préraphaélite

John Everett Millais, Ophélie
John Everett Millais, Ophélie

Appellation commune aux peintres qui, en Grande-Bretagne et dans la seconde moitié du xixe s., ont participé au mouvement dit du « préraphaélisme ».

La Pre-raphaelite Brotherhood (confraternité préraphaélite), ou P. R. B., était fondée à Londres, en 1848, par sept jeunes gens au nombre desquels figuraient les peintres Rossetti, Hunt et Millais, les quatre autres associés ne comptant guère ou pas du tout dans l’histoire de la peinture. Comme le gothique perpendiculaire, le palladianisme du xviiie s. ou le « Gothic Revival », l’expérience préraphaélite est l’un des épisodes typiquement nationaux qui ont fait la singularité de l’art anglais. Les fondateurs de la P. R. B. s’insurgeaient contre les conventions de la peinture victorienne, son défaut d’idéal, son prosaïsme anecdotique ; sans doute aussi contre la laideur apportée par la révolution industrielle. Dans ce combat, ils trouvèrent un défenseur en la personne de John Ruskin, leur maître à penser.

Le sigle choisi par ces peintres signifie que, par-delà Raphaël — pour eux symbole d’artifice et de dégénérescence —, ils entendaient se rattacher spirituellement aux maîtres italiens du quattrocento, jugés plus sincères. Sur ce chemin, certes, ils avaient été précédés par les nazaréens d’Allemagne : Johann Friedrich Overbeck, Peter Cornelius. Mais ceux-ci pratiquaient un style tenant du pastiche. Ce que les préraphaélites anglais ont appris ou cru apprendre des peintres italiens de la première Renaissance, ce n’est pas tant un répertoire de formes qu’une vision ingénue du monde, une pureté servie par la probité du métier. Épris d’idéal, ils ont voulu rendre à la peinture un contenu, le plus souvent moral ou religieux, en l’exprimant par un langage symbolique. Fuyant l’anecdote et le quotidien, leurs sujets sont littéraires, philosophiques, historiques, légendaires, surtout bibliques ou évangéliques, mais interprétés dans un esprit neuf. Leur monde imaginaire emprunte en effet ses éléments au monde réel, transcrit avec une exactitude scrupuleuse. Souvent, le rêve prend le visage de la nature ; le paysage est composé par l’artiste à partir de paysages vrais, d’Angleterre ou d’ailleurs, observés dans leurs moindres détails. Ainsi peut-on dire que la doctrine préraphaélite est née de la rencontre entre l’idéalisme et le naturalisme. Non moins original est le métier, caractérisé par un dessin minutieux, une palette vive et ennemie du « fondu » traditionnel, une matière précieuse et brillante.

Tels sont du moins les traits communs aux préraphaélites. On voit en fait leurs tempéraments se distinguer les uns les autres dès la fondation de la P. R. B., pour suivre plus tard des voies divergentes. Fils d’un réfugié napolitain, Dante Gabriel Rossetti (1828-1882), qui fut aussi poète, peut être considéré comme le fondateur spirituel du groupe. Un symbolisme lyrique inspire ses compositions : l’Éducation de la Vierge (Tate Gallery, Londres, 1849), Ecce ancilla Domini (ou l’Annonciation) [ibid., 1850], le Songe de Dante (coll. priv.), The Bower Meadow, hommage éthéré à l’éternel féminin (City Art Gallery, Manchester, 1872). Ses figures gardent le souvenir du quattrocento, et notamment de Botticelli, mais leur mélancolie rêveuse est imprégnée de romantisme.

À la sentimentalité de Rossetti s’opposent l’intransigeance et la dureté de William Holman Hunt (1827-1910), qui jusqu’au bout resta fidèle à l’idéal de la P. R. B. Son art ne laisse rien au hasard. Plus que les Italiens, il rappelle Dürer. Le symbole y joue en effet un rôle capital, traduit d’une manière incisive par un naturalisme exigeant et minutieux. Hunt eut le goût de la documentation historique et géographique, de la couleur locale. Il voyagea en Terre sainte pour donner l’exactitude à ses tableaux inspirés de l’Écriture : le Bouc émissaire (Lady Lever Art Gallery, Port Sunlight), où tous les détails prennent une précision obsédante sous la lumière crue d’un paysage de la mer Morte (1855) ; la Lumière du monde (Keble College, Oxford) figure de Christ portant une lanterne (1854) ; l’Ombre de la Mort (City Art Gallery, Manchester), où l’on voit le Christ charpentier étendre les bras et projeter ainsi symboliquement l’ombre de la Croix (1870) ; le Triomphe des saints Innocents (Walker Art Gallery, Liverpool, 1885). La Parabole du mauvais berger (City Art Gallery, Manchester, 1851) emprunte cependant son paysage à l’Angleterre.

Dans sa période authentique préraphaélite, John Everett Millais (1829-1896) a aussi concilié symbolisme et naturalisme ; mais sa manière est moins dure, moins fouillée, son inspiration plus sentimentale. Il a abordé les thèmes littéraires avec Lorenzo et Isabelle (Walker Art Gallery, Liverpool, 1849), la Mort d’Ophélie (Tate Gallery), son tableau le plus célèbre (1851) ; religieux, avec Jésus dans la maison de ses parents (Tate Gallery) ; moraux et allégoriques, avec la Jeune Aveugle (City Museum and Art Gallery, Birmingham 1856), les Feuilles d’automne (City Art Gallery, Manchester, 1856). Après 1865, Millais prend ses distances avec la doctrine préraphaélite. Un réalisme plus anecdotique marque ses compositions, mais il se consacrera surtout au portrait, faisant poser des célébrités.

Sans avoir officiellement adhéré à la P. R. B., Ford Madox Brown (1821-1893) en a fait sienne la doctrine. Son naturalisme scrupuleux ne craint pas l’accumulation des détails. De son goût pour l’histoire médiévale et britannique témoignent les fresques décorant l’hôtel de ville de Manchester, ou Chaucer à la cour d’Édouard III (Musée de Sydney). Shakespeare lui a inspiré l’Héritage de Cordelia (Tate Gallery). Datant de 1852, son ambitieuse allégorie du Travail (City Art Gallery, Manchester) est chargée d’intentions, comme le Dernier Regard sur l’Angleterre (City Museum and Art Gallery, Birmingham, 1852-1855).

Plus jeune, Edward Burne-Jones (1833-1898) est venu rejoindre le groupe en 1856. Il en a été l’artiste le plus cultivé et le plus ambitieux. Sa connaissance approfondie de la peinture italienne lui permettait de chercher ses sources d’inspiration dans Michel-Ange, le Corrège et les Vénitiens du xvie s. aussi bien que dans le quattrocento. Mais ses figures aux lignes sinueuses, reproduisant de préférence un type féminin très personnel, sont bien les filles d’une imagination anglo-saxonne. Plus dédaigneux de la réalité, le symbolisme de Burne-Jones s’exprime en rythmes décoratifs et se trouve à l’aise dans de grands formats. L’intérêt de ses tableaux, tels l’Enchantement de Merlin (Lady Lever Art Gallery, Port Sunlight, 1874-1877), l’Escalier d’or (coll. priv.) ou le Roi Cophétua et la jeune mendiante (Tate Gallery, 1884), n’est cependant pas inférieur à celui de ses aquarelles, de ses illustrations de Virgile et de Chaucer, ou des tapisseries, mosaïques et vitraux exécutés d’après ses cartons.

Inspirés par Ruskin, les préraphaélites ont d’ailleurs voulu, d’une manière générale, marquer de leur empreinte le décor de la vie, afin de le soustraire à l’industrialisation et au mauvais goût. Poète et peintre affilié à leur groupe, William Morris (1834-1896) doit l’essentiel de sa célébrité à des modèles de vitraux, broderies, tapis, papiers peints et surtout tissus ; la tradition médiévale de l’Angleterre y est interprétée avec autant de charme que d’originalité. L’expérience préraphaélite mérite le respect pour sa sincérité, son inspiration élevée. Que les moyens n’aient pas toujours été à la hauteur des intentions, cela ne fait guère de doute ; il reste que la P. R. B. a réveillé, rajeuni et même dominé pour un temps la vie artistique de l’Angleterre.

John Everett Millais, Ophélie
John Everett Millais, Ophélie