Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Le cinéma français a été fragilisé en 2003. Peu de grands films à succès, un tassement de la fréquentation d'environ 8 % par rapport à l'année passée, des petites diminutions des parts du cinéma français et la crise des intermittents du spectacle, qui inquiète la profession.

Le journal du cinéma

Raphaël Bassan
Critique de cinéma, revue Europe

L'année 2003 n'a pas été celle des mastodontes mais plutôt un cru où les films de qualité n'ont pas manqué. On note cependant peu de révélations de nouveaux auteurs mais la confirmation de cinéastes matures comme Alain Corneau (Stupeurs et tremblements), Claude Chabrol (la Fleur du mal), Gus Van Sant (Elephant) ou Clint Eastwood (Mystic River). Sans parler de courants, on peut affirmer que les œuvres autour de la jeunesse déboussolée et les films sociaux ont marqué l'année.

Le cinéma français

172 millions d'entrées pour le cinéma français en 2003
Une production française qui fait la part belle aux drames intimistes
Une razzia de césars pour le Pianiste de Roman Polanski

L'année s'ouvre par l'étonnante trilogie de Lucas Belvaux (Un couple épatant, Cavale et Après la vie) qui s'attache au destin de quelques personnages et, en choisissant tel ou tel événement, en tire respectivement une comédie, un thriller et un mélodrame. Le soupçon amoureux, le retour d'un ancien terroriste (proche des Brigades rouges) et la vie intime d'un policier et de sa femme droguée – protagonistes qu'on retrouve dans les trois opus avec des rôles plus ou moins importants – tissent une vision assez dure de la situation sociale et politique en France en ce début de décennie.

Cinéaste remarqué il y a peu, comme Lucas Belvaux, Bruno Dumont (Grand Prix du Jury à Cannes en 1999 pour l'Humanité) élabore, de manière inattendue, avec Twentynine Palms, un film d'angoisse particulièrement troublant avec une écriture cinématographique qu'on croyait peu apte à s'acclimater aux fictions américaines. Fidèle à son style épuré, le réalisateur suit un couple en voiture (un photographe et sa compagne) à travers de vastes étendues désertiques. La femme demeure étrangère, pas seulement en raison de la langue, mais aussi psychologiquement, à l'homme et aux événements. Toutefois, une singulière sensualité les lie jusqu'au moment où un événement imprévisible se produit qui fait basculer les spectateurs dans l'horreur. Le mérite de Dumont, si on le compare à ses collègues américains, c'est de faire surgir de nulle part une angoisse très dense plutôt que de farcir son film d'effets gratuits.

Ancienne documentariste, Julie Bertucelli met en scène, avec Depuis qu'Otar est parti..., une séduisante fable, à cheval entre la France et la Géorgie, ou trois femmes – sa mère, sa sœur et sa nièce – attendent l'hypothétique retour d'Otar (en fait décédé). Il en résulte trois admirables et sensibles portraits de femmes. Après avoir révélé Isild Le Besco avec le moyen-métrage la Puce (1998), Emmanuelle Bercot s'attaque, avec pudeur, à un sujet difficile dans Clément : l'amour d'une femme de trente ans pour un adolescent. La cinéaste évite la plupart des écueils liés au traitement d'un pareil sujet dans un film qui sonne juste. Avec les Corps impatients, de Xavier Giannoli, nous avons une autre approche de la jeunesse que celle qui prévaut dans le cinéma américain (très désespérée comme nous le verrons dans Elephant de Gus Van Sant). Une jeune fille, rôle admirablement tenu par Laura Smet (fille de Nathalie Baye et de Johnny Hallyday), atteinte du cancer, lutte avec désespoir pour conserver l'amour de son compagnon séduit par une amie commune. Un film à la fois tendre et physique. Parallèlement aux travaux réussis de ces jeunes cinéastes, on note, en 2003, le retour de cinéastes confirmés comme Claude Chabrol, Raymond Depardon, Alain Corneau, Patrice Chéreau et Jacques Rivette avec des films très forts.

Dans la Fleur du mal, Chabrol s'attaque encore une fois à la bourgeoisie provinciale. Autour d'Anne (merveilleuse Nathalie Baye), qui mène avec désinvolture et cynisme une campagne électorale, évolue une galerie de personnages peu reluisants. Des tracts anonymes accusant la tante Line d'assassinat jettent le trouble dans la famille qui se défend comme elle peut, jusqu'au dénouement fatal. La Fleur du mal est certainement un des films les plus noirs de Chabrol, un de ceux où il y a le moins de place pour l'espoir. La dernière œuvre d'un vieil homme machiavélique et talentueux.