démagogie

(grec dêmagôgia)

Attitude consistant à flatter les aspirations ou les préjugés du plus grand nombre pour obtenir ou conserver le pouvoir.

SOCIOLOGIE

Étymologiquement, le dêmagôgos est celui « qui conduit le peuple ». Ce mot est employé par l’orateur Lysias en bonne part au sujet de Périclès. En mauvaise part, il signifie « qui capte la faveur du peuple », et un autre orateur, Andocide, rapproche alors paroles de démagogue et actes de tyrannie. Un glissement de sens s’opère ainsi de « conduire le peuple avec justice » à « amener le peuple à soi, se concilier le peuple, se rendre populaire en flattant le peuple ». C’est dire que la démagogie n’est pas initialement, au sens propre, démagogue. La question sous-jacente est de savoir si l’on peut conduire le peuple sans le flatter. Existe-t-il une manière d’influencer l’opinion qui ne relève pas de la démagogie ? S’abstenir de tout procédé de ce type et promettre de la sueur, du sang et des larmes, comme Churchill au cours de la Seconde Guerre mondiale, ne revient-il pas à cultiver une éloquence paradoxale ? À moins que la condamnation de la démagogie ne soit, en réalité, une manière de flatterie redoublée, une tartufferie en somme, voire un acte de propagande ou d’intoxication.

Entre jeux de mots, se jouer des mots et se jouer de la démocratie, le brouillage conduit aux formules passablement creuses, telles que « politique politicienne » (s’oppose-t-elle à la « politique…politique » ?). La démagogie fait outrage à la démocratie en la pervertissant : la liberté de jugement cède devant l’illusion que c’est l’opinion publique elle-même qui pense ce qu’en réalité lui suggère le démagogue. La dynamique majoritaire est détournée unilatéralement. Dans la République, Platon décrit un engrenage menant à la tyrannie, sous les traits de ceux qui voient dans les personnes de leur entourage « des flatteurs prêts à les servir entièrement ; ou bien, s’ils ont besoin d’un service particulier, ils s’abaissent eux-mêmes jusqu’à adopter tous les comportements qui les feraient passer pour des proches, puis, une fois leur but atteint, ils se comportent comme des étrangers ».

Cette proximité fallacieuse, cet accord factice sont au cœur de la démagogie. Celle-ci semble rendre la démocratie soudain proche de tout un chacun, l’incarnant en des principes qui ne sont plus abstraits. Au fil conducteur conceptuel se substitue un maillage affectif, tissé de promesses et de bonnes intentions. L’opinion publique se sent alors détentrice d’une légitimité qui supplante celle des acteurs institutionnels ; ce faisant, elle ouvre la voie à d’autres acteurs que sont les groupes de pression, arguant de leur connaissance sur mesure d’un dossier, afin de se faire valoir en le faisant avancer. La démagogie fait le lit d’une technocratie qui ne s’avoue pas comme telle.