Suède : vie politique depuis 1907

Olof Palme
Olof Palme

La constitution d'un « modèle suédois »

Le xxe siècle est marqué en Suède par une succession de gouvernements sociaux-démocrates à l'origine d'un État providence puissant puis par la lente remise en cause de ce « modèle suédois » que la crise économique menace. Sur le plan extérieur, la Suède tient à conserver sa neutralité politique du début du siècle tout en s'intégrant de plus en plus dans les institutions internationales.

1. Les sociaux-démocrates et la construction d'un État providence

Au xixe siècle, une longue période de paix favorise les classes moyennes. La population s'accroît, l'agriculture se modernise, le revenu national quintuple entre 1860 et 1925. Mais un prolétariat rural se crée, et un million de personnes émigrent en Amérique de 1850 à 1920, surtout lors de la crise économique de 1880-1890.

En 1907, alors que l’extension du suffrage est au cœur du débat politique, Gustave V devient roi. Les premières années de ce long règne (43 ans) sont marquées par la dernière intervention d’un monarque dans la vie politique (crise ministérielle de 1914 à la suite d’un désaccord entre le roi et le Premier ministre sur la question du réarmement) et par la consolidation du régime parlementaire et démocratique.

Succédant en 1906 au libéral Karl Staaff, dont l’un des grands projets est le suffrage universel, c’est finalement le conservateur Arvid Lindmann qui parvient à faire adopter en 1907-1909 cet élargissement (pour les hommes et sous certaines conditions) après de difficiles discussions qui conduisent à un compromis satisfaisant pour les deux chambres et pour les représentants les plus rétifs à cette démocratisation.

Malgré les résistances, le parti social-démocrate – qui remporte autour de 28 % des voix aux élections de 1911 derrière les partis libéral (40 %) et conservateur (30 %) – obtient d’importantes réformes sociales telles que l’assurance vieillesse en 1913 et la journée de huit heures en 1919.

1.1. La social-démocratie au pouvoir

Conduit par Hjalmar Branting depuis 1907 et grâce à l'appui des syndicats, le parti social-démocrate devient dès 1917 le premier parti du pays au Riksdag. À l'issue des élections de 1920, Gustav V confie alors à son représentant la direction d'un gouvernement homogène. Les gouvernements socialistes se succèdent jusqu'en 1926, mettant en œuvre de nombreuses réformes sociales outre le vote des femmes, effectif aux élections de 1921. Après le premier gouvernement centriste du libéral (dissident) Carl Gustaf Ekman, le parti conservateur revient au pouvoir en 1928, mais la crise économique de 1929 ramène les sociaux-démocrates au gouvernement en 1932. Ceux-ci vont conserver le pouvoir jusqu'en 1976.

Hjalmar Branting et ses successeurs s'occupent alors de la prévoyance sociale et du chômage. Le nombre de chômeurs tombe de 190 000 à 10 000 de 1933 à 1937. Les différences sociales sont réduites, et le niveau de vie de la population devient l'un des plus élevés du monde. En 1945, après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le cabinet de coalition érigé pendant la guerre démissionne pour laisser la place aux sociaux-démocrates. Avec à leur tête Per Albin Hansson (1932-1946) puis Tage Erlander en 1946, ils multiplient les réformes tout en respectant les institutions monarchiques (Gustave VI Adolphe succède à son père, Gustave V, en 1950) et en sauvegardant la sécurité nationale ainsi que l'entente scandinave.

En avril 1958, le gouvernement Tage Erlander tombe, à la suite de désaccords internes au parti concernant le régime des retraites. Les élections de juin le ramènent au pouvoir, et le Riksdag approuve son programme sur les retraites le 14 mai 1959. Les élections de 1960 et de 1968 se caractérisent par une nouvelle victoire des sociaux-démocrates. Tage Erlander se retire de la vie politique en 1969 et fait élire à la tête du parti social-démocrate et du gouvernement son secrétaire particulier, Olof Palme. Celui-ci propose rapidement plusieurs mesures, dont l'utilisation de la fiscalité pour réduire les écarts entre les revenus, la démocratisation de l'enseignement et la modification de la législation concernant la famille et les femmes.

Aux élections de septembre 1970, les partis d'opposition progressent. Les sociaux-démocrates, avec 45,3 % des suffrages exprimés, ne détiennent plus la majorité au Riksdag, mais les 17 députés communistes les soutiennent. Devant la poursuite de l'inflation et du déficit de la balance des paiements, Olof Palme fait accepter, en janvier 1971, un budget d'austérité, et les sociaux-démocrates régressent encore aux élections de 1973. Olof Palme reste néanmoins à la tête du gouvernement. Une révision de la Constitution a réorganisé en 1971 la législature en une seule chambre et a réformé le système électoral. Plutôt que de dissoudre le Riksdag, qui paraît ingouvernable en raison de la parité des voix de droite et de gauche, Olof Palme cherche la conciliation avec l'opposition. Peu après le scrutin, Charles XVI Gustave succède à son grand-père, Gustave VI Adolphe, décédé. En 1975, une nouvelle Constitution supprime les derniers pouvoirs du roi.

La crise économique de 1974 et 1975 entraîne une montée du chômage, des taux d'inflation, de la dette extérieure et du déficit budgétaire. Les conservateurs préconisent une limitation des impôts et des services sociaux, tandis que les centristes luttent contre la mise en service du programme nucléaire. Les élections de 1976 mettent fin à 44 ans de pouvoir social-démocrate.

Pour en savoir plus, voir l'article social-démocratie scandinave.

1.2. La remise en cause du « modèle suédois »

Une coalition de centristes, conservateurs et libéraux se met en place. C'est en fait sur un « programme vert » (antinucléaire) que Thorbjörn Fälldin bat Olof Palme. Il mène une politique d'austérité pour réduire l'inflation et encourager les produits à l'exportation. Mais une crise gouvernementale, née du débat nucléaire, amène le libéral Ola Ullsten à la tête du cabinet. En 1979, Thorbjörn Fälldin redevient chef du gouvernement, et le programme nucléaire est gelé jusqu'au référendum de mars 1980, qui se prononce à 58,1 % en faveur de la construction de réacteurs nucléaires.

En 1980 a lieu le plus important conflit du travail depuis la guerre, concernant les conventions collectives ; des grèves affectent plus de 2 millions de personnes. De retour au pouvoir, les sociaux-démocrates, confrontés à la crise internationale, déçoivent leurs électeurs par leur politique d'austérité, par l'abandon des principes fondamentaux du parti et par l'effacement des idéaux devant le pragmatisme. La Suède sort de la stagnation, mais la poursuite de la politique de rigueur suscite un mécontentement croissant (grève des fonctionnaires en mai 1985). Ce malaise est aggravé par l'assassinat d'Olof Palme en 1986. Il est remplacé à la tête du parti social-démocrate et du gouvernement par Ingvar Carlsson.

À partir de 1987, les problèmes d'environnement, posés par le programme de l'énergie nucléaire, restent non résolus et ont pour conséquence l'entrée des Verts au Riksdag en 1988. Les sociaux-démocrates remportent une majorité confortable à ces élections, mais Ingvar Carlsson est contraint par le Riksdag de modifier son plan d'austérité.

En octobre 1991, après la défaite des socialistes aux élections législatives, le conservateur Carl Bildt accepte de former un gouvernement minoritaire de centre droit. Afin de relancer l'économie, les mesures libérales envisagées remettent en cause le « modèle suédois » : diminution de la pression fiscale, privatisations, diminution des dépenses publiques. En 1992, le gouvernement et l'opposition s'accordent sur la mise en œuvre d'un plan d'austérité draconien.

Mais les sociaux-démocrates retrouvent le pouvoir dès 1994 (formation d'un gouvernement minoritaire, composé pour moitié de femmes). En 1996, Ingvar lsson démissionne. Göran Persson le remplace et mène une politique de diminution des dépenses publiques. Malgré un équilibre économique retrouvé, sa politique est désapprouvée lors des élections législatives de septembre 1998, et il est contraint de former un gouvernement minoritaire soutenu par le parti de la Gauche et les Verts. Les électeurs ont sanctionné sa politique d'austérité, qui a diminué les prestations sociales sans résorber le chômage.

À l'issue des élections législatives de 2002, remportées par les sociaux-démocrates, Göran Persson doit à nouveau former un gouvernement minoritaire avec le soutien de ses précédents alliés, le parti de la Gauche et celui des Verts. Le rejet de la monnaie unique par ces derniers et par les électeurs constitue, en septembre 2003, un sérieux camouflet pour le Premier ministre. En dépit d'une conjoncture économique favorable et de l'allocation de millions de couronnes aux mesures de création d'emploi, son gouvernement ne parvient pas à maîtriser le chômage.

1.3. Le retour des conservateurs (2006-2014)

Regroupés au sein de l'Alliance – une plate-forme commune formée depuis 2004 à l'initiative du président du parti conservateur, Fredrik Reinfeldt –, les conservateurs (« Nouveaux modérés »), leurs alliés libéraux, centristes et chrétiens-démocrates, remportent les élections législatives de septembre 2006, au terme d'une campagne centrée sur le thème de l'emploi. Élu par le Parlement au poste de Premier ministre en octobre, F. Reinfeldt succède à G. Persson. Subissant à partir de la fin 2008 les effets de la crise financière et économique (récession de - 5,8 % en 2009 ; augmentation du taux de chômage passé entre 8 % et 9 % contre environ 6 % dans les années précédentes), le pays renoue avec la croissance et l’emploi au cours de l’année 2010. Sans remettre en cause le modèle de protection sociale tout en réduisant les impôts, la coalition de centre droit parvient – résultat inédit – à remporter les élections pour une seconde fois consécutive en septembre 2010 avec une progression sensible des conservateurs (+ 3,8 %), qui obtiennent 30 % des suffrages et 107 sièges. Il lui manque toutefois 2 sièges pour atteindre la majorité absolue au Parlement, alors que le parti d’extrême droite des « Démocrates de Suède », dirigé depuis 2005 par le jeune Jimmie Åkesson, y entre pour la première fois avec 5,7 % des suffrages et 20 députés après une campagne axée sur la réduction de l’immigration. Quant aux sociaux-démocrates, s’ils conservent leur rang de premier parti avec 112 députés, ils subissent une défaite cuisante avec 30,6 % des voix, leur plus faible score depuis 1914. Excluant toute alliance avec l’extrême droite et comptant sur le soutien occasionnel de l’opposition dont les Verts (qui refusent d’entrer dans la coalition au pouvoir), F. Reinfeldt forme un gouvernement minoritaire en octobre. La coalition poursuit sa politique visant à concilier la préservation des prestations sociales, le retour à l’équilibre budgétaire et la compétitivité des entreprises. La nécessité des réformes structurelles, adoptées depuis 2006, dont celle de l’assurance chômage entrée en vigueur en 2007, est réaffirmée.

L’économie suédoise résiste relativement bien à la dégradation de la conjoncture en Europe comme en témoigne la croissance du PIB (1,6 % en 2013). Cependant, malgré les dispositifs d’incitation introduits par la politique de l’emploi (durcissement des conditions d’indemnisation, crédit d’impôt sur les revenus du travail…) et une légère décrue, le chômage persiste (autour de 8 % et de 16 % parmi les jeunes de 18 à 24 ans) tandis que se creusent les inégalités.

1.4. L’étroite victoire des sociaux-démocrates et la percée de l’extrême droite

Ce bilan en demi-teinte, les failles dans la politique d’intégration des réfugiés et immigrés (révélées notamment par des émeutes inédites dans la banlieue de Stockholm en mai 2014), ainsi que l’usure du pouvoir contribuent à la défaite du parti modéré et de la coalition sortante aux élections législatives de septembre 2014.

Le recul des conservateurs (23 % des voix et 84 sièges) et de ses alliés a lieu au profit des « Démocrates de Suède » qui obtiennent près de 13 % des voix et 49 représentants. Ayant depuis peu tempéré son discours islamophobe, cette formation continue cependant d’exploiter avec succès le rejet de l’immigration et de la politique d’asile, jugées trop coûteuses ; un sentiment qui reste toujours minoritaire dans l’opinion mais est désormais de plus en plus ouvertement exprimé. En devenant la troisième force politique, ce parti perturbe fortement les équilibres politiques du pays.

Les sociaux-démocrates, qui dénoncent en premier lieu l’échec du gouvernement sortant en matière d’emploi et d’éducation et prônent une rectification de ses mesures d’allègement fiscal, se maintiennent en tête du scrutin, mais ne recueillent que 31 % des suffrages et un seul siège de plus qu’en 2010. Stefan Löfven, ancien syndicaliste devenu leader du parti en 2012, succède à F. Reinfeldt au poste de Premier ministre et forme un cabinet minoritaire avec les Verts le 3 octobre.

Principale destination, parmi les pays scandinaves, des migrants fuyant les conflits du Moyen-Orient (Syrie et Iraq) et d’Afghanistan (plus de 160 000 demandes d’asile en 2015), la Suède révise temporairement sa politique d'ouverture (juillet 2016) à la suite de cette « crise migratoire » : par exemple, pour les réfugiés syriens, le temps de résidence dans le pays est désormais limité à trois ans.

À la veille des élections de septembre 2018, la question des migrants est encore exploitée par l’extrême droite, comme dans de nombreux pays d’Europe. Les Démocrates de Suède progressent ainsi de plus belle en obtenant 62 sièges et 17,5 % des voix, en troisième position derrière les sociaux-démocrates (28,2 % et 100 sièges) et les conservateurs (19,8 % et 70 députés). Les partis de centre-gauche ne devancent ainsi que d’un siège ceux de centre-droit (144 contre 143). Une éventuelle alliance avec l’extrême droite étant écartée et faute d’une solution alternative, c’est finalement le Premier ministre sortant qui est reconduit en janvier 2019, à la tête d’un gouvernement de coalition minoritaire avec les Verts, soutenu très conditionnellement par le parti du Centre et les Libéraux.

2. La politique internationale de la Suède

2.1. De la neutralité à l'engagement circonscrit

En 1914, au début de la Première Guerre mondiale, la Suède se déclare neutre et conclut un accord avec la Norvège et le Danemark pour défendre cette position et protéger les intérêts économiques communs aux États scandinaves. Elle rejoint cependant la Société des Nations (SDN) en 1920. Dès le début des hostilités en 1939 et en dépit de ses sympathies pour la Finlande, le pays proclame à nouveau sa neutralité. L'Allemagne, son principal client et fournisseur, exige cependant le transit de ses convois militaires en 1940 et 1942. De plus, le royaume connaît des incidents fréquents à ses frontières et des attaques allemandes de sa flotte. Il offre cependant ses bons offices et devient un centre de négociations entre belligérants.

La Suède entre à l'ONU en 1946, à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 1948, au Conseil de l'Europe en 1949, au Conseil nordique en 1952, et participe à la fondation de l'Association européenne de libre-échange (AELE) constituée en 1960. Mais, fidèle à son principe de neutralité pendant la guerre froide, elle refuse d'adhérer au pacte de l'Atlantique. Échouant dans ses efforts pour former un bloc de défense scandinave sans liens avec l'Est ou l'Ouest, elle renforce son programme de défense. En avril 1957, elle annonce, avec le Danemark, la Norvège et la Finlande, son intention de financer un institut scandinave pour la recherche atomique à Copenhague. Cependant, la Suède prend position lors de la guerre du Viêt Nam et critique sévèrement les États-Unis au risque de geler leurs relations diplomatiques de 1972 à 1974.

Depuis l'éclatement de l'URSS en 1991, la coopération avec la Russie et le soutien aux pays Baltes figurent parmi les grandes priorités de la politique étrangère suédoise. Faisant de la Charte des Nations unies la seule base légale d'une intervention armée dans un État souverain, la Suède juge légitime – compte tenu des circonstances – l'intervention de l'OTAN au Kosovo et en Serbie en 1999 (quelque 10 000 Suédois participent à des opérations dans les Balkans sous la conduite de l'OTAN) ; en revanche, elle désapprouve l'intervention des États-Unis et de ses alliés en Iraq en 2003. Prenant en compte la nouvelle réalité issue des attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington, la Suède modifie sensiblement la définition de sa politique de sécurité : si l'option de la neutralité est maintenue, celle-ci devient désormais un choix peu probable lors d'une éventuelle agression contre un État membre de l'Union européenne, et elle est exclue dans la lutte contre le terrorisme.

2.2. La Suède et l'Union européenne

À la fin des années 1980, l'adhésion de la Suède à la CEE est relancée, et une solution est recherchée sous une forme compatible avec la neutralité du royaume (une demande officielle d'adhésion est déposée en juillet 1991).

Parallèlement, l'indépendance des pays Baltes et l'éclatement de l'URSS en 1991, qui tendent à faire de nouveau de la Baltique un lieu privilégié d'échanges internationaux, donnent à la Suède la possibilité de jouer un nouveau rôle sur le plan régional. Ainsi, dix pays riverains, dont la Suède, la Russie et l'Allemagne, ont-ils fondé le Conseil baltique en mars 1992.

Lors du référendum de novembre 1994, les Suédois approuvent par 52 % des suffrages l'adhésion de leur pays à l'Union européenne (UE), qui prend effet en janvier 1995. Dès lors la Suède soutient le projet d'élargissement de l'UE aux pays de l'Europe centrale et orientale, y compris les pays Baltes. Observatrice de l'espace Schengen à partir de 1996, elle l'intègre en mars 2001 de même que le Danemark et la Finlande, et, hors UE, l'Islande et la Norvège. Si elle approuve les réformes des méthodes de travail de l'UE instaurées par le traité d'Amsterdam en 1997, son opinion publique demeure hostile à la participation du pays à l'Union économique et monétaire (UEM) et se prononce, en septembre 2003, contre l'adoption de l'euro avec 56,1 % de « non » et 41,8 % de « oui ». Confirmant son désintérêt pour les affaires européennes, une majorité d'électeurs (63 %) boudent les urnes lors des élections européennes de juin 2004 : les souverainistes de droite et de gauche remportent 6 des 16 sièges attribués à la Suède. Cette tendance se renverse toutefois aux élections de juin 2009 avec une augmentation de la participation (45,5 %, le taux le plus élevé depuis l'adhésion de la Suède à l'UE en 1995) et la disparition du parti eurosceptique Junilistan, ce scrutin se distinguant également par le succès des Verts (de 6 % à 11 % des voix, au détriment du parti de Gauche) et d’un « parti des Pirates » (créé en 2006 pour défendre la liberté des internautes), qui, avec plus de 7 % des voix fait élire sa tête de liste, Christian Engström.