René Char, lecture de l'Inoffensif

René Char, lecture de l'Inoffensif

« Le soleil en disparaissant avait coupé ton visage »

« Je pleure quand le soleil se couche parce qu'il se dérobe à ma vue et parce que je ne sais m'accorder avec ses rivaux nocturnes. Bien qu'il soit au bas et maintenant sans fièvre, impossible d'aller contre son déclin, de suspendre son effeuillaison, d'arracher quelque envie encore à sa lueur moribonde. Son départ se fond dans son obscurité comme le limon du lit se délaye dans l'eau du torrent par-delà l'éboulis des berges détruites. Dureté et mollesse au ressort ont alors des effets semblables. Je cesse de recevoir l'hymne de ta parole. Soudain tu n'apparais plus entière à mon côté ; ce n'est pas le fuseau nerveux de ton poignet que tient ma main, mais la branche creuse d'un quelconque arbre mort et déjà débité. On ne met plus un nom à rien, qu'au frisson. Il fait nuit. Les artifices qui s'allument me trouvent aveugle.
Je n'ai pleuré en vérité qu'une seule fois. Le soleil en disparaissant avait coupé ton visage. Ta tête avait roulé dans le fossé du ciel et je ne croyais plus au lendemain.
Lequel est l'homme du matin et lequel celui des ténèbres ? »

Institut National de l'Audiovisuel