la Maman et la Putain

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».

Drame de Jean Eustache, avec Bernadette Lafont (Marie), Jean-Pierre Léaud (Alexandre), Françoise Lebrun (Véronika), Isabelle Weingarten (Gilberte), Jean Douchet (le dragueur), Noël Simsolo (l'intellectuel), Jean Eustache (le mari de Gilberte).

  • Scénario : Jean Eustache
  • Photographie : Pierre Lhomme
  • Musique : Offenbach, Mozart, Deep Purple
  • Montage : J. Eustache, Denise de Casabianca
  • Production : Pierre Cottrell
  • Pays : France
  • Date de sortie : 1973
  • Son : noir et blanc
  • Durée : 3 h 40

Résumé

Alexandre aime Marie, mais comme tout, alentour, paraît changer, il décide lui aussi de changer et s'amourache de Véronika.

Commentaire

Solitude et pauvreté

Ce film miroir, et reflet, Eustache l'aura contrôlé de bout en bout. Il l'aura écrit, et, pour être sûr que ce qu'il avait imaginé serait entendu, il aura assuré l'enregistrement du son. Et après y avoir figuré, afin de marquer sa dette à Renoir, le patron, il l'aura, pour finir, monté.

De la Maman et la Putain, Eustache est donc l'auteur complet puisqu'il en aura, averti qu'il est par ses précédentes expériences, supervisé la production : à peine 700 000 F (ce qui met, entre parenthèses, la minute à un peu plus de 3 000 F). Bref, en assurant quasiment tous les rôles, et en se pliant à la contrainte du strict minimum, il aura, tel Rossellini autrefois, renoué avec la seule morale créatrice acceptable : la solitude et la pauvreté. Mais les artisans sont rares, car dans artisan, il y a artiste, et qui se soucie des artistes ?

Et pourtant la modernité, tarte à la crème de tous les apostats, ne se courtise qu'à de pareilles conditions. Elle se refuse toujours à la foule, et à l'opulence.

Et la modernité, autrement dit le retour de l'éternité habillée de neuf, court tout au long de la Maman et la Putain. Lorsqu'on voudra, plus tard, connaître ce qui se jouait dans les années d'après la mutation, que croyez-vous que l'on consultera ? Très peu de choses, sûrement pas la presse, ni les ouvrages dits de sciences humaines, un ou deux romans peut-être, pas de peinture, un soupçon de musique, et Eustache qui jamais n'abdiqua. Et qui persista dans ses convictions.

Lesquelles tiennent sur les doigts d'une seule main. Primo, foutre sa peau sur la table. Secundo, bourrer la pellicule de l'air du temps, de ce qui domine, et de ce qui est refoulé. Tertio, ne choisir pour interprètes que ceux qui participent de votre univers. Et quarto (il n'y a pas de quinto), refuser le double jeu. On vous serine que 220 minutes de 16 mm, c'est beaucoup trop pour la moyenne des spectateurs. Ce n'est pas faux, mais choisissez de vous tromper. Seule l'erreur, en art, trouve sa récompense.

De même que Rimbaud ne fut pas le poète de la génération de la Commune (la belle blague !), Eustache ne fut pas davantage le cinéaste soixante-huitard que le tout-Paris cherchait. Il fut simplement contre, résolument contre. Contre les compromis, et les accommodements. À preuve, la Maman et la Putain qui porte en soi la certitude que la fête est déjà finie, et qu'aux prétendus libertins vont succéder les liberticides.

Film granitique, mais d'un granit fissuré, film dur, compact, film gaiement désespéré, l'avenir lui appartient, comme il appartint à la Règle du jeu, au soir de son échec public.

  • 1973 La Maman et la Putain, film de J. Eustache.