injure

(latin injuria, injustice)

Expression outrageante ou méprisante qui ne renferme l'imputation d'aucun fait précis. (L'injure est un délit si elle est publique, sinon c'est une contravention.)

L'injure n’est pas d’emblée insulte, mais d’abord injustice. « Faire injure aux mérites de quelqu’un », c’est à tort ne pas lui reconnaître une qualité. Avant d’être juron, elle est blessure, dommage infligé (« l’injure des ans »). Elle peut être rudimentaire (l’injure est ce qui reste quand on n’a plus aucune ressource pour argumenter), mais elle peut être également subtile en offensant l’honneur ou la mémoire. Violence symbolique, guerre des mots, bestiaire idéologique (« les chiens galeux du capitalisme »), elle soulève le problème de sa pénalisation. Jusqu’à quelles limites une société démocratique doit-elle sanctionner ou au contraire tolérer l’injure au nom de la liberté d’expression ou du respect des croyances ?

L’injure volontairement et ironiquement brandie, sous forme de slogan inversé, peut revêtir une signification militante (on songe à « ni putes ni soumises », par exemple). Inversement, elle peut transformer la langue en prêtant une signification péjorative à des termes pourtant neutres. La propagande nazie a forgé un lexique de la terreur en répétant des mots tels qu'« émigré » ou « séparatiste », chargés d’une forte connotation de trahison, et permettant d’accuser les personnes ainsi funestement estampillées. Ralph-Bernard Keysers, auteur de Cinq mots forts de la propagande nazie, décrit ce mécanisme. La propagande exerce sa mainmise sur le langage. L’injure, violence verbale, est non seulement le premier pas vers la violence physique, mais sa véritable orchestration, la polyphonie plaquant sur les cris des victimes le refrain des bourreaux. La répétition, en effet, est la marque essentielle de l’injure instrument de propagande : loin d’être une éructation isolée, elle est martelée jusqu’à l’intoxication. Elle dessine, en filigrane, une interprétation du monde dont il appartient à la dissidence de montrer l’inanité. La réponse à l’injure d'État est alors la littérature à la manière de Chalamov ou de Soljenitsyne.