Journal de l'année 1er juillet - 31 décembre 1982 1982Éd. 1982

Lettres

Roman

Côté fête et côté foire

Chroniqueur d'une fête ou chroniqueur d'une foire ? Le chroniqueur de la vie littéraire à la petite semaine ou, comme cette fois, à la petite année, voudrait n'avoir à parler que de poésie, d'art et d'intelligence, comme d'une fête, mais la pauvreté du temps et les outrances de l'information ou de la déformation sont si grandes que c'est plutôt à une foire aux talents modérés, aux usurpations sans vergogne que l'on a l'impression de devoir se consacrer.

Les grands prix littéraires

Nobel : Gabriel Garcia Marquez, écrivain colombien (21-X-82).

Grand prix du roman de l'Académie française : Vladimir Volkoff, Le montage (4-XI-82).

Goncourt : Dominique Fernandez, Dans la main de l'ange (15-XI-82).

Renaudot : Georges-Olivier Chateaureynaud, La faculté des songes (15-XI-82).

Femina : Anne Hébert, Les fous de Bassan (22-XI-82).

Médicis : Jean-François Josselin, L enfer et Cie (22-XI-82).

Médicis étranger : Umberto Eco, écrivain italien, Le nom de la rose (22-XI-82).

Interallié : Eric Ollivier, L'orphelin de mer... ou les mémoires de monsieur Non (30-XI-82).

Chateaubriand : Marguerite Castillon du Perron, Charles de Foucauld et pour l'ensemble de son œuvre (30-XI-82).

Grand prix Paul Morand : Henri Pollès, pour l'ensemble de son œuvre (9-XII-82).

Les grands prix nationaux
(22 décembre 1982)

Archéologie : Société préhistorique française

Arts graphiques : Maurice Henry

Chanson : Barbara

Cinéma : Jacques Demy et Jean-Luc Godard

Cirque : Gérard Edon

Danse : Patrick Dupond

Histoire : Pierre Goubert

Lettres : Nathalie Sarraute

Métiers d'art : Claude Durand

Musique : Paul Méfano

Peinture : Martial Raysse

Patrimoine : Raymond Vuylsteke

Photo : André Kertész

Poésie : Aimée Césaire

Sculpture : Jean Tinguely

Théâtre : André Acquart

Grands prix de la ville de Paris
(9 décembre 1982)

Musique : Pierre Boulez

Peinture : Paul Rebeyrolle

Roman historique (prix Sola-Cabiati) : Ivan Cloulas

Théâtre (prix Gérard-Philipe) : Jean-Pierre Bouvier

Essai et critique : Victor-Henri Debidour

Roman : Antoine Blondin

Architecture : Jean Prouvé

Scientifique : Jacques Deny

Technique : Jacques-Philippe Bergé

Chaleur

On pourrait donc s'imaginer un champ de foire à l'ancienne manière, avec ses baraques illuminées par des lampions ou des néons, et leurs musiques tonitruantes, plus ou moins achalandées selon les modes et les astuces publicitaires, rebaptisées aujourd'hui relations publiques. Cela va de la vieille Académie française (maison fondée en 1635, dit une banderole), qui accueille un bon écrivain sérieux comme Pierre Moinot — je veux dire un écrivain dont les livres successifs constituent une œuvre et abritent une réflexion sur la vie et sur le destin de l'homme —, mais qui pourrait demain accueillir un marchand de nougat ou un illusionniste de l'ésotérisme, jusqu'à la piste de l'avant-garde immuable depuis des dizaines d'années avec un Philippe Sollers, disciple invertébré de James Joyce, sacré novateur par les médias dans une telle confusion, qu'un Jean Edern Hallier, pour avoir fait des étincelles sur les autos-tamponneuses, essaie de se faire passer pour un pilote de formule 1.

Des adolescents s'essaient encore au tir ou au jeu de massacre, mais sans toujours éviter le soupçon de tenter de faire parler d'eux pour être engagés dans les grands cirques. D'ailleurs pour ceux-ci l'année n'est pas indifférente.

Entrons dans le plus connu, le Goncourt. L'amour, qui n'osait pas dire son nom il y a quelques décennies, a aujourd'hui le choix des porte-voix, peut-être parce que notre société permissive, en ne lui accordant pas encore l'égalité des droits, tolère et encourage ses revendications, ce qui fait qu'il reste un objet de conflits tragiques.

L'Académie Goncourt, qui a ouvert le chemin de Sodome et de Gomorrhe en couronnant Marcel Proust, vient d'y revenir, il y a deux ans avec Yves Navarre et cette année avec Dominique Fernandez, propagandiste zélé. Dans la main de l'ange est un gros roman, autobiographie fictive du cinéaste Pier Paolo Pasolini, où Dominique Fernandez donne libre cours à ses deux grandes passions, l'amour de l'Italie et l'amour des garçons, ce qui ne va pas sans quelques débordements. Il écrit bien, avec chaleur, et on le lit avec intérêt, mais toutes les occasions lui sont bonnes pour consacrer des pages à Bologne et à son escalope qui unit le jambon, la viande et le fromage, à la peinture du Caravage, à la chute du fascisme, aux scandales de la démocratie chrétienne et à la condition des gigolos italiens, à vingt autres questions qui font un peu perdre de vue la ligne centrale, qui est la glorification et même la sanctification, par l'abjection et le martyre, de la sodomie. Œuvre d'écrivain intelligent et cultivé en tout cas.

Canadien

À la baraque voisine, celle du comité Femina, on nous offre une curiosité devenue banale, un roman canadien. Maria Chapdelaine s'est réchauffée et dessalée depuis le temps. On a même publié cette saison un petit roman, Le dernier été des Indiens, où l'on voit un très jeune Canadien découvrir l'amour dans les bras d'un Indien, bravant la morale chrétienne et le racisme. Les fous de Bassan d'Anne Hébert sont d'étranges oiseaux, une petite colonie de protestants américains fixée en terre canadienne et qui éclate au cours de l'été de 1935, parce qu'un garçon est revenu de Floride chargé d'ardeurs qui enflamment deux très jeunes filles travaillées par la puberté. Le roman est raconté par les monologues des personnages, ce qui ne va pas sans répétitions complaisantes, mais le mystère policier est bien entretenu, les évocations des sentiments et des paysages très fortes. C'est de la peinture de chevalet sans profondeur mais exécutée avec une vigueur qui menace de briser le cadre.