Graal

Chrétien de Troyes, le Conte du Graal
Chrétien de Troyes, le Conte du Graal

Nom donné par la tradition romanesque du Moyen Âge à l'objet précieux dont le mystère et la quête orientent l'aventure de quelques chevaliers de la Table ronde, depuis Perceval jusqu'à Galaad.

La quête du Graal

Le Moyen Âge a nommé « Graal » l'objet précieux dont le mystère et la recherche orientent l'aventure des chevaliers de la Table ronde. Le mot, attesté au xie siècle sous sa forme latine gradalis, existe également en provençal (grazal) et se confond souvent avec le terme qui désigne la corbeille où lève la pâte (cratis), la coupe (crater) et même la pierre philosophale.

Au début de la tradition littéraire, dans les romans de Chrétien de Troyes, le Graal est un objet orné de pierres précieuses qu'une jeune fille porte dans un cortège où figurent également des chandeliers, ainsi qu'une lance qui saigne et un tailloir.

La christianisation d'un rite obscur

Le Graal est ainsi promené dans le château d'un monarque étrange, le Roi pêcheur, frappé d'une blessure incurable dans un pays condamné à la stérilité. Perceval, jeune chevalier inexpérimenté, voit se dérouler ce rituel sans poser la question qui libérerait d'un coup la vérité du monde et les forces de la vie. Il apprendra plus tard qu'on apporte ainsi une hostie, seule nourriture du vieux père du roi. Le mystère chrétien prend alors la place du merveilleux celtique. Le Graal devient le calice de la Passion.

Le Haut Livre du Graal ou Perlesvaus, roman en prose du début du xiiie siècle, consacrera la conversion de l'imagination barbare des origines, tout en unissant l'élucidation du désir charnel et le mystère de la Révélation. Mais c'est à Galaad, fils de Lancelot, que sera donné le mot de l'énigme : la coupe présentée comme un nouveau symbole mystique, comme le sujet d'une parabole, dont le sens enfin dévoilé met fin aux aventures terrestres où s'épuise la chevalerie.

La quête du Graal, sous l'influence de saint Bernard et des moines de Cîteaux, s'achève en un antiroman qui invite la chevalerie à abandonner les labyrinthes des prouesses profanes pour la voie droite de l'ascèse spirituelle. La recherche de la contemplation du Graal s'opposera désormais à la conquête de la Dame (ou de la Rose) comme objet du désir chevaleresque.

Les chevaliers de la Table ronde

Les pays de langue celtique ont gardé, pendant tout le haut Moyen Âge, leur unité culturelle. Leurs récits mythologiques survivent, dans les contes et les poèmes musicaux (les lais) du xie siècle, à travers un répertoire d'images fantastiques, de symboles, d'allusions à des coutumes étranges où les monstres et les magiciens interviennent à tout moment dans la vie quotidienne. Les écrivains ont repris et réadapté ces motifs mythiques pour constituer trois grands schémas narratifs, désignés habituellement sous le nom de « légendes » : d'Arthur, de Tristan, du Graal.

Arthur, arbitre de toutes les prouesses

La figure du chef de la résistance des Celtes à la conquête anglo-saxonne s'est trouvée placée dans le double éclairage des traditions de Grande-Bretagne et de la civilisation courtoise de France.

Sa légende, qui repose sur des souvenirs épiques écossais et gallois (conservés dans le Livre rouge d'Hergest, le Livre blanc de Rhydderch et l'Historia Britonum de Nennius), a reçu une forme livresque en 1135 avec l'Historia regum Britanniae de l'évêque gallois Geoffroi de Monmouth. Traduite en 1155 par le clerc normand Wace, cette histoire va servir de point d'ancrage à l'imaginaire de romans qui vont unir une atmosphère magique et surnaturelle, qui caractérise les sagas, aux thèmes de l'amour chevaleresque et de la quête initiatique.

Les personnages vont garder leurs noms bretons, adaptés à la phonétique romane ou germanique : Gween-Hwywar devient Guenièvre, « Blanc Fantôme » ; Gwalclmei, c'est Gauvain, « Faucon mâle » ; Myrddin sera Merlin, « Forteresse de la mer » ; Peredur, « Chaudron d'acier », sera glorifié sous le nom de Perceval ; Lancelot, en gallois Llenlleawc, serait le dernier avatar du dieu solaire Lug, qui donna son nom à Lyon (Lugdunum).

Mais beaucoup d'éléments de ces mythes seront rationalisés et christianisés : le thème de la recherche du chaudron de résurrection et celui de la tête coupée baignant dans son sang sur un plat seront transposés dans la quête du Graal, vase sacré contenant le sang du flanc du Christ percé par la lance du centurion et recueilli par Joseph d'Arimathie.

L'ensemble de ces sources d'inspiration littéraire constitue la « matière de Bretagne », qui se distingue ainsi de la « matière de France » (thème des chansons de geste) et de la « matière de Rome » (les romans à sujet antique).

Arthur apparaît dans tous les récits comme le modèle de la vaillance et de la courtoisie. Il est le suzerain de douze valeureux chevaliers, qui prennent place autour d'une table ronde afin d'éviter les querelles de préséance, mais parmi lesquels se distinguent Lancelot, Yvain et Perceval, animés non seulement par le désir de briller aux yeux de la Dame de leurs pensées, mais aussi par l'aiguillon de la foi mystique.

La mort d'Arthur sera évoquée dans un roman anonyme français (1230), puis dans l'œuvre nostalgique de Thomas Malory (1485). Arthur est blessé à mort par Mordret, ravisseur de son épouse Guenièvre et fils incestueux du roi ; son épée, jetée dans un lac, est saisie par une main mystérieuse qui jaillit de l'eau : dans le glas du monde merveilleux de la Table ronde résonne l'idée lancinante de la faute originelle et de l'inexorable destin.