La conservation du patrimoine s’étend désormais à l’alimentation et à l’héritage de savoir-faire qui la valorise. La France combat la banalisation de la consommation alimentaire imposée par la grande distribution.
Journal de l'année Édition 1990
Gastronomie Écartons l'espoir déraisonnable : nos vins ont connu plusieurs années du siècle. Mais, déjà, 1989 s'annonce comme un somptueux millésime. Constamment chaud, l'été a été favorable à la vigne, qui a bien supporté la sécheresse avec l'aide de pluies modérées. Les vendanges ont été souvent avancées de quinze jours à trois semaines ; la chaptalisation a été partout évitée. Les vins de Loire ont atteint 12 à 14°, le beaujolais 12,5°. Riches, pleins et structurés, les bourgognes blancs ont suscité des enchères passionnées à la 129e vente des Hospices de Beaune. Les bourgognes rouges, charnus, développent déjà des arômes puissants et sont « marqués par un moelleux révélateur des grandes années ». Néanmoins, la faible acidité de ces vins du soleil posera parfois des problèmes.
Journal de l'année Édition 1991
Gastronomie S'inscrivant désormais dans la longue durée chère à Fernand Braudel, deux centenaires vénérables ont reçu des hommages justifiés par leur notoriété : le canard au sang, dont l'exemplaire portant le numéro 749 038 a été découpé le 18 décembre à la Tour d'Argent, et, immuable dans son décor Belle époque, Maxim's, évoqué par le livre Maxim's ou Cent Ans de vie parisienne, publié par Robert Laffont.
Journal de l'année Édition 1992
Gastronomie À l'époque des somptueuses décapotables du début du siècle ou lors des premières migrations de vacances collectives, la Nationale 7 était jalonnée de relais gastronomiques désormais entrés dans l'histoire. L'autoroute, avait-on dit, annonçait la ruine de cette tradition.
Journal de l'année Édition 1993
Gastronomie Alors que le problème des labels et des appellations contrôlées avait surtout mobilisé les professionnels, les rapports de la Commission de Bruxelles proposant de confiner au territoire français les fromages au lait cru ont provoqué un véritable mouvement d'opinion en faveur des spécialités locales ou régionales, entrées dans le patrimoine national au même titre que les lieux de mémoire. Finalement, une directive européenne (juillet 1992) définit des « appellations d'origine protégées » et des « indications géographiques protégées », qui entreront en vigueur en juillet 1993. Cette défense de la qualité et de l'originalité du produit s'est poursuivie en septembre, lors des sixièmes Entretiens de Belley, organisés par la Fondation Brillat-Savarin, sur la question : « L'Europe doit-elle réglementer le goût ? »
Journal de l'année Édition 1994
Gastronomie La valorisation du produit de qualité mérite un combat sans trêve. On doit donc saluer les initiatives prises dans la fausse torpeur de l'été. Deux décrets ont contribué à la sauvegarde du pain et du foie gras. Les terminaux de cuisson qui vendent une baguette dont la croûte s'effrite en copeaux et cache une mie bulleuse, inconsistante et insipide seront désormais identifiables. Le boulanger qui pétrit, façonne et cuit son pain sur place sera le seul à proposer le pain maison. Un autre pain sera digne de considération : le pain de tradition française, qui sera dépourvu de tout additif. Le foie gras a aussi été dépouillé de ses fausses parures. L'appellation est réservée aux préparations composées de foies d'oie ou de canard entiers, d'un ou plusieurs lobes et d'un assaisonnement. Pour se dire truffé, le foie gras devra inclure 3 % de truffe (Tuber melanospermum). Ces garanties devraient être multipliées, d'autant plus que la crise contraint consommateurs et professionnels à s'intéresser à des produits moins coûteux, pour lesquels l'exigence s'accroît.
Journal de l'année Édition 1995
Gastronomie La conservation du patrimoine s'étend désormais à l'alimentation et à l'héritage de savoir-faire qui la valorise. L'AFNOR (Association française de normalisation) participe à cette œuvre de protection en créant une norme agroalimentaire pour les denrées dépourvues de label. Bien que cette dernière soit soumise à des critiques virulentes, la Commission européenne a réagi de manière positive. Elle patronne le projet « Culture, gastronomie, artisanat » : le département de la Manche, le Dorset, le Wexford, la Castille et le Léon ont été subventionnés pour dresser le répertoire de leurs produits gastronomiques artisanaux. Une enquête a aussi été entreprise sur les produits méritant soit l'indication géographique protégée, soit l'appellation d'origine contrôlée. Enfin reconnue, « l'Europe des terroirs » limiterait l'excessive banalisation de la consommation alimentaire imposée par l'industrie et la grande distribution.
Journal de l'année Édition 1996
Gastronomie Le renouvellement des saveurs et des arômes emprunte parfois des cheminements inattendus. Une troisième étoile a été attribuée par Michelin à un marginal chassé des écoles hôtelières et resté à l'écart des circuits classiques de la restauration. Berger des montagnes savoyardes, Marc Veyrat, établi près d'Annecy, à Veyrier-du-Lac, où se détache la façade bleue de l'auberge de l'Eridan, rêve, conçoit, essaie et réussit des compositions où les réductions de bouillons de légumes et les plantes des alpages – achillée, armoise, gentiane, hysope, cumin des prés, mélisse, pimpiolet, serpolet, oseille et safran sauvages – ouvrent la voie à des sensations inattendues. La canette rôtie à l'écorce d'épicéa et au genièvre frais, les écrevisses pochées au pistil de crosne sauvage ou l'omble chevalier au beurre de bouillon de légumes, et près de deux mille plats de la même veine, dépourvus de tout lien de famille avec les autres courants de la cuisine contemporaine, ont assuré la réputation de ce chef qui se définit lui-même comme un « élève de la nature ».
Journal de l'année Édition 1997
Gastronomie Les contraintes financières de la restauration sont apparues dans toute leur ampleur en 1996. Pierre Gagnaire, le trois-étoiles de Saint-Étienne, a déposé son bilan le 29 janvier : le restaurant a fermé le 14 mai. Second coup de tonnerre : le 2 septembre, Marc Veyrat déclare : « Je suis au bord du gouffre », en révélant habilement qu'il tente en vain de renégocier les prêts qui lui ont été accordés lors de son installation à l'Auberge de l'Éridan, sur les rives du lac d'Annecy. Les échéances ont été finalement allégées et échelonnées sur une plus longue période : l'établissement reste solide et rentable. Au contraire, Pierre Gagnaire a dû amorcer une nouvelle carrière à Paris, rue Balzac, le 25 novembre, Saint-Étienne, en période de crise, n'étant plus le lieu idéal pour « le musée vivant des arts de la table », que Gagnaire avait conçu.