États-Unis : littérature américaine

Benjamin Franklin
Benjamin Franklin

Terre d'exil et d'avenir, continent plein de promesses, l'Amérique du « Nouveau Monde » et de la « Frontière » a donné naissance à une littérature de la fuite en avant et du devenir perpétuel, faite de contrastes et d'oppositions.
Paradoxe, les immigrés de toutes origines y cherchent les racines qu'ils ont quittées, et l'homogénéité de l'ensemble masque les disparités les plus flagrantes.
Issu des périodes coloniale et révolutionnaire, l'imaginaire américain puise avant tout à la source du voyage, image d'un renouveau et d'un recommencement à l'infini dont l'Amérique du rêve est le centre et qui fausse la perception de l'« autre », quand elle ne l'exclut pas.

Des colons à la révolution

Les premières ébauches de littérature nationale n'apparaissent qu'après la rupture brutale du cordon ombilical avec l'Angleterre, et il faut attendre les années 1820 et les romans de Fenimore Cooper pour qu'émergent des thèmes véritablement américains. Cependant, dans leur diversité, biographies, traités, sermons et récits de voyage de la période coloniale énoncent déjà les causes de la rupture et informent l'imaginaire naissant. Les premiers colons se divisent en effet en deux groupes distincts. Alors que John Smith et Nathaniel Ward se considèrent toujours comme anglais et vantent à leurs compatriotes les avantages économiques du Nouveau Monde, d'autres mettent l'accent sur les raisons qui les ont poussés à quitter la mère patrie, et discutent des relations entre l'Église et l'État. Dans son Journal (1630-1649), John Winthrop défend l'idéal théocratique, que reprendront Increase, puis Cotton Mather (Magnalia Christi Americana, 1702) ; William Bradford raconte la rupture des Pères fondateurs avec l'anglicanisme (History of the Plymouth Planation, 1646), et, dans une série de pamphlets, Roger Williams prône la séparation de l'Église et de l'État, la démocratie et l'cuménisme. Libéralismes religieux, économique et politique vont de pair : il ne suffisait pas de fuir l'Europe, encore fallait-il bâtir un monde nouveau.

Influences européennes

L'apparition des premières œuvres de fiction coïncide précisément avec le déclin croissant du calvinisme, selon lequel l'homme, né mauvais, doit se racheter par la foi et la vertu. Mais, alors qu'on donne la première pièce de théâtre professionnelle, le Contraste (1787), comédie de Royall Tyler où le personnage du « Yankee » fait son apparition, les premiers romans américains suivent des genres et perpétuent des styles européens : le Pouvoir des affinités (1789), de William Hill Brown, fait écho au sentimentalisme de Samuel Richardson, alors que Chevalerie moderne de H. H. Breckenridge (1792-1815) s'inspire de Cervantès et de Fielding. Le Wieland (1798) de Charles Brockden Brown poursuit la tradition du roman gothique.

Les « pères de la révolution »

Ainsi, la nouvelle République reproduit à sa façon le puritanisme de ses pionniers, et l'hypocrisie n'est pas absente de cet assouplissement religieux d'ordre essentiellement pragmatique ; le développement du commerce et l'entraide nécessaire dans un milieu naturel hostile impliquent une certaine tolérance, du moins en surface, comme en témoignent les écrits des « pères de la révolution » : Benjamin Franklin, dans l'Almanach du Bonhomme Richard (1732-1757), comme dans son Autobiographie (1788), plaide pour le bon sens et la perfectibilité humaine ; dans une série d'articles intitulée The American Crisis (1776-1783), Thomas Paine, journaliste et pamphlétaire, compare l'Angleterre aux forces du Mal ; enfin, Thomas Jefferson, coauteur de la Déclaration d'indépendance et de 85 essais qui jettent les bases théoriques de la république américaine (le Fédéraliste, 1787-1788), considère que, si les hommes sont égaux, il existe une « aristocratie naturelle de vertus et de talents » à laquelle il revient de diriger la nation. Chant à la gloire de l'Amérique du bon droit et de la liberté individuelle, la révolution de 1776 accouche d'un imaginaire replié sur lui-même. Le second conflit avec la couronne britannique (1812) confirmera cet enfermement, et la conquête de la Frontière, formidable découverte d'un espace quasi illimité, renforcera ce sentiment d'autosuffisance : les États-Unis n'ont besoin de personne, leur peuple fait leur richesse, et leur diversité leur capacité de renouvellement.

La Frontière

Les bases du rêve sont posées ; le poème épique de Joel Barlow qui dessine l'avenir des États-Unis, la Colombiade (1807), et l'arrivée au pouvoir d'Andrew Jackson lancent l'Amérique à « la recherche du bonheur ». Ainsi, de Fenimore Cooper à Jack Kerouac et Jim Morrison en passant par Melville, Whitman et la « génération perdue » (Hemingway, Fitzgerald), l'Américain voyage, toujours vers l'Ouest. La fin du xixe s. coïncidera avec celle de l'avancée territoriale. La clôture de la Frontière (1890) fixe les limites de l'espace physique américain, et double l'enfermement de l'esprit fondateur. Dès lors, qu'il dénonce le rêve ou qu'il participe à sa poursuite, l'écrivain retombe immanquablement sur les images que le rêve a exclues. Ses origines le hantent et c'est à reculons qu'il avance dans une Histoire qui « pour nous ne commence pas par la découverte, mais par le meurtre et l'esclavage » (William Carlos Williams). De toute part surgissent des images qui viennent lui rappeler les « erreurs » commises en chemin et qui vont dessiner la figure de l'« autre », l'homme de couleur (rouge, noir), le Sud (terre du passé, des origines, des traditions), la femme, le pauvre, le fou.

Naissance d'une littérature

La vague nationaliste qui suit la guerre de l'Indépendance et plus encore celle de 1812 entraîne, par son optimisme, l'émergence progressive d'une littérature authentiquement américaine, par les thèmes, les sujets ou les styles. S'il convient de mentionner Washington Irving (Histoire de New York, 1809 ; Livre d'esquisses, contes publiés en feuilleton à partir de 1819) et le poète William Cullen Bryant (Thanatopsis, 1817), qui traduisent encore l'influence britannique, deux écrivains se distinguent par leurs qualités d'innovation : E. A. Poe et J. F. Cooper.

Edgar Allan Poe

Edgar Allan Poe, le grand critique littéraire à l'écart du courant nationaliste, bouleverse les règles du roman noir par sa logique et sa précision, et hausse le récit d'horreur au niveau de l'art (la Chute de la Maison Usher, 1840) : il sera en un sens le père du genre « policier » (Double assassinat dans la rue Morgue, 1841), mais ses récits, essais et poèmes (Aventures d'Arthur Gordon Pym, le Corbeau) traduits par Baudelaire seront longtemps plus estimés en France qu'aux États-Unis.

Autour de James Fenimore Cooper

Au contraire, James Fenimore Cooper, surnommé « le Walter Scott américain », connaîtra la gloire grâce à son incarnation de l'individualisme et de l'esprit de la Frontière, Natty Bumppo, héros des cinq romans réunis sous le titre de Bas-de-Cuir (1841). Son exemple sera suivi, à l'est, par les poètes « du coin du feu », Longfellow, Holmes et Lowell, aristocrates de Nouvelle-Angleterre, qui célèbrent l'histoire de l'Amérique et chantent ses paysages ; à l'ouest, par tout un groupe d'écrivains peu connus en Europe (Davy Crockett, Johnson, J. Hooper, Joseph G. Baldwin) qui centrent leur tableau vivant et humoristique de la Frontière sur l'« homme du commun » cher au président Andrew Jackson.

Le transcendantalisme

La renaissance américaine, qui débute dans les années 1830-1840 avec le transcendantalisme, naît de cette redéfinition des rapports entre l'homme et la nature. Mystique et panthéiste, se définissant à nouveau par contraste avec l'Europe, le transcendantalisme procède dans ses grandes lignes du platonisme. Ralph Waldo Emerson lance le mouvement avec son essai Nature en 1836 : les hommes communient dans l'oversoul (l'âme universelle, ou surâme), dont la nature est l'incarnation. Chaque âme représente une part de l'oversoul, et l'individu accède à la transcendance grâce à la connaissance de soi et à la foi en la nature. Bronson Alcott, George Ripley, Oreste Brownson, Jones Very, William Ellery Channing et Margaret Fuller joignent leurs voix à celle d'Emerson dans la revue The Dial (1840-1844). Le poète Henry David Thoreau applique les idées d'Emerson et s'isole dans une cabane, puis relate son expérience dans Walden ou la Vie dans les bois (1854). Mais à côté de sa dimension métaphysique, le transcendantalisme est également porteur d'une volonté de changement qui s'exprime, en Europe, à travers les révolutions de 1848 et qui devait mener, aux États-Unis, à la guerre de Sécession, témoin de la première faille dans la bonne conscience de l'Amérique. Les œuvres de trois grands auteurs de cette période traduisent ce double aspect.

Walt Whitman

Walt Whitman dédie à Emerson son autobiographie en vers libres (Feuilles d'herbe, 1855), hymne à la vie d'un enthousiasme juvénile. Ardent partisan d'Andrew Jackson et chantre de l'individualisme, il prédit, dans Perspectives démocratiques (1871), la grandeur de l'Amérique et de sa littérature.

Nathaniel Hawthorne

À l'opposé du spectre se situe Nathaniel Hawthorne, qui, à la communion avec la nature, oppose la malédiction originelle de l'Amérique (la Maison aux sept pignons, 1851), celle d'un pays fondé sur le crime et l'hypocrisie. Ses romans historiques où se mêlent symbolisme et allégorie dénoncent le manichéisme des fondateurs de la nation : les notions rigides de Bien et de Mal vont à l'encontre d'un développement harmonieux de la nature humaine, incarnation, à l'échelle individuelle, de la surâme ; plutôt que la femme adultère et son amant, la Lettre écarlate (1850) fustige le mari et les juges. Si Hawthorne prolonge ainsi Thoreau, avocat de la Désobéissance civile (1849), il se démarque du concept transcendantaliste qui veut que toute misère trouve mystérieusement sa compensation : les amants ne reçoivent rien en échange de l'injustice dont ils sont les victimes ; seul l'enfant de la passion pourra prétendre au bonheur.

Herman Melville

Enfin, Herman Melville, qui cultive son art à travers des romans inspirés de sa propre expérience de la mer, offre une vision du monde encore plus pessimiste dans Moby Dick (1851) : la lutte à mort entre l'homme (Achab) et la nature (Moby Dick) aboutit à la destruction de l'un comme de l'autre. Dernière image symbolique de ce roman allégorique, le narrateur (Ishmael), seul rescapé de cette chasse à la baleine, qui aux yeux d'Achab représente les forces du Mal, échappe à la mort en s'agrippant au cercueil de son ami, le bon sauvage.

Le tournant du siècle et la montée du réalisme

La guerre de Sécession a moins d'effet sur la littérature que la disparition de la Frontière et la formidable expansion industrielle qui la suit. Cette fin de siècle marque l'avènement des littératures régionales et minoritaires, et l'essor du réalisme.

Les « régionalistes »

L'utilisation des dialectes et des décors régionaux, naguère réservée aux humoristes, passe, dans l'immédiat après-guerre, aux mains des « régionalistes », tenants d'un réalisme local, et qui souvent appartiennent à des minorités : les femmes (Willa Cather, Kate Chopin, Edith Wharton) ou les Noirs (Charles Chestnutt, William Wells Brown). Alors que la Case de l'oncle Tom (1852) de l'antiesclavagiste Harriet Beecher-Stowe avait provoqué le scandale, ces écrivains, parmi lesquels figurent également Ambrose Bierce et Bret Harte, s'attachent surtout à dépeindre l'Amérique du passé dans sa diversité. Mais le plus grand nom de ce courant est sans conteste Mark Twain, en qui Hemingway verra le véritable père de la littérature américaine. Né sur la Frontière, formé à l'école du journalisme et du voyage, Mark Twain révolutionne les lettres, écrit l'américain comme on le parle et développe un style précis et direct. Incarnation de l'Amérique, il s'inspire de ses errances (le Voyage des innocents, 1869 ; Mes folles années, 1872) et se penche sur sa jeunesse (Tom Sawyer, 1876 ; Huckleberry Finn, 1884), dans des œuvres où la nostalgie n'exclut pas la dénonciation (Huck part avec Jim, l'esclave noir en fuite).

Le réalisme

L'essor du réalisme au tournant du siècle tient à divers facteurs historiques : l'expansion urbaine et industrielle, l'apparition d'une classe ouvrière et de nouvelles vagues d'immigrants, le développement de la presse et des techniques d'information. Les noms de Henry James et de William Dean Howells y sont étroitement associés, mais, alors que Howells s'attache à décrire les détails de la vie quotidienne (l'Ascension de Silas Lapham, 1885), Henry James deviendra l'un des maîtres du réalisme psychologique (Un portrait de femme, 1881) ; la complexité symbolique de ses derniers romans annonce un modernisme esthétisant de plus en plus éloigné du naturalisme et de la contestation sociale.

Tandis que Henry Adams (Démocratie, 1880), Edward Bellamy (Cent Ans après, 1888) et Upton Sinclair (la Jungle, 1906) s'en prennent au capitalisme et à la corruption du monde politique, Stephen Crane (la Conquête du courage, 1895), Frank Norris (la Pieuvre, 1901), Jack London (Croc-Blanc, 1905 ; Martin Eden, 1909) et Theodore Dreiser (Une tragédie américaine, 1925) perpétuent le naturalisme français dont ils accentuent dans une certaine mesure le tragique darwinien.

Du modernisme à la Seconde Guerre mondiale

À la contestation sociale naissante les années 1920 ajoutent le modernisme, modification radicale de l'écriture qui touche aussi bien le théâtre que la poésie ou le roman.

Le théâtre

Innovant dans la forme et dans les méthodes de production, le théâtre s'épanouit enfin, avec Thornton Wilder, Elmer Rice, Maxwell Anderson et surtout Eugene O'Neill, qui franchira sur les thèmes du rêve et de l'autodestruction (par l'alcool notamment) les barrières de l'expressionnisme : de l'Empereur Jones (1920) à Le deuil sied à Électre (1931), en passant par Anna Christie (1921), il place les théories modernes de l'inconscient et les techniques du courant de conscience au service de la résurrection de la tragédie grecque.

La poésie

Elle connaît également un développement sans précédent. Outre ceux qui perpétuent une versification libre inspirée de Whitman, comme Vachel Lindsay et Carl Sandburg, et d'autres qui gagnent les faveurs de la critique et du public en utilisant des formes traditionnelles, comme Edwin Arlington Robinson et Robert Frost, on remarque surtout deux poètes expatriés à Londres, T. S. Eliot et Ezra Pound. Critique littéraire influent, Eliot évoque dans la Terre Gaste (1922) la stérilité spirituelle de l'ère industrielle. Père de l'imagisme et mentor d'un groupe de jeunes poètes dont Wallace Stevens et William Carlos Williams, Ezra Pound soulève la controverse avec ses Cantos, publiés entre 1919 et 1972, recueil en plusieurs langues sur le thème de la descente aux enfers où il décrit, à travers l'effritement de la langue, l'usure généralisée des êtres et des choses et la disparition d'un monde.

Le roman et la nouvelle

Critique sociale et dénonciation du rêve s'expriment aussi dans le roman et la nouvelle avec l'apparition d'une nouvelle génération d'écrivains et l'émergence de littératures minoritaires. Sherwood Anderson (Winesburg-en-Ohio, 1919) et Sinclair Lewis (Grand'Rue, 1920) dénoncent l'Amérique provinciale et ses hypocrisies, William Faulkner (Monnaie de singe, 1926), John Dos Passos (Trois Soldats, 1921) et Ernest Hemingway (Le soleil se lève aussi, 1926) disent leur désillusion face à la Première Guerre mondiale.

La « génération perdue »

Plusieurs de ces écrivains (la Lost Generation, « génération perdue ») se regroupent à Paris, fuyant le vide culturel de l'Amérique triomphante et prospère (Francis Scott Fitzgerald, Ernest Hemingway, Djuna Barnes). Fitzgerald peint avec un lyrisme minutieux la dérive de personnages riches et oisifs : prisonniers du rêve américain (Gatsby le magnifique, 1925), ou désenchantés (Tendre est la nuit, 1934), leur quête ne les mènera qu'à la mort ou à la folie. Hemingway, sous l'influence de Gertrude Stein, développe un style où « l'action explique la psychologie » : issu de l'école de la presse, il bannit le commentaire et colle aux faits ; ses héros, en lutte pour un idéal, témoignent de l'absurdité d'un combat dont ils sortent détruits, mais pas vaincus (En avoir ou pas, 1937 ; Pour qui sonne le glas, 1940 ; le Vieil Homme et la Mer, 1952). Son style, qui se prête merveilleusement à l'adaptation cinématographique et, dans une large mesure, sa « philosophie » influenceront les créateurs du roman policier hard-boiled (dur-à-cuire) : Dashiell Hammett (le Faucon maltais, 1939), Raymond Chandler (le Grand Sommeil, 1939 ; la Dame du lac, 1943), James McCain (Le facteur sonne toujours deux fois, 1934).

Des « peintres de la société »

William Faulkner, premier romancier du Sud, part, à travers les douze romans qu'il consacre à une ville imaginaire du Mississippi, à la recherche de l'identité culturelle de l'Amérique, et retombe sur l'image du Noir (Lumière d'août, 1932), même si après l'avilissement surgit le signe de la rédemption (Requiem pour une nonne, 1951).

John Dos Passos dresse de la Grande Dépression de 1929 un tableau d'autant plus hallucinant qu'il y reprend les techniques du montage cinématographique (U.S.A., 1930-1936), tandis que James T. Farrell évoque la crise du point de vue de la minorité irlandaise (Studs Lonigan, 1935) et Henry Roth de celui des immigrants juifs (l'Or de la Terre Promise, 1934). Langston Hughes (Not Without Laughter, 1930) et Richard Wright (les Enfants de l'oncle Tom, 1938) marquent les débuts de la littérature et des mouvements politiques noirs. En marge, Nathanael West s'oriente vers la violence et l'absurde (l'Incendie de Los Angeles, 1939), tandis que Henry Miller, exilé en France, célèbre la joie de vivre dans son œuvre autobiographique (Tropique du Cancer, 1939).

Guerres et après-guerres

La Seconde Guerre mondiale, puis celles de Corée et du Viêt-nam inspirent de nombreux romanciers. Norman Mailer (les Nus et les Morts, 1948), Irvin Shaw (le Bal des maudits, 1948) et Robert Stone (Dog Soldiers, 1974) opteront pour le réalisme, tandis que James Jones (Tant qu'il y aura des hommes, 1951 ; Mourir ou crever, 1962) s'inscrit dans la veine naturaliste et que Joseph Heller choisit l'humour noir (l'Attrape-nigaud, 1961), tout comme Kurt Wonnegut Jr (Abbatoir 5, 1969).

Du journalisme au roman

L'humour est également une des caractéristiques du « style New Yorker », ton littéraire imposé par le caustique et satirique hebdomadaire fondé en 1925 par Harold Ross. Ce style est illustré, notamment, par James Thurber, qui écrit et illustre des articles humoristiques pour la revue jusqu'à la fin des années 1950, John Updike, Philip Roth et J. D. Salinger. Un autre collaborateur du New Yorker, Truman Capote, après une œuvre tout d'abord marquée par l'esthétisme, crée le roman-vérité avec De sang froid (1966), récit quasi journalistique d'un meurtre. Tom Wolfe, journaliste au New York Herald Tribune et à Harper's Magazine, porte-drapeau du « nouveau journalisme », relève les contradictions du monde contemporain à travers des reportages-fictions (The Kandy-Kolored Tangerine-Flake Streamline-Baby, 1965) et des récits pleins d'ironie (le Bûcher des vanités, 1987).

La science-fiction

La littérature américaine dans son ensemble tend désormais vers l'humour, l'absurde, le récit allégorique et la fantasy. Ainsi se développe le vaste domaine de la science-fiction – de Ray Bradbury (Fahrenheit 451, 1953) à Arthur C. Clarke (2001 : l'Odyssée de l'espace, 1968) – dans lequel on remarquera surtout Philip José Farmer, qui confronte religion et tolérance à travers la sexualité (les Amants étrangers, 1952) et l'immortalité (le Monde du fleuve, 1965-1981), et Philip K. Dick, dont le thème privilégié est le statut d'une réalité remise en doute par la « confusion » généralisée (le Temps désarticulé, 1959 ; Robot Blues, 1968).

La « métafiction »

L'autre versant de ce développement se consacre à l'introspection. Vladimir Nabokov, d'origine russe, et l'Argentin Jorge Luis Borges exerceront une influence prépondérante sur la naissance de cette « métafiction ». Nabokov, naturalisé américain en 1945, produit une œuvre sophistiquée où se côtoient innovations linguistiques et formelles (Lolita, 1955 ; Feu pâle, 1962). John Barth imite et parodie tout à la fois les formes conventionnelles (l'Opéra flottant, 1956 ; l'Enfant-Bouc, 1966), tout comme Donald Barthelme (Blanche-Neige, 1967 ; le Père mort, 1975). L'œuvre de William Gass présente une problématique de l'écriture sur fond de vie quotidienne du Middle West (In the Heart of the Heart of the Country, 1968).

Mais cette remise en question du sujet et de l'objet de l'écriture possède à l'évidence des implications politiques, sociales et culturelles. L'œuvre de Thomas Pynchon, de V (1963) à The Crying of Lot 49 (1966), repose sur une théorie de l'entropie qui aboutit à la dénonciation du vide, de la désintégration de l'énergie physique, morale et spirituelle de l'Amérique. Le thème de la reconstruction, qui passe par la quête des origines et la refonte d'éléments culturels émiettés, informe la littérature américaine de cette seconde moitié de siècle.

Le théâtre et la poésie

Dans le domaine du théâtre, Arthur Miller redéfinit la tragédie américaine du rêve sur le thème de la culpabilité originelle (Mort d'un commis voyageur, 1949), et Tennessee Williams sur celui de la castration et de la hantise de l'échec (la Chatte sur un toit brûlant, 1955). Edward Albee, dont l'œuvre s'apparente au théâtre de l'absurde, dénonce l'artifice des conventions qui masquent l'hypocrisie, la violence et la haine (le Rêve américain, 1961; Qui a peur de Virginia Woolf ?, 1962). Chez les poètes, Charles Olson et Robert Creeley s'associent à la « Black Mountain School », inspirée par William Carlos Williams, disciple d'Ezra Pound. Sylvia Plath (Ariel, 1965) et Robert Lowell (Pour les morts de l'Union, 1964) choisissent la voie, tragique pour l'une, sombre pour l'autre, de l'introspection.

Les écrivains du Sud

Ils cherchent le salut d'une terre maudite : Carson McCullers dépeint la solitude des innocents, seuls capables de lucidité (la Ballade du café triste, 1951). Flannery O'Connor adopte une perspective rédemptrice et dénonce la tiédeur et l'aveuglement des bien-pensants face à la misère du monde (Et ce sont les violents qui l'emportent, 1960). Eudora Welty se passionne pour le rôle de la mémoire (The Optimist's Daughter, 1972).

Les voix de la négritude

Elles mêlent réalisme, histoire, folklore et mythes. Ralph Ellison conjugue le thème dostoïevskien du souterrain (Homme invisible, pour qui chantes-tu ?, 1952) : le Noir ne se distingue pas par la couleur de sa peau mais par le fait que les Blancs ne le voient pas. Véritable portrait de la communauté noire américaine dans sa diversité, l'œuvre de James Baldwin en définit l'identité créatrice (Notes of a native Son, 1955 ; Just above my Head, 1979). Plus récemment, deux voix de femmes se sont fait entendre dans la littérature noire : Toni Morrison (Tar Baby, 1981 ; Beloved, 1987) et Alice Walker (la Couleur pourpre, 1983 ; The Temple of my Familiar, 1990).

L'école juive américaine

Entre les désillusions du lendemain de la Seconde Guerre mondiale et le choc de la guerre du Viêt-nam, alors que se fissurent l'image du rêve américain et le mythe de l'unité de la nation, un certain nombre d'écrivains d'origine juive découvrent que leur peuple est l'objet d'une nouvelle élection, qu'ils n'osent qualifier de divine : le Juif, minoritaire dans la société américaine, est l'emblème même de cette société éclatée, formée d'un conglomérat de ghettos. Décrire la quête d'identité d'une minorité revient ainsi à définir le cheminement de la majorité des constituants de la communauté américaine. Si Bellow inaugure ce constat avec son deuxième roman, la Victime, il est suivi par tout un courant, aux États-Unis et au Canada, d'où se détachent deux figures majeures, celle de Philip Roth (Goodbye Colombus, 1959 ; Portnoy et son complexe, 1969 ; Professeur de désir, 1977 ; la Leçon d'anatomie, 1983) et celle de Bernard Malamud (le Commis, 1957 ; le Tonneau magique, 1958 ; l'Homme de Kiev, 1966 ; la Vie multiple de William D., 1979) : tous deux campent des antihéros, humiliés et offensés, persécutés par des bourreaux, eux-mêmes peu convaincus de la consistance de leur être. Dans l'affrontement atroce et dérisoire qui les oppose à chaque moment de l'existence quotidienne finit par se faire jour une forme de sympathie, de solidarité : la cruauté a besoin de la souffrance ; la souffrance est l'humus de l'espoir. Être Juif, c'est offrir un concentré de la conscience américaine. Être Juif, c'est tout simplement être un homme.

Ainsi les écrivains de la Diaspora donnent-ils une nouvelle interprétation du jeu de la singularité et de la totalité sur lequel repose l'imaginaire américain.

La « Beat Generation »

L'intégration passe par l'affirmation de l'identité dans l'histoire tout autant que par la dénonciation idéologique. Les mouvements « jeunes » l'ont dit : la Beat Generation partit Sur la route (Jack Kerouac, 1957), entraînée par Allen Ginsberg (Howl, 1956) et les poètes de la San Francisco Renaissance (Lawrence Ferlinghetti, Gregory Corso) ; elle fut suivie de près par la génération Woodstock (Bob Dylan, Jim Morrison, Gary Snyder). Multimédiatiques, elles dénonçaient la rigidité molle de la société de consommation en effectuant un retour aux sources où se conjuguent expériences hallucinatoires, mysticisme et tradition du « voyage ».

Une littérature en question

Mais les années 1980 ont vu un retour progressif du conservatisme : reste aujourd'hui, à l'opposé des démonstrations de force de la majorité morale, une confusion des valeurs dont témoignent aussi depuis l'immédiat après-guerre les tenants du roman traditionnel, de J. D. Salinger (l'Attrape-Cœur, 1951), qui s'est retiré du monde, à John Updike, qui en conclut la chronique avec le dernier volume de sa tétralogie (Rabbit, 1960-1990). La littérature américaine se cherche elle aussi, et si quelques auteurs proposent de nouvelles formes à travers les genres et les styles (Joyce Carol Oates, Norman Mailer, Gore Vidal), les œuvres les plus dignes d'intérêt s'attachent à la remise en question du jeu de l'écriture lancée dans les années 1950 : John Barth (Sabbatial, a Romance, 1982), Thomas Pynchon (Slow Learner, 1984 ; Vineland, 1990), Guy Davenport (la Bicyclette de Léonard, 1990). Plus que jamais, le voyage est d'actualité.

Benjamin Franklin
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Déclaration d'indépendance américaine
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Edgar Allan Poe
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Ernest Hemingway
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Eugene O'Neill
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Henry David Thoreau
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Herman Melville
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John Dos Passos
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Mark Twain
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Philip Roth
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Thomas Stearns Eliot
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Truman Capote
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Walt Whitman
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William Faulkner
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