Bertolt Brecht

Bertolt Brecht
Bertolt Brecht

Poète et auteur dramatique allemand (Augsbourg 1898-Berlin-Est 1956).

« Le monde d'aujourd'hui peut-il être rendu par le théâtre ? »

À cette question que posait Friedrich Dürrenmatt au cinquième colloque de Darmstadt sur le théâtre, Brecht entreprit de répondre dans une courte lettre parue dans l'hebdomadaire Sonntag le 8 mai 1955 : « La question de savoir si le monde peut être rendu par le théâtre est une question sociale. » Brecht affirmait ainsi que la forme dramatique est liée à la vie de l'homme en société, et que toute réflexion sur l'esthétique théâtrale passe par la considération critique des phénomènes politiques, économiques et sociaux qui préoccupent les hommes contemporains. Pour éclairer cette affirmation, Brecht comptait moins sur les quelques lignes de son article que sur la succession d'expériences que forme l'ensemble de son œuvre. « Dans la pratique, on fait un pas après l'autre ; la théorie, elle, doit couvrir la distance. » Cette distance, il la parcourait depuis trente-cinq ans.

« Je vins dans les villes au temps du désordre quand la famine y régnait. Je vins parmi les hommes au temps de l'émeute et je m'insurgeai avec eux. »

Lorsque Brecht commence à se passionner pour le théâtre, l'Allemagne garde encore sa confiance au grand état-major et à l'expressionnisme. Tandis qu'Hindenburg bloque en Artois les offensives françaises et obtient l'écroulement du front russe, Brecht, jeune étudiant à Munich, participe au séminaire d'Artur Kutscher, ami de Frank Wedekind. L'adolescent a accueilli la guerre et le pathétique outré de l'auteur de l'Esprit de la Terre comme des moyens de libération, une occasion de rejeter le monde de son père :
J'étais le fils de gens qui ont du bien
Mes parents m'ont mis un col autour du cou
Et m'ont donné l'habitude d'être servi
Et m'ont enseigné l'art de commander.

Il a connu une enfance monotone : une maison vieillotte ; son père, préoccupé par la direction de sa fabrique de papier ; sa mère plongée dans le dernier roman d'Auerbach.

Brecht se reconnaît mal dans cette ascendance. Son héritage à lui, c'est sa ville, Augsbourg. Augsbourg, l'ancienne ville libre, des églises gothiques et des « maîtres chanteurs », des Holbein et de Peutinger ; mais aussi la ville des tanneurs, des tisserands, des brasseurs.

Dès qu'il le peut, le jeune Brecht s'échappe pour courir au bord du Lech, le long des petits canaux qui bordent les tanneries, au milieu des baraques de la Foire d'automne. Là, il est fasciné par les panoramas et la brutalité de leurs tableaux : Néron contemplant l'incendie de Rome, les Lions bavarois à l'assaut des fortifications de Düppel, Fuite de Charles le Téméraire après la bataille de Morat. « Je me souviens, écrira-t-il en 1954, du cheval de Charles le Téméraire. Comme s'il sentait l'horreur de la situation historique, il avait d'énormes yeux remplis d'effroi. »

Comme sa grand-mère, la « vieille dame indigne » qui meurt en 1914, l'année même où paraissent ses premiers poèmes, Brecht fréquente les rues malfamées, les échoppes de cordonniers, les colporteurs.

De ce contact, il gardera la pratique savoureuse des objets, le pouvoir de libérer l'énergie poétique d'une étoffe, d'un verre de lait, d'une cuiller d'étain. Mais en ce début de 1918, sur les bancs des amphithéâtres qui se vident, Brecht pressent la catastrophe. En mars, il organise, dans un cabaret de Munich, un hommage à Wedekind, qui vient de mourir, à celui qui a écrit que la vie « est comme le faîte étroit d'un toit en pente ; on ne peut s'y tenir en équilibre ; il faut basculer d'un côté ou de l'autre ». Brecht, lui, bascule dans l'horreur. À l'hôpital d'Augsbourg, où il est mobilisé comme infirmier, il découvre le spectacle des blessés à l'agonie ou qui sombrent dans la folie. Dans cet univers de sang, il compose une « danse macabre », la Légende du soldat mort. Le 30 octobre, les marins de Kiel se mutinent. L'insurrection s'étend rapidement dans la Ruhr, en Saxe, en Bavière : les soldats arrêtent leurs officiers, arborent le drapeau rouge. Le poing tendu, le fusil sur l'épaule, Brecht défile dans les rues d'Augsbourg. Il fait partie d'un conseil de soldats et d'ouvriers. Mais, le 11 décembre 1918, le président Ebert salue les troupes de la garnison de Berlin : « […] vous qui rentrez invaincus des champs de bataille ». Le général von Lüttwitz écrase les Spartakistes. Le 15 janvier 1919, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont assassinés. Le monde apparaît à Brecht en pleine décomposition.

Asocial dans une société asociale

Le premier mouvement de Brecht est de se replier sur lui-même. Il se tient à l'écart de luttes qui lui apparaissent absurdes et d'antagonistes qui n'ont qu'une consistance de pantins. Puis, au milieu du bouillonnement politique et littéraire, à Munich et à Berlin, il commence à démêler certaines lois du fonctionnement de la société ; bientôt, il éprouvera le besoin de faire connaître ses découvertes. Aux trois moments de cette évolution correspondent trois formes d'écriture : d'abord cri de colère et de dégoût, puis notes et croquis pour rendre plus claire une situation, enfin moyen d'enseignement et d'éducation.

Brecht commence par tout refuser, le monde, la société et sa traduction esthétique, lui-même. Sa méditation hargneuse s'exprime dans la violence des Sermons domestiques, « exercices poétiques et démystification de la poésie ». Brecht s'attaque à la dernière incarnation du romantisme, la déclamation expressionniste, cette « volonté dramatique sans drame ». Et dans sa rage, brûlant ce qu'il a failli adorer, il pousse jusqu'à l'absurde un langage exacerbé. Dès ses premières œuvres, il a en main une de ses meilleures armes, la parodie. Parodie des recueils de cantiques protestants, ces Sermons domestiques, que Karl Thieme appelle le « bréviaire du diable » ; parodie du théâtre expressionniste, Baal, sa première pièce, qui reprend d'ailleurs le Solitaire de Hanns Johst, l'orgue de Barbarie remplaçant les accords de Beethoven. « La production dramatique de cette époque, écrit Brecht en 1954 (En révisant mes premières pièces), avec ses appels grandiloquents à l'Homme et ses solutions fallacieuses et irréalistes, rebutait l'étudiant en sciences que j'étais. » En réalité, Brecht est à cette époque plus révolté qu'homme de science, et Baal n'est souvent qu'une glorification de l'égoïsme. Il condamne l'expressionnisme, en lequel il voit une esthétique de névrosés, mais il n'a pas subi le traumatisme de la génération qui avait trente ans en 1914. Et s'il ne conçoit pas d'attitude positive au-delà du sarcasme, c'est par ignorance de la signification réelle du mouvement prolétarien. Tambours dans la nuit, écrit trop près de l'événement, témoigne surtout de sa désillusion devant l'échec des révolutionnaires. Kragler, soldat révolté, abandonne ses camarades et va passer la nuit avec sa fiancée : « Je suis un porc, avoue-t-il, et le porc rentre chez lui. » Mais déjà l'admiration pour Rimbaud, si manifeste dans Baal, cède à l'influence de Büchner : derrière les destins individuels des personnages on entrevoit le déroulement de l'Histoire, le drame d'un peuple. Un ton nouveau, une nouvelle mélodie, c'est ce qui retient Herbert Ihering, qui fait obtenir à Brecht le prix Kleist. Brecht sait désormais que le théâtre sert à quelque chose, qu'il peut être une arme. Mais pour quel combat ?

« Nos espoirs, c'est le public sportif qui les porte »

Brecht est frappé par l'adéquation, dans le domaine du sport, entre l'offre et la demande : « Dans les salles de sport, au moment où les gens prennent leurs places, ils savent exactement ce qui va se passer ; et lorsqu'ils sont assis, c'est exactement le spectacle attendu qui se déroule sous leurs yeux : des hommes entraînés déploient des forces qui leur sont propres et de la manière qui leur est la plus agréable… » Rien de tel au théâtre, pas de plaisir, pas de « bon sport ». L'époque est sensible aux différents styles du théâtre ancien parce qu'elle n'a pas trouvé de forme d'art en qui elle se reconnaisse. Notre manière de nous divertir est singulièrement anachronique. Brecht, qui admire l'élégance du boxeur Samson-Körner (il « boxe objectivement »), tente une expérience : adapter le charme plastique et le rythme d'un combat de boxe à la lutte qui oppose l'homme à l'homme. Un petit employé, George Garga, et Shlink, un Maltais négociant en bois, se livrent en dix rounds un « combat en soi », pour le seul plaisir de l'affrontement (Dans la jungle des villes). Thème d'une grande simplicité, qui contraste avec la variété des sources d'inspiration et des problèmes formels qui s'imposent à Brecht : les Brigands de Schiller, les éclairages de Jessner pour Othello, un roman de J. V. Jensen sur Chicago, la lecture d'Une saison en enfer ; et puis une double saveur qui, trente ans après, garde toute sa fraîcheur dans le souvenir de Brecht : celle de la banlieue d'Augsbourg, des allées de marronniers jaunissants, des cygnes au pied des remparts nageant sur l'eau dormante ; celle surtout d'une expérience du langage, où les mots se combinent comme se mélangent des boissons fortes. « J'écrivais des scènes entières avec des mots sensibles et concrets, des mots d'une certaine matière et d'une certaine couleur. Noyau de cerise, revolver, poche de pantalon, dieu de papier […]. » Cependant, si Brecht arrive à exorciser la forme traditionnelle de la tragédie, il ne parvient pas à donner à cette lutte une signification véritable. L'isolement des hommes est si grand qu'aucun combat réel ne peut s'engager. Les spectateurs, à qui il demande de réserver tout leur intérêt pour le round final, assistent à « une simple séance de shadow ». Et pourtant Brecht est tout près de sa découverte capitale. En acceptant d'adapter et de mettre en scène l'Édouard II de Marlowe, il va éprouver la nécessité d'une interprétation de l'Histoire. Le combat spirituel n'existe pas. L'homme et le monde se transforment l'un par l'autre. Le drame fondamental se joue au niveau non de la destinée individuelle, mais de la situation historique.

L'homme est pris dans un réseau non de fatalités naturelles, mais de rapports sociaux. Il est vulnérable, parce que transformable à volonté. Créateur et produit, il vit ou meurt de ses contradictions. Agissez sur un rouage, tirez une ficelle et vous obtenez un autre homme.

« […] On peut faire tout ce qu'on veut d'un homme.
Le démonter, le remonter comme une mécanique
Sans qu'il y perde rien, c'est magnifique ! »
s'extasie la veuve Begbick d'Homme pour homme : le mitrailleur Jeraiah Jip perd une touffe de cheveux et devient un dieu tibétain ; le débardeur Galy Gay sort pour acheter un poisson et se retrouve à la tête de l'armée britannique donnant l'assaut à la forteresse de Sir el Dchowr. Déshabillage, rhabillage. Démontage, remontage. Prenez garde à l'habit que vous endossez : il fait l'homme ! Un homme vaut un homme, pense Galy Gay. Imposteur et opportuniste, habile à supporter toutes choses, le pauvre commissionnaire accepte sa propre mort, en qui il voit une « affaire ». Brecht vient de prendre conscience de l'aliénation et d'effectuer sa révolution copernicienne : « L'homme n'est rien du tout. La science moderne a prouvé que tout est relatif. […] L'homme est bien au centre, mais relativement. »

Le regard neuf qu'il avait jeté sur la nature, l'homme ne l'a pas porté sur la société

La société moderne proclame avec la même vigueur la malléabilité du monde et l'immuabilité de la nature humaine. Brecht voit dans cette incohérence la source des difficultés et des injustices du système social et économique contemporain, ainsi que la matière même du nouveau théâtre de l'ère scientifique. Prenant appui sur le monde réel (un événement actuel ou un fait passé qui éveille une résonance dans la conscience de l'homme d'aujourd'hui), le théâtre peut donner une image de la vie sociale qui permette de la transformer. La représentation dramatique est ainsi conçue comme un modèle opératoire du monde. Brecht rompt avec la conception aristotélicienne de la tragédie (la catharsis, la purification par la terreur et la pitié) et avec le but que Hegel assigne au drame (« […] le conflit, le principal, celui autour duquel tourne l'œuvre, doit trouver dans la conclusion de celle-ci son apaisement définitif »). Le théâtre traditionnel donne une image erronée de la vie. Il divertit, c'est-à-dire qu'il détourne le spectateur de la réalité humaine de son temps : les grands conflits sociaux. Il n'est plus guère qu'« une branche du trafic bourgeois de la drogue ». Le public est convié soit à s'identifier aux héros classiques et romantiques, à « profiter en parasite des purgations de Sophocle, des immolations de Racine… », soit à accepter la description « objective » d'un phénomène psychologique ou historique. Dans les deux cas, le public joue un rôle passif. La salle est tout entière dominée par la scène. Brecht, au contraire, veut inviter le spectateur à voir dans le conflit représenté non un événement symbolique, mais une réalité vivante, à laquelle il doit participer par une attitude critique, cette attitude qu'il a spontanément devant la nature, considérant un fleuve pour en régulariser le cours, un arbre pour le greffer.

Un ensemble de réformes tendant à « littérariser » le théâtre

Si les principes de la nouvelle dramaturgie ont été, pour Brecht, assez rapidement fixés, ses techniques dramatiques ont connu, en revanche, une remarquable évolution. Et plus qu'en découvertes de procédés scéniques ou littéraires, celle-ci consiste en de nouvelles dispositions d'éléments épars, mais présents dès ses premières pièces.

Le premier réflexe de Brecht est d'user de son arme favorite, la parodie. Voulant faire le procès du théâtre « culinaire », il choisit sa forme extrême et compose un opéra. L'adaptation de l'Opéra du gueux de John Gay fournit à Brecht le prétexte d'un exposé critique de ce que le spectateur désire voir de la vie sur un théâtre. Or, le public bourgeois fit un triomphe à l'Opéra de quat'sous : début d'une série de malentendus qui se poursuivra tout au long de la carrière de Brecht. Ou il est refusé comme un nihiliste, condamné comme un auteur à scandale, ou il est applaudi comme un poète (ainsi Pabst, dans son film pour la société Nero, transforme en élégie la satire sociale). « Je suis, écrira Brecht à un comédien, dans l'état d'esprit d'un mathématicien à qui l'on assurerait : je suis d'accord avec vous, deux et deux font cinq. » Il est vrai que son personnage même étonne et irrite : tantôt précieux et négligent, un cigare à la bouche, tantôt jouant au rustre provincial, exagérant son accent souabe. L'Opéra de quat'sous est la première entreprise délibérée de « littérarisation » du théâtre ; mais le mélange d'éléments formels (structure classique de l'opéra, scènes, airs et récitatifs) et d'éléments formulés (l'introduction dans le déroulement de la pièce de panneaux sur lesquels les titres des scènes sont projetés ; la rigoureuse séparation des trois plans : diction naturelle, déclamation, chant) s'y effectue avec trop d'élégance. Brecht reconnaît son erreur et, sans abandonner son projet initial (« Même si l'on se proposait de mettre en discussion le principe de l'opéra, il faudrait faire un opéra »), entreprend de se corriger : avec Mahagonny, qui provoque un approfondissement de sa réflexion esthétique et un essai de définition du théâtre « épique », il choisit la violence, la caricature. Le tumulte qui accueille la première à Leipzig lui apprend qu'on ne peut respecter ses règles et transformer le théâtre bourgeois.

« Je n'écris pas pour la racaille qui ne recherche que l'émotion »

Brecht avait pensé exercer une action sur le public. Il se rend compte que tout son effort doit porter sur la structure même du théâtre. Mais, comme il l'affirmait dans le supplément littéraire de la Frankfurter Zeitung du 27 novembre 1927, « la transformation totale du théâtre ne doit pas être l'œuvre d'un caprice d'artiste, mais simplement correspondre à la totale transformation spirituelle que connaît notre époque ». Tirant la leçon de son échec, Brecht rejette les quatre éléments fondamentaux du théâtre traditionnel : la structure de la pièce, les acteurs, le public, le circuit habituel de distribution des salles de spectacle. Son théâtre, qui s'adresse à la raison, Brecht va l'expérimenter dans les écoles, les unions de jeunes, les associations ouvrières, grâce à des comédiens non professionnels. Usant principalement des possibilités des chorales ouvrières, il crée une forme théâtrale et musicale qui permet, par l'emploi des chœurs, la participation active du public à l'action : c'est le Lehrstück, la « pièce didactique ». Brecht s'inspire des pièces édifiantes jouées dans les collèges de jésuites de la Contre-Réforme, du théâtre classique espagnol et du nō japonais. Mais il joint à l'usage de formes éprouvées la pratique de techniques nouvelles : recherches musicales (il obtient la collaboration d'Hindemith pour le Vol des Lindberghs et l'Importance d'être d'accord), possibilités offertes par les moyens de diffusion tels que le cinéma et la radio.

Pour traduire et comprendre la société moderne, acteurs et chanteurs se servent des meilleurs outils qu'elle peut leur fournir. Ainsi s'instruisent-ils en enseignant. Mais qu'enseignent-ils ? « L'avenir du théâtre est dans la philosophie », écrit Brecht en 1929. Or, sa philosophie se constitue lentement. Il lui faut une douzaine d'années pour passer du nihilisme au communisme. Et cette évolution s'accomplit moins à travers une réflexion politique qu'au moyen d'une ascèse morale. Plus que prédication d'une vérité acquise, les « pièces didactiques » (le Vol des Lindberghs, Celui qui dit oui, celui qui dit non, la Décision, l'Exception et la règle) sont le lieu de cette transformation intellectuelle. La plus grande capacité de transformation de la nature implique la réduction de l'homme à sa « plus petite grandeur », le renoncement de l'individu à soi-même dans l'intérêt de la collectivité. Cette ascèse se veut apprentissage du monde et non oblation mystique. Mais sa signification est ambiguë. Un critique marxiste reproche à Brecht de « nier systématiquement l'individu, la personne », tandis que le catholique Karl Thieme écrit à propos de Celui qui dit oui : « Depuis des siècles, nous n'avions entendu la vérité chrétienne de façon aussi claire, aussi simple, aussi directe que dans cette pièce bouleversante… » Brecht a voulu donner une leçon de réalité, mais il a ramené la conscience de l'action, de la stratégie politique, à une attitude purement éthique. L'apport positif, définitif, des Lehrstücke, réside dans le refus du « héros ». Cet anéantissement personnel n'a cependant de sens que s'il prépare à une action concrète. Mais au moment où la forme de la « pièce didactique » n'est justement plus pour Brecht qu'une forme, deux pièces prolongent l'expérience de l'être humain qui abandonne la vie privée pour l'action politique générale. Elles tracent chacune un itinéraire exemplaire : l'un dans l'accession à la conscience révolutionnaire (la Mère), l'autre dans le confinement à l'attitude morale : rhabillée en soldat de l'Armée du salut, Jeanne Dark, qui a reculé devant l'épreuve de la grève, meurt en Sainte Jeanne des Abattoirs.

Brecht est désormais en possession de l'essentiel de son esthétique : il sait qu'il n'a plus à rendre intelligible un conflit ou un procès, mais à présenter dans son déroulement, c'est-à-dire dans ses contradictions, un comportement humain qui est par lui-même intelligible. Et les deux figures du diptyque, sainte Jeanne et la mère Pélagie Vlassova, sont à un autre titre exemplaires : dévoyées ou militantes, ce sont des femmes qui porteront le poids de la parabole brechtienne. Dans son théâtre, mis à part Galilée et la silhouette diffuse de l'aviateur, symbole de l'ère scientifique, l'histoire se fait par la femme et singulièrement par la mère. Présente dans Tambours dans la nuit, charnelle encore dans l'adaptation de Gorki, la maternité trouvera son accomplissement dans le Cercle de craie caucasien : Groucha n'est plus la mère par le sang, mais par la peine et la bonté. La véritable maternité est la maternité sociale.

Ce sont ces thèmes que Brecht va approfondir dans l'exil, avec d'autant plus d'inquiétude et d'exigence qu'il se verra rejeté plus loin de l'Allemagne. Brecht, si peu attaché aux objets, emmena pourtant avec lui un rouleau chinois illustrant la légende de Lao-Tseu. Cette peinture, Max Frisch la vit en 1948, dans la petite mansarde que Brecht occupait à Herrliberg, près de Zurich : alors qu'il a décidé de quitter ses habitudes et son pays, Lao-Tseu se montre sensible à la prière d'un pauvre douanier ; il accepte de consigner par écrit, à l'usage des humbles, la somme de ses expériences.Loué soit le sage qui a obéi au désir d'un homme simple….

Pour les gens simples, Brecht va préciser sa vérité.

« Observez chacun. L'étranger comme s'il vous était connu. L'homme connu comme s'il vous était étranger. »

Brecht s'est toujours défié de l'adhésion impulsive. Il travaille pour l'avenir. Aussi son théâtre de l'exil et de la guerre apparaît-il beaucoup moins « engagé » que celui d'autres émigrés, comme Friedrich Wolf ou Carl Zuckmayer. Il ne se presse pas de faire jouer les saynètes de Grand-peur et misère du IIIe Reich ; les pièces qu'il propose au Schauspielhaus de Zurich en 1943 et 1948 (la Bonne Âme de Se-Tchouan, Maître Puntila et son valet Matti) comptent, dans son œuvre, parmi les plus libérées de l'actualité ; à Hollywood, il travaille même à fabriquer des films.

C'est que pour dire la vérité il faut choisir son moment. Dans un pamphlet diffusé clandestinement en Allemagne en 1935 (Cinq Difficultés à écrire la vérité), Brecht ajoute aux quatre qualités nécessaires à une action efficace (le courage, l'intelligence, l'art, le discernement) la ruse. Il ne cessera de la pratiquer, devant le comité d'investigation des activités anti-américaines en 1947 comme lors des discussions avec le gouvernement de la R. D. A., qui l'oblige en 1951 à modifier le Procès de Lucullus. Usant de naïveté et d'humour pour triompher des obstacles momentanés, Brecht poursuit son œuvre d'éducation morale. Il en défend les principes dans de multiples écrits théoriques, des critiques de représentations, des lettres à des comédiens ; il en donne l'illustration avec quatre pièces qui forment le sommet de son œuvre : la Vie de Galilée, Maître Puntila et son valet Matti, la Bonne Âme de Se-Tchouan, le Cercle de craie caucasien. Pour agir sur la société, il faut porter sur elle le regard curieux et étonné que le savant porte sur le phénomène naturel. Galilée considère le balancement familier d'une lampe de la cathédrale de Pise comme un événement nouveau, étrange : il découvre les lois du mouvement pendulaire.

Le rôle du théâtre épique est d'aider le spectateur à porter sur le monde le regard critique qui l'empêchera de confondre habitude et nature, causalité et fatalité. Mais la notion de théâtre épique ne porte-t-elle pas en elle une contradiction ? Peut-on concilier les formes et les procédés du drame et de l'épopée ? Brecht n'esquive pas la difficulté. Bien loin de la dissimuler, il l'étale, il l'éclaire. L'acceptation lucide de la contradiction est une des caractéristiques essentielles de son théâtre. Lui-même a été toute sa vie déchiré entre son pacifisme intégral et sa conscience de la nécessité de la violence révolutionnaire. Le personnage brechtien est par nature écartelé : Puntila, ivre, est un homme généreux, à jeun, un propriétaire intraitable ; Mauler ne supporte pas de voir égorger un bœuf, mais use de ses employés comme du bétail sur pied ; Anna Fierling, la Mère Courage, maudit la guerre qui la fait vivre.

Cette dualité constante se traduit par de perpétuels changements d'humeur (Fairchild, Puntila) ou de vêtements (Galy Gay, Jeanne Dark, Chen-te). Mais le théâtre n'a pas à résoudre les contradictions, il doit simplement les rendre plus lisibles. L'aporie du théâtre épique disparaît au niveau technique : l'épopée se joue sur la scène, le drame dans la salle entre l'acteur qui expose et le spectateur qui observe et réfléchit. Ce spectateur apprend d'abord à ne pas se laisser intimider. Ni par la dureté ou la durée des choses, qui se révèlent transformables ; ni par le déroulement de l'histoire, qui est faite de main d'homme ; ni par le prestige des œuvres classiques (Brecht débarrasse le Coriolan ou l'Hamlet de Shakespeare, l'Antigone de Sophocle du pathos routinier pour leur restituer leur grandeur humaine ou leur signification politique) ; ni par la dimension légendaire des personnages littéraires ou historiques (les Affaires de Monsieur Jules César dénoncent l'usure morale et la soumission à l'argent du bâtisseur d'empire). Le spectateur doit rompre à la fois avec la tendance à assimiler le fait contemporain à l'événement passé (pour en tirer la conclusion de la pérennité de la nature humaine) et avec la tentation de découvrir dans les époques anciennes la préfiguration de la nôtre (ce qui entraîne la négation des structures historiques et sociales). Il faut garder à chaque époque son caractère propre, dans ce qu'il a d'éphémère. L'image de l'individu vivant, présenté dans ses actions et ses réactions, semblable aux autres et pourtant différent, ressemble à « ces esquisses qui gardent encore autour du personnage achevé les traces d'autres mouvements et d'autres traits ébauchés… ». Ainsi, ce que Brecht appelle le « gestus social », l'attitude humaine qui trouve son sens dans un contexte social, ne doit pas être saisi d'une manière abstraite et générale, mais toujours dans ses rapports avec une situation donnée.

Dès 1932, Brecht reprochait aux comédiens de vouloir obtenir à tout prix le « regard de chien traqué ». Ce « gestus » est vide, il n'a pas le caractère d'une activité, il renvoie à l'« Homme » dépouillé de toute particularité sociale. Le « regard de chien traqué » ne peut devenir une attitude sociale que « si l'on montre comment certaines machinations ravalent l'individu au niveau de l'animal ». Si l'auteur dramatique donne aux actions des mobiles sociaux variables selon l'époque, le public est contraint à un effort d'accommodation. Il doit chaque fois calculer son angle de vue. Il ne se dit plus : « moi aussi, j'agirais ainsi » ; mais tout au plus : « moi aussi, j'aurais agi ainsi dans de telles conditions ». Et si nous jouons comme des pièces historiques des pièces tirées de notre époque, il se pourrait que le spectateur découvre la singularité de ses conditions de vie. Le théâtre épique fait ainsi appel à l'attention sans défaillance du spectateur. Traité en adulte, celui-ci trouve son plaisir dans sa lucidité.

L'effet d'éloignement

Pour provoquer l'attention du public et la maintenir en éveil, Brecht use d'une double démarche. Un mouvement d'abord rapproche du spectateur le sujet représenté en le transposant dans un milieu qui lui est connu et où sa réflexion peut s'exercer à l'aise. Ainsi, les machinations politiques et financières du nazisme deviennent les tristes exploits du gang du chou-fleur d'une grande ville américaine (Arturo Ui) ; le recours au rythme du Volksstück, de la « pièce populaire », permet de rendre plus sensible le mélange de poésie et de trivialité de Maître Puntila ; dans ses pièces « françaises » (les Visions de Simone Machard, les Jours de la Commune, Brecht s'efforce d'atteindre à la coloration et au découpage de l'image d'Épinal.

Une fois le spectateur placé dans une atmosphère familière, Brecht, par un mouvement inverse, éloigne l'action et la rend insolite. Ainsi, le comportement d'un personnage, qui semble au premier abord bien défini, doit montrer « quelque chose de « pas naturel », de sorte que ses motivations, elles aussi, ne semblent plus aller de soi et invitent à intervenir ». Brecht donne en exemple la diction des clowns, les tableaux présentés dans les vieilles foires populaires. L'inhabileté même du peintre qui a représenté la fuite du Téméraire à Morat fait saisir l'inattendu de la situation : « La stupéfaction a guidé son pinceau. » Le rôle de cet effort de distancement (ou de distanciation), Brecht le rend sensible par l'étude de la scène de la rue, manifestation élémentaire de théâtre épique naturel : le témoin oculaire d'un accident en mime les circonstances devant des passants attroupés. Cette représentation quotidienne est le prototype de la scène du théâtre épique. Elle a les caractères d'une description, d'une démonstration, d'une reproduction limitée : le narrateur justifie les moyens employés par la fin poursuivie. Il ne cherche pas systématiquement à recréer l'angoisse ou l'horreur ; la « prise en charge » de certaines émotions n'est qu'un des éléments de la démonstration, une des formes de la critique. Les caractères des personnages se déduisent de leurs actions. Un théâtre qui adopte ce point de vue s'oppose au théâtre traditionnel, qui présente les actions comme découlant irrésistiblement des caractères, ainsi que d'une loi naturelle. Le narrateur ne laisse jamais oublier qu'il n'est pas le personnage représenté, mais le démonstrateur. Il n'est même pas nécessaire qu'il soit particulièrement habile. L'effet d'éloignement- et la possibilité de jugement- sera considérablement renforcé si, incapable d'exécuter un geste aussi rapidement que l'accidenté, il se contente d'ajouter : « Lui s'est déplacé trois fois plus vite. » Le public ne voit pas un amalgame du personnage et du narrateur, non plus qu'un tiers autonome et harmonieux, aux contours flous hérités de l'un et de l'autre, comme dans le théâtre de Stanislavski. « Les opinions et les sentiments du démonstrateur ne se confondent pas avec les opinions et les sentiments du personnage représenté. »

Chez Brecht, on joue froid

On comprend du même coup le style de jeu de l'acteur « épique ». Brecht a consacré une grande part de son activité à la formation des comédiens. L'acteur qui doit provoquer la réflexion du spectateur doit éviter de le mettre en transes. Il n'a donc pas à s'y mettre lui-même. Il doit garder sa souplesse, son naturel. Ne voulant pas que le public adopte automatiquement les sentiments de son personnage, il montrera que ses propres sentiments ne se confondent pas avec ceux du personnage qu'il représente. Il ne se laisse donc jamais aller à une complète métamorphose. Brecht note dans son Petit Organon pour le théâtre : « Une critique du genre » Il ne jouait pas le rôle de Lear, il était Lear « serait pour lui le pire des éreintements. » Les comédiens ont à leur disposition bien des moyens de résister à la tentation de l'identification. Brecht leur conseille d'imiter la technique du camelot qui mime, par exemple, un dandy en parlant de lui à la troisième personne ; les acteurs peuvent échanger leurs rôles, mettre leur texte au passé, transposer les vers en prose, le style soutenu en dialecte régional, énoncer à haute voix les indications scéniques. Brecht propose en modèle l'art du comédien chinois. En 1935, à Moscou, il a assisté à une démonstration de Mei Lan-fang et de sa troupe. Comme un acrobate, l'artiste chinois choisit la position qui l'expose le mieux au regard. Et il s'observe lui-même. Brecht s'est également inspiré de la simplicité avec laquelle le théâtre chinois résout les problèmes matériels de mise en scène. Non pas stylisation, mais schématisme ; volonté d'indiquer et non de suggérer : un général porte sur ses épaules autant de petits drapeaux qu'il commande de régiments ; un simple masque désigne le caractère. Brecht, qui a beaucoup utilisé le masque dans son théâtre, a d'ailleurs pris soin d'en distinguer l'emploi de celui qu'en faisaient les théâtres antique et médiéval : ces masques d'hommes ou d'animaux dérobaient à l'intervention du spectateur une réalité dont ils faisaient quelque chose d'immuable.

Le masque est chez Brecht un des nombreux « filtres » qui permettent de retenir dans la réalité un réseau de significations. Filtre également l'emploi des sonorités du vers de Schlegel pour rendre plus sensible la parabole d'Arturo Ui, par le décalage entre la noblesse du rythme et la vulgarité du dialogue ; filtre, les intermédiaires que Brecht place entre le lecteur et César (un jeune biographe passionné, l'ancien banquier du dictateur, le secrétaire de César) pour lui faire comprendre que le conquérant n'est que « la résultante des forces qui se disputaient alors Rome » ; filtre, les changements d'éclairage et de décor effectués à vue ; filtre, la musique qui n'« accompagne » pas le spectacle, mais le commente ; filtre encore, la chorégraphie, car l'élégance d'un mouvement d'ensemble est par elle-même un procédé d'éloignement. « Que les arts frères de l'art dramatique, écrit Brecht en 1948, soient donc invités dans notre maison, non pour fabriquer l'œuvre d'art totale dans laquelle ils se perdraient tous, mais pour faire avancer la tâche commune ensemble et chacun selon sa manière. »

« Écrire, planter, voyager, chanter, être amical »

Car ce n'est pas une communion d'esthètes que recherche Brecht par son théâtre. C'est la participation de tous, chacun selon ses moyens, à l'entreprise de rénovation du monde. Ainsi attend-il beaucoup des critiques des spectateurs, lors des débats qui suivent les représentations de ses principales pièces ; ainsi s'efforce-t-il de guider et de stimuler la réflexion des acteurs et des metteurs en scène par des « modèles », dossiers techniques et photographiques décrivant les principales mises en scène du Berliner Ensemble, et exposant les difficultés et les discussions auxquelles ont donné lieu les répétitions de ses pièces : « Quelque chose, écrivaient Brecht et Neher en 1948, qui s'apparente au Clavecin bien tempéré. » Mais le Petit Organon pour le théâtre s'achève sur cette affirmation : « […] le mode d'existence le plus facile est dans l'art ». L'art n'est qu'une préface à l'action. Brecht craignait que le caractère épique de son théâtre fût tenu pour une « catégorie de l'esthétique formelle » et non pour une « catégorie sociale ». Aussi ses dernières pièces relèvent-elles d'un théâtre dialectique, qui multiplie les médiations entre spectacle et spectateur. Le Cercle de craie caucasien mêle la légende chinoise, la technique japonaise du récit, les panoramas de Bruegel, le rythme des Marx Brothers, les styles et les tons, la violence et la poésie. Chanteurs et récitants interviennent, expliquent, commentent. Le théâtre est dans le théâtre. Brecht ressent un besoin d'union, de solidarité avec tous et avec toutes choses.

À ce désir d'amitié, de réconciliation, de paix dans un monde où il n'a cessé de déplorer l'impossibilité de la bonté, correspond la tendance à prendre ses distances vis-à-vis de lui-même, à éprouver son être, ses souvenirs. C'est la raison, dans ces dernières années, de son retour à la poésie. Les Elégies de Buckow établissent le bilan de tous les moments (paysages, êtres, lumières, impressions) qui font de la vie une source de joies et de possibilités humaines. Quelques jours avant sa mort, il croit apercevoir à travers sa vitre sur le sureau du jardin, pareil à celui de son enfance à Augsbourg, quelque chose de rouge et de noir :
Pendant quelques minutes, très sérieusement, je me demande
Si je dois aller chercher mes lunettes sur la table
Pour mieux voir les baies rouges sur les branchettes noires.

Ce dernier retour à l'enfance est le signe de l'acceptation lucide d'une vie dans ses doutes et ses certitudes, dans ses colères et ses actes de foi. Une vie qui le fondait à écrire :
Mais vous, quand le temps sera venu
Où l'homme aide l'homme,
Pensez à nous
Avec indulgence.

LES PRINCIPAUX COLLABORATEURS DE BRECHT

Auteur

Lion Feuchtwanger (Munich 1884-Los Angeles 1958). Après des études de philosophie et de littérature à Berlin et à Munich, il devient, en 1908, critique dramatique, puis entreprend à travers des romans historiques l'évocation des problèmes contemporains. C'est à Munich, en 1919, qu'il se lie d'amitié avec Brecht. En 1923, il participe à l'adaptation de l'Edouard II de Marlowe. Bien que son célèbre récit le Juif Süss (1925) ait été annexé par la propagande antisémite, Feuchtwanger émigre à l'avènement de l'hitlérisme, passe en France, puis aux États-Unis. En 1936, il collabore avec Brecht à la revue mensuelle Das Wort, éditée à Moscou. Il retrouve Brecht à Hollywood en 1941 et lui apporte, par sa connaissance de la France, de précieux documents pour la composition des Visions de Simone Machard. Feuchtwanger, qui écrira en anglais un récit sur la Résistance française (Simone, 1944), obtiendra ensuite la nationalité américaine.

Metteurs en scène

Erwin Piscator (Ulm 1893-Starnberg, Bavière, 1966). Quand commença sa collaboration avec Brecht, Piscator dirigeait le théâtre de la place Nollendorf : leur commune adaptation des Aventures du brave soldat Schweyk, de Hašek, fut un grand succès. Emigré aux États-Unis, Piscator retrouva Brecht à New York en 1943.

Erich Engel (Hambourg 1891-Berlin 1966). Après s'être consacré à de nombreuses mises en scène de Shakespeare, il collabore avec Brecht dès 1923 et réalise notamment Dans la jungle des villes, Homme pour homme et l'Opéra de quat'sous. Après la Seconde Guerre mondiale, il dirige à Munich les Kammerspiele avant de retrouver Brecht et de prendre part aux plus grandes interprétations du Berliner Ensemble (Mère Courage, Maître Puntila et son valet Matti, le Cercle de craie caucasien, la Vie de Galilée). Il est également le réalisateur de plusieurs films.

Musiciens

Kurt Weill (Dessau 1900-New York 1950). Après des études à Berlin, il travaille un moment avec G. Kaiser. Sa première collaboration avec Brecht date du 14 juillet 1927 : il écrivit la musique d'un « song » et les intermèdes de Mahagonny, jeu sur des poèmes extraits des Sermons domestiques, créé au Festival de musique contemporaine de Baden-Baden. C'est l'esquisse de l'opéra de 1930 (Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny), dont Weill composera également la musique. Il travaillera à de nombreuses « pièces didactiques », comme le Vol des Lindberghs, mais sa grande réussite reste l'Opéra de quat'sous. Avant d'émigrer aux États-Unis, Weill écrivit la musique du ballet de Brecht les Sept Péchés capitaux des petits-bourgeois, qui fut créé, en 1933, au Théâtre des Champs-Élysées, à Paris, sous la direction de George Balanchine.

Paul Dessau (Hambourg 1894-Berlin 1979). Depuis 1920, il compose de la musique pour de nombreux théâtres et opéras à Cologne, Mayence, Berlin. Emigré en 1933, il retrouve Brecht en 1942 à Hollywood : avec lui de 1943 à 1947, il travaille à un opéra, les Voyages du dieu Bonheur, qui restera inachevé. Rentré à Berlin en 1948, il participe notamment à la création du Procès de Lucullus à la Staats-oper, puis à la modification de la pièce après les critiques du gouvernement de la R.D.A. En 1951, il collabore à la pièce de circonstance Rapport de Herrnburg, que Brecht compose pour le Festival mondial de la jeunesse démocratique à Berlin-Est.

Hanns Eisler (Leipzig 1898-Berlin 1962). Après des études à Vienne, il est enrôlé, en 1916, dans l'armée austro-hongroise. Entré au Conservatoire en 1918, il abandonne vite l'enseignement officiel pour celui d'Arnold Schönberg. En 1924, il obtient le grand prix de Musique de la ville et part enseigner lui-même à Berlin. Il travaille pour l'Union des théâtres ouvriers allemands et commence à collaborer avec Brecht (la Décision, la Mère). Émigré en 1933, il accompagne Brecht en 1934 et 1935 dans des voyages à Londres, à Paris et à New York à l'occasion de la création de la Mère au Civic Repertory Theatre. En 1941, il retrouve Brecht à Hollywood, travaille à la musique de Schweyk dans la Deuxième Guerre mondiale et enseigne à l'université de la Californie du Sud. Arrêté à la suite de sa comparution en 1947 devant le Comité pour l'examen des activités anti-américaines, il parvient à quitter les États-Unis et s'installe à Berlin, où il dirige la classe de composition de l'Académie des arts de la R.D.A. Il compose la musique de trois spectacles du Berliner Ensemble (la Bataille d'hiver, Katzgraber, le Baladin du monde occidental) et une Symphonie allemande (créée à Londres en 1962) sur des paroles de Brecht. Il est également l'auteur de la musique de nombreux films (Les bourreaux meurent aussi, Nuit et brouillard) et de l'hymne national de la R.D.A.

Décorateur

Caspar Neher (Augsbourg 1897-Vienne 1962). Ami d'enfance de Brecht, il travailla au festival de Salzbourg et à l'Opéra de Vienne, avant de composer les décors et les costumes de nombreuses pièces de Brecht (Baal, Edouard II, l'Opéra de quat'sous, Homme pour homme, la Mère, Maître Puntila et son valet Matti, la Vie de Galilée).Brecht écrit, en 1951, dans l'Architecture scénique du théâtre épique : « Nous commençons parfois les répétitions en ignorant tout des décors, et notre ami Neher se borne à nous dessiner de petites esquisses des événements que nous avons à représenter. […] Parfois il nous donne ses dessins avant les répétitions et il nous aide à mettre au point les mises en place et les gestes, et même, assez fréquemment, à caractériser les personnages et leur manière de s'exprimer. Ses décors sont tout imprégnés de l'esprit de la pièce et éveillent chez les comédiens l'ambition d'être à la hauteur. »

Acteur

Helene Weigel (Vienne 1900-Berlin 1971). Après des débuts à Francfort-sur-le-Main, elle vient, en 1923, à Berlin, où elle est engagée au Staatstheater, puis au Deutsches Theater. Elle rencontre Brecht en 1924 et l'épouse en 1928. Elle a interprété tous les grands rôles de son théâtre et contribué fortement à préciser l'esthétique brechtienne :
Comme le planteur pour sa pépinière
Choisit les plus lourdes graines et comme le poète
Pour son poème les mots justes, de même
Elle choisit les objets qui sur la scène
Accompagneront ses personnages…
écrivait Brecht dans l'Achat du cuivre en 1951.

Bertolt Brecht
Bertolt Brecht
Bertolt Brecht, octobre 1947
Bertolt Brecht, octobre 1947
Mère Courage et ses enfants
Mère Courage et ses enfants
Voir plus
  • 1928 L'Opéra de quat' sous, de K. Weill, sur un texte de B. Brecht.
  • 1948 Première représentation du Cercle de craie caucasien, pièce de B. Brecht, un des modèles du « théâtre épique ».
  • 1948 Première représentation de Maître Puntila et son valet Matti, pièce de B. Brecht.