’image en étant reporter-photographe au magazine Life dès l’âge de 17 ans et en réalisant des documentaires, notamment un film sur le boxeur Walter Cartier, Day of the fight (1948).

Son premier long métrage, le Baiser du tueur (Killer’s Kiss, 1955), puis l’Ultime Razzia (Killing, 1956), renouvellent déjà de manière fulgurante l’univers du film noir et du drame de gangsters.

2. Tabous historiques et superproductions

Avec Les Sentiers de la gloire (Paths of glory, 1957), il affronte l’un des sujets tabous de l’Histoire contemporaine : l’exécution, au cours de la guerre de 1914-1918, de soldats français fusillés sur ordre de leurs supérieurs pour désobéissance. Jugé attentatoire à la dignité de l’armée française, le film fut interdit en France pendant plus de dix-huit ans et ne sera diffusé qu’en 1975.

À la demande de Kirk Douglas, l’un des acteurs des Sentiers de la gloire, Kubrick accepte de remplacer le réalisateur Anthony Mann qui avait commencé le tournage de Spartacus ; il mène le film (qui sort en salles en 1961) jusqu’à son achèvement mais considère qu’il n’a pas bénéficié de la liberté qu’il souhaitait. Il sera ensuite d’une extrême exigence dans ses relations avec les producteurs, en obtenant une indépendance, des moyens et des délais rarement accordés.

3. Scandales sensuels, cyniques et atomiques

Kubrick quitte les États-Unis en 1962 et s’installe à Londres pour prendre ses distances avec une société dont il redoute surtout le conformisme et la censure. En effet, son nouveau film, Lolita (1962), adapte avec un cynisme amusé le roman de Vladimir Nabokov contant la relation trouble entre un homme âgé et une fillette de douze ans et demi.

Cette ironie féroce se développe sur un autre ton dans Docteur Folamour ou comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe (Doctor Strangelove, 1963) qui, à travers la démence d’un général américain, dénonce la folie de la guerre froide et de la surenchère nucléaire. Pour ce film, Kubrick retrouve l’acteur britannique Peter Sellers, déjà présent sur Lolita, qui interprète ici trois rôles à lui seul (le colonel Mandrake, le président Muffley et l’inquiétant Dr Folamour, transfuge nazi).

4. Au tournant des 70’s : cosmos et ultraviolence

Kubrick réalise ensuite, patiemment, travaillant sur des années et expérimentant des procédés optiques nouveaux, ses plus grands films qui possèdent, le plus souvent, une force visionnaire. 2001 : l’Odyssée de l’espace (2001 : A Space Odyssey, 1968), inspiré par un roman d’Arthur C. Clarke (la Sentinelle ; l’auteur est par ailleurs coscénariste du film), relie le monde de la préhistoire et du futur à travers un scénario de science-fiction ; la dernière scène où se rejoignent l’image de la Terre et celle du cosmonaute redevenu fœtus, dans une bulle se déplaçant dans l’espace, sur une musique empruntée à Richard Strauss (Ainsi parla Zarathoustra), est l’une des scènes « culte » du cinéma.

Par son réalisme scientifique (collaboration avec des ingénieurs de la NASA) et ses innovations dans le domaine des effets spéciaux (maquettes, projection frontale, Slit Scan, etc.), 2001 est un film clé pour le cinéma de science-fiction.

Orange mécanique (A Clockword Orange, 1971) fait sensation par sa dose extrême de violence. Le film imagine une autre forme de futur, ancré dans notre société : le personnage central, Alex, passe successivement de la pratique « naturelle » de ses instincts cruels à leur répression par la médecine et à leur libération dans le contexte de la compétition sociale. Derrière le conte endiablé Kubrick poursuit ainsi sa constante méditation sur les rapports de la sauvagerie et de la civilisation. Au Royaume-Uni, le film est perçu comme une incitation à la violence, et face aux nombreuses lettres de menace, Kubrick demande à la Warner Bros de retirer le film du circuit britannique. Il ne ressortira qu’en 2000, après la mort du réalisateur.

5. Films en costumes ou films d’horreur : des genres renouvelés

Barry Lyndon (1975) rompt provisoirement avec la représentation du monde moderne, puisque cette adaptation d’un classique de William Thackeray respecte le genre du feuilleton en détaillant les péripéties d’une vie d’aventurier au xviiie siècle. Mais la violence n’est jamais absente dans cette succession de tableaux raffinés réalisés à la lumière naturelle et à l’éclairage des bougies, des effets rendus possibles grâce à un objectif photographique développé par la NASA et à un traitement particulier de la pellicule.

La hantise du mal revient et s’amplifie dans Shining (1980) qui, partant d’un roman de Stephen King et s’appuyant sur l’interprétation de Jack Nicholson, tourne autour de pouvoirs extrasensoriels maléfiques et donne, au genre du film d’horreur, une profondeur inédite. Sur ce film, le réalisateur innove encore avec son utilisation du Steadicam.

6. Dernières réalisations

Puis, dans Full Metal Jacket (1987), Kubrick livre une chronique hallucinante de la vie de « marines » partant combattre au Viêt Nam.

Avec son dernier film, Eyes Wide Shut (1999), dont le point de départ est une nouvelle d’Arthur Schnitzler, Kubrick change d’échelle. Il passe d’un registre volontiers cosmique à celui de la cellule du couple en suivant deux époux, interprétés par Nicole Kidman et Tom Cruise, dans une confrontation qui les désintègre et les réunit symboliquement après une longue errance de dérives sexuelles. Le réalisateur a pu terminer le montage de cette œuvre sur l’ambiguïté du sentiment amoureux mais il meurt peu de temps avant la sortie du film.

7. Des projets inachevés

Son souci acharné de la perfection ne lui aura permis de tourner que treize films tout au long d’une carrière échelonnée sur près de cinquante ans. Il n’aura pu tourner son scénario sur Napoléon, pour lequel il avait effectué d’énormes recherches. C’est Stephen Spielberg qui réalisera, en 2001, son script inachevé, A. I. Artificial Intelligence, d’après le romancier de S.F. Brian Wilson Aldiss.

L’ensemble de ses films n’en est pas moins volumineux, et beaucoup d’entre eux ont, par leur science extrême de l’image et du montage, une exceptionnelle dimension romanesque et philosophique. Ils expriment une sorte de foi désespérée dans l’acte de vivre et une vision des relations humaines perçues comme des conflits jamais pacifiés entre la folie et la raison, la haine et l’amour, la pulsion et l’intelligence.