Monnaie

Le dollar impose sa loi sur la scène mondiale

En moyenne à 5,53 F dans les années 70, 4 F début 1980, 7,21 F en novembre 1982, le dollar mérite plus que jamais son sobriquet de monnaie yoyo. Mais que ses variations intempestives résultent d'une politique américaine volontariste ou ne soient que la conséquence des désordres monétaires internationaux, il est clair désormais que, fort ou faible, le dollar impose sa loi sur la scène mondiale. Son pouvoir, mis en cause par ses propres partenaires économiques et commerciaux du clan occidental, est, sinon incontestable, du moins incontesté.

Loin de s'affaiblir, la position de la monnaie américaine dans les échanges internationaux n'a fait en effet que se renforcer depuis la répudiation de l'or en 1971 (le 15 août, le président Nixon annonçait la fin de la convertibilité or de la monnaie américaine. Journal de l'année 1971-72). Selon le professeur de l'université Yale. Robert Triffin, qui fait autorité en matière monétaire, le volume des investissements et des créances brutes des États-Unis sur l'étranger est passé de 100 milliards de dollars à la fin 1969 à 650 milliards de dollars à la fin de l'année 1981. Et le mouvement s'est encore amplifié tout au long de l'année 1982, contribuant à faire du dollar, non plus seulement le plus important des instruments de réserves des banques centrales, ni même du commerce international, mais la principale monnaie de l'endettement international.

Stratégie

À la position de force qu'ils avaient prise au lendemain du deuxième conflit mondial dans le domaine monétaire, en faisant du dollar le substitut naturel de l'or comme instrument de réserve et de paiement, les États-Unis y ont ajouté leur propre faiblesse. Pour mieux assurer leur domination financière, économique et donc politique.

Ce faisant, ils ont exporté tour à tour leur inflation et leur chômage, avant de nous imposer la récession. Mais ils ont aussi perdu la maîtrise de leur propre économie, avec une baisse régulière de compétitivité, un accroissement non moins régulier de leurs charges sociales, le tout conduisant à un endettement excessif de l'État, des collectivités locales et des entreprises. Et c'est la conséquence de ce phénomène qui explique le changement de la stratégie monétaire américaine survenu l'été dernier. Le président Reagan fut élu, en effet, sur un programme visant à remettre de l'ordre dans l'économie. Outre les fausses manœuvres conduisant à une remise en cause fondamentale de ses propres objectifs, il n'y serait pas parvenu sans la mise en œuvre d'une politique monétaire indépendante, entièrement pilotée par le patron du Federal Reserv Board, l'équivalent (avec plus de pouvoirs) de notre gouverneur de la Banque de France.

Pour réduire la hausse des prix due à un excès de la demande, celui-ci avait déjà entrepris, début 1980, une politique de restriction monétaire qui devait faire passer les taux d'intérêts bancaires de 11 % à 21,50 % en six mois. Tombé à 4 F, le dollar remontait alors au-dessus de 5 F, ajoutant, par une hausse de 25 %, les mêmes effets aux autres pays que celui d'un troisième choc pétrolier. Après avoir pleuré sur le dumping exercé par un dollar trop bon marché, les pays industrialisés en venaient à supplier les États-Unis de leur éviter la crise. Quoi qu'on ait dit, ils ont été entendus. L'inflation baissant, autoritairement, les États-Unis ont commencé à faire baisser le loyer de l'argent début 1981. À l'étonnement général, le dollar, non seulement n'a pas baissé, mais n'a pas cessé de progresser depuis. Et pas seulement vis-à-vis du franc français, qui vit passer la monnaie américaine de 5 F à 7,20 F en dix-huit mois, mais de toutes les monnaies.

Après avoir invoqué les événements politiques internationaux, faisant des États-Unis un refuge pour capitaux apeurés, le redressement — à venir — de l'activité économique américaine, puis le différentiel positif subsistant sur les taux d'intérêt américains par rapport au niveau de la hausse des prix, il a fallu se rendre à l'évidence ; le dollar s'envolait pour une seule raison : l'insolvabilité généralisée des pays et des entreprises. Y compris aux États-Unis. Les échéances de remboursement et les intérêts à verser ne pouvaient plus être honorés par un nombre croissant de pays et d'entreprises confrontés tout à la fois à une baisse de leur activité, une réduction de l'inflation et une augmentation de leurs charges d'endettement contractées en dollars.

Craquements

Des craquements sinistres se font alors entendre sur la scène financière internationale. Principalement dans les pays de l'Est, certes, mais également en Amérique centrale, au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique. Les États-Unis y voient plutôt la possibilité d'un renforcement de leur pouvoir. Mais quelques défaillances bancaires aux États-Unis mêmes et les difficultés affichées par un nombre croissant de grandes entreprises incitent les autorités monétaires américaines à relâcher un peu de leurs contraintes tout en obtenant de la Maison-Blanche un peu plus de sérieux dans la gestion budgétaire. Nous sommes à la fin de l'été 1982. Dès les mois d'octobre-novembre, le dollar commence à donner des signes de fatigue. La baisse va s'accélérer ensuite au fur et à mesure de l'augmentation de la création monétaire américaine. Car, loin de revenir sur l'assouplissement entrepris, les États-Unis vont non seulement poursuivre dans cette voie, mais l'accentuer : au plan national et international. Entre-temps, le Mexique, incapable d'honorer ses échéances, fait trembler toutes les banques américaines. S'y ajouteront bientôt les difficultés de l'Argentine, du Venezuela, de la Bolivie et du Brésil.