Louis Firbank, dit Lou Reed

Chanteur et auteur-compositeur de rock américain (Brooklyn, New York, 1942-New York 2013).

Génial, paranoïaque, sulfureux, décadent, militant des bonnes causes, junkie, promoteur d'un rock « adulte », Lou Reed est un tissu de contradictions. Ce fils d'avocats passe une adolescence turbulente à Long Island. Après des études centrées sur la poésie, la littérature et le journalisme, il travaille comme compositeur maison pour Pickwick Records. Lassé des paroles fades et des chansons alimentaires, il fonde The Primitives, puis les Warlocks. Sa rencontre avec des musiciens désenchantés, eux aussi avides d'expression « crue », débouche sur le Velvet Underground (nom tiré d'un roman sado-masochiste). Malgré leur complicité avec l'artiste avant-gardiste Andy Warhol, ils ont peu de succès. Pourtant, la légende est déjà en route. Leurs textes, qui flirtent avec les fruits défendus (drogue, mort, sexe, violence), célébrant la beauté dans l'horreur, leur interdisent tout accès aux médias. Las, Lou Reed quitte le V.U. au milieu de Loaded, le 4e album.

Décadence. Après deux années dans l'ombre, il signe avec RCA et s'installe à Londres. En 1972, coup sur coup, il sort Lou Reed (avec Steve Howe et Rick Wakeman de Yes !) et Transformer, produit par Mick Ronson et David Bowie, qui joue du sax sur Walk On The Wild Side, le seul hit majeur de Lou. Ses descriptions d'un univers interlope (la nuit, les travestis) et son statut d'homosexuel drogué en font le porte-parole des marginaux et le parrain du punk. Ses concerts, à l'opposé de ceux du Velvet Underground, sont marqués par une option théâtrale et chorégraphique digne de Bowie.

En 1973, il sort le cafardeux Berlin (produit par Bob Ezrin). Directement inspirée par la ville allemande, divisée physiquement et psychologiquement, cette œuvre, qui suinte le fiel, le suicide et les immondices, est considérée comme le Sergeant Pepper's noir et déprimant des années 1970 et son meilleur album. Grâce à ce condensé de réalité passée au vitriol, Reed est reconnu comme un compositeur unique, dérangeant et macabre. On l'installe dans la tradition du « nouveau rock » (Bowie, Garry Glitter, Roxy Music), un style inventé par le Velvet. Son timbre glacial mais prenant et ses thèmes fétiches vont influencer des générations entières — comme Sonic Youth, R.E.M., U2, la cold wave — et l'amener à composer aussi bien pour Kiss que pour Nils Lofgren.

De 1974 à 1982, il enchaîne les albums, alternant le meilleur (Rock'n'Roll Animal, 1974), mais surtout le moins bon. Il profite aussi de cette période pour amorcer le changement de son image et se présenter comme un artiste devenu adulte, un intellectuel affranchi désormais des mythes et des images morbides de sa jeunesse.

Rocker adulte. En 1982, de retour chez RCA, il sort The Blue Mask, un hommage à son mentor le poète Delmore Schwarz, mais aussi son meilleur album depuis Berlin. Cynique mais mature, il tire les conclusions de ses expériences extrêmes. La suite, Legendary Hearts (1983), est superbe, suivie du serein New Sensations (1984) et du très électronique Mistrial (1986). Ce nouvel élan créatif est en partie attribué à son mariage (1980) et à son adéquation parfaite avec son nouveau groupe (le bassiste Fernando Saunders, ex-Jean-Luc Ponty, le batteur Fred Maher et, surtout, le guitariste Robert Quine, ex-Richard Hell).

En parallèle, il s'investit dans plusieurs causes collectives (Farm Aid en 1985, tournée Amnesty International en 1986, lutte antiapartheid…) et s'affiche avec le président tchèque Vaclav Havel, défenseur émérite de la démocratie à l'Est et grand amateur de rock.

En 1989, avec New York, il atteint un nouveau sommet artistique et commercial.

Il y décrit une société tiraillée par les tensions urbaines (Dirty Boulevard) et en pleine décomposition. Cette même année, il participe à un album solo de Maureen Tucker, batteuse du Velvet Underground. Puis, dans le sillage, il s'associe à John Cale pour Songs For Drella (1990), un requiem poignant pour Andy Warhol décédé en 1987 et composé de ballades minimalistes giflées de guitares tendues. Ces collaborations débouchent sur une reformation ponctuelle du Velvet à Paris en juin 1990 puis sur une tournée européenne dans des salles combles en 1993. Toujours à cause des batailles d'ego entre Reed et Cale, ils se séparent juste avant la tournée américaine. En 1992, Magic & Loss, inspiré par le cancer de deux de ses amis, constitue une sombre méditation sur l'âge et sur la peur de vieillir. Les hommages pleuvent. Ce poète (dont les éditions 10/18 publient en France Parole de la nuit sauvage, anthologie de ses poèmes et chansons, de 1965 à 1990), est fait chevalier des Arts et des Lettres par Jack Lang en 1992. Pourtant, les vieilles obsessions reviennent parfois. Son divorce en 1994, les règlements de comptes avec Moe Tucker et John Cale débutent une série noire qui se termine avec le décès de Sterling Morrison (du Velvet Underground). Cela n'empêche pas Lou Reed de prouver que le rock peut être intéressant au-delà de quarante ans. L'exceptionnel Set The Twilight Reeling (1996) montre que la proposition fonctionne encore mieux au delà de cinquante ! À la fin de 1996, il écrit la musique et les chansons de la comédie musicale Time Rocker, mis en scène par Bob Wilson, sur un livret de Darryl Princhney.

Lou Reed décède le 27 octobre 2013 des complications d'une greffe du foie, subie quelques mois auparavant.

  • 1972 Walk on The Wild Side, chanson de L. Reed.