Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

L'OMC soigne son image avec les médicaments génériques

Après huit mois de blocage dû en grande partie aux pressions du lobby pharmaceutique américain, les 146 membres de l'OMC ont donné leur accord le 30 août pour l'importation par les pays pauvres de médicaments génériques.

À dix jours de son sommet de Cancún, l'Organisation mondiale du commerce a été soupçonnée de vouloir rehausser son crédit grâce à cet accord qui a d'ailleurs suscité des critiques parmi certaines organisations, en raison des difficultés liées à son application.

Une décision « historique »

Le 30 août, les 146 pays membres de l'OMC tombaient enfin d'accord sur un compromis permettant de débloquer la question de la fourniture de médicaments aux pays pauvres. La dimension humanitaire de cet accord a finalement eu raison de l'obstination du gouvernement des États-Unis qui, sous la pression du puissant lobby d'une industrie pharmaceutique soucieuse de garder l'exclusivité de ses brevets, lui avait fait barrage pendant huit mois. Après la guerre contre l'Irak, la bonne volonté affichée par Washington répondait sans doute aussi à un souci de soigner l'image des États-Unis et de faire pièce aux accusations d'unilatéralisme. Une préoccupation partagée peut-être aussi par l'OMC, à dix jours de son sommet ministériel de Cancún, qui laissait présager d'âpres négociations entre pays riches et pays pauvres. Tels sont du moins les soupçons qu'ont éveillés cet accord chez les détracteurs de l'organisation, qui se demandent s'il ne s'agit pas d'une mesure cosmétique visant à présenter une OMC à visage humain. Ceux-ci n'ont vu qu'une « victoire des firmes pharmaceutiques occidentales » dans une décision qualifiée d'« historique » par le directeur général de l'OMC, le Thaïlandais Supachaï Panitchpakdi et les négociateurs, qui en tirent argument pour justifier la nécessité d'une organisation capable de réguler le commerce international en laissant, lorsqu'il le faut, les intérêts humanitaires prendre le pas sur ceux de la rentabilité économique. En vertu de cet accord, les pays pauvres pourront importer des médicaments génériques pour répondre à des problèmes de santé publique, comme la pandémie de sida. Le principe de cet accord avait été admis dès la conférence de Doha en 2001, y compris par le gouvernement de G.W. Bush. Mais ce dernier avait depuis bloqué ce compromis, en raison des modalités de son application. Il fallait en effet pour mettre en pratique une telle décision, surmonter les obstacles juridiques soulevés par la duplication de ces médicaments, protégés pour la plupart par des brevets qui en interdisent la copie pendant vingt ans.

Sous la pression du sida

Or, l'épidémie de sida continue à décimer les populations dans les pays en développement, singulièrement dans l'Afrique subsaharienne, où vivent 30 des 42 millions de personnes frappées par la maladie dans le monde, et qui ne possèdent aucune des infrastructures industrielles capables de produire les traitements adéquats. Pour répondre à cette demande urgente et vitale, il fallait donc autoriser les pays concernés les mieux à même de les produire, comme le Brésil et l'Inde, à les dupliquer et à les vendre aux pays les plus pauvres à des prix conformes à leurs maigres budgets. Ces pays n'ont en fait pas attendu l'accord de l'OMC pour annoncer la production de médicaments génériques et avaient mis la communauté internationale devant un fait accompli. Désormais, cette menace est levée, puisque, aux termes de l'accord, un pays ayant besoin d'un médicament pourra l'acheter à celui qui en produit le générique et les industriels des pays producteurs seront autorisés à l'exporter chez le pays demandeur sans avoir à demander la permission de la firme détentrice du brevet. Les spécialités médicales concernées sont toutefois strictement définies et les traitements afférents sujets à des réglementations très sourcilleuses. Sensible aux mises en garde de certains groupes pharmaceutiques, le gouvernement américain a ainsi suivi avec vigilance la rédaction du compromis, dont les nuances ont focalisé l'attention de la deuxième partie de la négociation. L'accent a été mis sur la vocation humanitaire de l'accord, les dévolutions de brevets devant se faire « de bonne foi », sans but commercial. Le conditionnement des médicaments concernés a été aussi minutieusement étudié, de telle sorte que les génériques ne puissent être réexportés ou revendus à profit.