Filippo Juvarra ou Filippo Juvara

Madrid
Madrid

Architecte et scénographe italien (Messine 1678-Madrid 1736).

Élevé à Messine, où son père était orfèvre, Juvara (ou Juvarra) est élève de Carlo Fontana, à Rome, à partir de 1703. Il en reçoit la tradition baroque romaine des Cortone, des Carlo Rainaldi, du Bernin surtout, dont il assimilera les recherches de luminosité et d’unification de l’espace. C’est un des plus grands architectes de son temps par sa vision souvent prospective, mais éloignée de tout excès.

Académicien de Saint-Luc en 1707, il entre au service du cardinal Pietro Ottoboni et effectue pour son théâtre des recherches scéniques et de nombreux projets. Son talent est déjà connu lorsqu’il rencontre à Messine, en 1714, Victor-Amédée II de Savoie, son souverain depuis un an. Devenu à Turin le premier architecte du roi, il va réaliser en vingt ans, à la faveur de cette position exceptionnelle, une œuvre gigantesque en Lombardie, à Lucques, à Chambéry, à Turin — élevant des quartiers entiers, des résidences, des palais, des églises.

Au terme de deux siècles baroques, Juvara entend faire une synthèse tout en restant, comme Boffrand en France, rebelle aux étrangetés du rococo contemporain, sans doute par réaction vis-à-vis de Guarini, son prédécesseur. La façade de Santa Cristina de Turin, cintrée, regroupant la sculpture à mi-hauteur, montre une maîtrise de la composition baroque qui se traduit ailleurs par des plans en croix grecque dans la tradition vaticane (chapelle de Venaria Reale, près de Turin, 1716). À la basilique de Superga (1717-1731), Juvara a la possibilité de faire la somme des recherches de ses devanciers dans un édifice à la mesure d’un site grandiose. Cette église votive, destinée à la sépulture de la famille de Savoie — et cela suffirait à motiver une rotonde, très en saillie sur le front d’un monastère de desserte —, est inspirée du Panthéon romain avec son portique antérieur ; mais la coupole et les deux clochers qui l’encadrent font penser à Sant’Agnese de Borromini, et aussi bien au palladianisme vénitien.

Dans deux églises de Turin, à San Filippo Neri (reprise en 1730 de l’édifice effondré de Guarini), et plus encore au Carmine (1732-1735), il exprime librement une maîtrise de l’espace, un sens de l’harmonie des couleurs dont il avait déjà fait état, en scénographe virtuose, dans ses édifices civils : l’escalier de son palazzo Madama (Turin, 1718-1721) et surtout la grande salle de la résidence de Stupinigi (1729-1733), articulée sur une composition à trame polygonale suffisante à elle seule pour faire de l’artiste un génial précurseur.

Dans la voie ouverte par Borromini et par Guarini (mais sans faire appel aux résilles d’arcs dans les coupoles), Juvara a réalisé de véritables espaces multidirectionnels, où la pesanteur et l’opacité semblent abolies. S’il n’en est pas ainsi pour ses projets de palais espagnols, exécutés dans un tout autre esprit par son collaborateur Giovanni Battista Sacchetti (1700-1764) à Madrid et à la Granja, près de Ségovie, on retrouve le dynamisme de ses conceptions en Piémont, dans l’œuvre de ses élèves : Benedetto Alfieri (1699-1767) et Bernardo Vittone (1702-1770).

Madrid
Madrid
  • 1717-1731 Basilique de Superga (près de Turin), par F. Juvarra.