Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Le pacte de Genève : un plan de paix virtuel pour le Proche-Orient

Le document signé à Genève entre l'Israélien Yossi Beilin et le Palestinien Yasser Abed Rabbo définit, pour la première fois, le cadre détaillé d'une paix possible au Proche-Orient. Mais il souffre d'un handicap de taille : aucun des deux signataires n'est le représentant légal de son peuple.

C'est un étrange document qui a été rendu public, en présence de nombreuses personnalités internationales, le 1er décembre à Genève. Signé quelques semaines plus tôt sur les rives de la mer Morte en Jordanie, le « pacte de Genève » revêt tous les atours d'un plan de paix définitif entre Israël et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). L'accord se fonde sur les « paramètres Clinton » qui avaient présidé aux négociations entre le gouvernement israélien d'Ehoud Barak et l'Autorité palestinienne lors des sommets de Camp David (États-Unis), en juillet 2000, et de Taba (Égypte), en janvier 2001. En une cinquantaine de pages, il entend donner une réponse acceptée par les deux parties aux trois questions les plus délicates du conflit : les frontières entre Israël et un nouvel État palestinien, le statut de Jérusalem et l'avenir des réfugiés.

Jérusalem, capitale de deux États ?

Le texte prévoit la création d'un État palestinien sur la quasi-totalité de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, occupées par Israël depuis la guerre des Six-Jours de 1967. L'État hébreu garderait toutefois quelques gros blocs de colonies en Cisjordanie non loin de la « ligne verte » (marquant le cessez-le-feu de 1949) et autour de Jérusalem, cédant en échange un territoire israélien de superficie équivalente situé le long de la bande de Gaza. Divisée en deux et protégée par une « force multinationale », la ville de Jérusalem deviendrait la capitale des deux États. À Israël la partie ouest, ainsi que le quartier juif de la vieille ville incluant le mur des Lamentations ; à l'État palestinien la partie est, comprenant l'essentiel de la vieille ville et notamment le mont du Temple/esplanade des Mosquées. Sans reconnaître explicitement le « droit au retour » des réfugiés palestiniens, le pacte de Genève propose de leur venir en aide de façon pragmatique. Grâce à la création d'un fonds de compensation, les réfugiés pourraient soit s'installer dans le nouvel État palestinien, soit continuer à habiter dans leur pays de résidence actuel, soit immigrer dans un État tiers demandeur, soit enfin, dans quelques cas isolés et acceptés par Israël, se réinstaller dans leur village d'origine désormais situé en territoire israélien.

Tout a commencé en octobre 2001, lorsqu'un professeur suisse de philosophie, Alexis Keller, invite à Genève les deux principaux négociateurs de Taba : l'Israélien Yossi Beilin, ancien ministre de la Justice, et le Palestinien Yasser Abed Rabbo, ancien ministre de l'Information. Grâce aux facilités diplomatiques octroyées par le gouvernement suisse et aux subsides accordés par son père banquier, Keller arrive à convaincre les deux hommes de reprendre les discussions. Beilin et Abed Rabbo reçoivent bientôt le soutien discret de l'ancien président de la Knesset, Avraham Burg, de l'ex-leader travailliste israélien Amram Mitzna, du ministre palestinien Qadoura Farès, du député palestinien Mohammed Ourani. Les pourparlers durent deux ans.

Timide soutien des États-Unis

La publication de ce plan de paix virtuel intervient à un moment stratégique pour Israël. Au pouvoir depuis février 2001, le Premier ministre Ariel Sharon est de plus en plus critiqué. Plusieurs généraux de Tsahal ont fait connaître leur réprobation de sa méthode forte employée dans les territoires occupés, et l'ancien chef de la Sécurité intérieure, Ami Ayalon, vient lui aussi de publier une proposition de paix. Surtout, ce sont les options à long terme d'Ariel Sharon qui inquiètent. Comme l'a noté l'universitaire américain Tony Judt dans un article publié en octobre dans la New York Review of Books, l'accroissement démographique palestinien rendra les Juifs minoritaires à l'horizon 2010 entre la Méditerranée et le Jourdain. Le gouvernement israélien doit donc choisir : soit il annexe les territoires occupés et Israël devient un État d'apartheid, dans lequel une minorité juive domine la majorité palestinienne ; soit il s'en sépare, et Israël peut rester un État à la fois majoritairement juif et démocratique. Mais il reste encore une troisième option, poursuit Tony Judt : Israël annexe les territoires qu'il souhaite en forçant les Palestiniens à partir, par un « nettoyage ethnique » doux qui placerait durablement l'État hébreu aux marges de la communauté internationale. Telle est la direction que semble avoir prise Ariel Sharon, qui orchestre depuis 2002 la construction d'un « mur de sécurité » en Cisjordanie, appelé à enfermer 80 % de la population palestinienne dans trois enclaves formant 57 % de ce territoire. Parallèlement, Ariel Sharon s'active pour tenter de reprendre des négociations avec le nouveau Premier ministre palestinien Ahmed Qoreï.