Joyce Carol Oates

Femme de lettres américaine (Lockport 1938).

La lecture, le trésor de sa jeunesse

Née dans l’État de New York à l’ouest du lac Érié, Joyce Carol Oates connaît une enfance modeste dans la ferme familiale. Elle reste cependant très attachée à sa région natale, fortement touchée par la crise de 1929, où elle vit proche de la nature et qui inspire le cadre de nombre de ses intrigues. Enfant plutôt solitaire, avec un père souvent absent, elle fréquente la classe unique de l’école communale et se passionne très jeune pour la lecture, grâce notamment à l’exemplaire d’Alice aux pays des merveilles – le « trésor de son enfance », que lui a offert sa grand-mère Blanche – et aux livres de William Faulkner, d’Ernest Hemingway (deux de ses maîtres), de Henry David Thoreau, des sœurs Brontë mais aussi de Fedor Dostoïevski. Dès l’âge de 14 ans, elle entre à corps perdu en littérature, grâce à un nouveau présent de Blanche : une machine à écrire.

Pendant ses plus que brillantes études de philosophie et d’anglais (elle sort « valedictorian » de sa promotion), elle découvre D.H. Lawrence, Flannery O’Connor, Thomas Mann, Franz Kafka et écrit sans discontinuer des romans qu’elle jette les uns après les autres. Elle gagne, avec In the Old World (1959), le concours de la nouvelle universitaire organisé par le magazine Mademoiselle et, en 1961, est diplômée de l’université du Wisconsin-Madison.

L’écriture, son miroir de l’Amérique

Joyce Carol Oates, tout juste mariée avec celui qui restera son compagnon de toujours, Raymond Smith, s’installe en 1962 à Détroit, où elle enseigne. La rencontre avec cette ville, dans laquelle elle découvre la brutalité des conflits raciaux et sociaux, et qui représente à ses yeux un véritable microcosme de la réalité américaine, est décisive : « Détroit : mon grand sujet […] a fait de moi la personne que je suis, et ainsi l’écrivain que je suis. »

En 1963, elle publie son premier recueil de nouvelles (By the North Gate) et, en 1964, son premier roman (With Shuddering Fall). C’est le début d’une œuvre prolifique et riche. En 1968, le couple s’installe à Windsor (Ontario), au Canada, où Joyce Carol Oates obtient un poste à l’université et où ils créeront, en 1974, la revue littéraire Ontario Review. Son roman Eux, paru en 1969, reçoit le National Book Award en 1970. Depuis, Joyce Carol Oates publie en moyenne deux à trois livres par an, essentiellement des romans, mais aussi des nouvelles, des pièces de théâtre, des recueils de poésie, des essais et des livres pour enfants.

En 1978, sans abandonner la publication de leur revue, Joyce Carol Oates et son mari s’installent près de l’université de Princeton, où elle obtient une chaire de « création littéraire ». Dans les années 1980, elle se réapproprie des genres quelque peu délaissés, le gothique et le roman d’horreur (Bellefleur, 1980), en s’éloignant du réalisme psychologique de ses débuts pour mieux le retrouver dans des romans sur les femmes (Solstice, 1984) et dans des chroniques familiales (Souvenez-vous de ces années-là, 1987).

L’œuvre, un engrenage de la violence

L’œuvre pessimiste emplie de passions destructrices de Joyce Carol Oates dérange et fascine, tout comme la femme – forcenée de travail, discrète et avare de détails sur sa vie et son œuvre. Elle ne correspond en rien à ce que la critique attend, et pourtant elle est reconnue comme l’une des écrivaines les plus importantes de son époque, et est fréquemment couronnée de prix littéraires.

Avec une langue travaillée et musicale, des récits complexes et structurés, tantôt brefs, tantôt généreux, tantôt réalistes, proches du naturalisme américain, tantôt fantastiques ou psychologiques, un ton tantôt drôle, grinçant et ironique, tantôt sévère, sans concession et des styles variés mêlant différents points de vue (introspectif, descriptif…), Joyce Carol Oates traite sans relâche de la violence humaine. Violence qui se décline sur des thèmes humains tels les passions, l’infidélité (Mariages et Infidélités, 1972), la femme (Faites de moi ce que vous voulez, 1973 ; Marya, 1986), les armes à feu, la politique (les Assassins, un livre d’heures, 1975), la religion (Haute Enfance, 1976), sur des thèmes sociaux et les travers de la société, comme le rêve américain (Blonde, 2000, sur Marilyn Monroe), la peine de mort, le racisme (Fille noire, Fille blanche, 2006), la brutalité masculine vis-à-vis des femmes, la violence sexuelle et corporelle (Viol, une histoire d’amour, id.) ou encore la malhonnêteté, la tricherie, le mensonge, les secrets de famille, la superstition, l’oppression, les laissés-pour-compte.

À travers tous ses ouvrages, Joyce Carol Oates tente de montrer la fragilité des choses, les petits événements qui grippent les rouages de la vie, la bouleversant voire la détruisant (Nous étions les Mulvaney, 1996 ; les Chutes, 2004, prix Femina étranger 2005), en soulignant les contradictions et les obsessions des hommes et des femmes, tour à tour victimes et bourreaux, sans juger, avec toujours un certain recul par rapport à la nature humaine.

La prolifique romancière Joyce Carol Oates, auteure également de quelque trente recueils de nouvelles, huit recueils de poésie, d’innombrables essais et articles (notamment sur Jung, Melville, O'Connor, Dostoïevski, Conrad, Mann, Ionesco, D.H. Lawrence et sur la boxe), d’un journal (Journal : 1973-1982, 2008), de livres pour enfants et de scénarios, a également publié des romans policiers à succès sous les pseudonymes de Rosamond Smith (Des yeux de serpent, 1992 ; Double diabolique, 1997) et de Lauren Kelly (Emmène-moi, emmène-moi, 2003 ; le Cœur volé, 2005).