Un été meurtrier

La canicule qui a frappé la France pendant la première quinzaine du mois d'août a pris l'allure d'une catastrophe sanitaire, provoquant la mort de plus de 14 000 personnes, pour la plupart des personnes âgées.

Les maladresses des pouvoirs publics face à ce drame national ainsi que le silence du chef de l'État jusqu'à son retour de vacances le 20 août ont été à l'origine d'une grave crise politique, qui s'est amplifiée à mesure que s'alourdissait le bilan des victimes. Après les turbulences sociales du printemps, la crise de la canicule constitue une nouvelle épreuve pour le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, auquel elle ne laissera décidément pas de répit avant une rentrée sociale et politique qui s'annonce agitée.

Une surmortalité estivale...

À chaque été suffit sa peine... Et cette année encore, les conséquences humaines dramatiques des dérèglements climatiques ont fait les gros titres de l'actualité estivale et rempli les rubriques nécrologiques. Après les inondations catastrophiques de l'été 2002, la France et, dans une moindre mesure, plusieurs autres pays d'Europe occidentale ont subi la canicule la plus longue et la plus extrême observée de mémoire de météorologiste et aussi de démographe. Ainsi, selon des chiffres publiés début septembre par des chercheurs de l'Institut national des études démographiques (INED) et de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l'été 2003 est le plus meurtrier depuis 1946, date à laquelle l'Insee a commencé à effectuer des statistiques mensuelles de décès. Au moins 54 070 personnes sont mortes en France en août 2003, contre 40 000 habituellement. Cette surmortalité estivale, dont le décompte macabre a mobilisé tous les services concernés, se concentre sur la première quinzaine du mois d'août, qui a connu des pics de chaleur sans précédent.

Si les agriculteurs ont tout particulièrement souffert de la sécheresse inhabituelle qui s'est abattue depuis le début de l'été sur les campagnes françaises, grillant sur pied les récoltes, c'est l'ensemble de la population qui va ressentir les effets d'une chaleur qui devient caniculaire à partir du 3 août, dépassant à plusieurs reprises la barre des 45 °C et restant très élevée jusqu'au 14 août. Aggravée dans des villes – au nord surtout – peu préparées à ce type de températures par la pollution à l'ozone et par l'absence persistante de vent et de pluie, la chaleur suffocante prend l'allure d'une véritable épidémie, qui touche les catégories les plus vulnérables, personnes âgées, malades et enfants en bas âge.

Tétanisée par un phénomène dont les incidences sanitaires relèguent à l'arrière-plan les enjeux climatologiques, la France tarde à sortir de la torpeur de ces torrides vacances aoûtiennes pour réagir à une situation exceptionnelle, exigeant des solutions d'urgence.

... qui tourne à la crise politique

Et quand la France commence à prendre la mesure de la tragédie, au détour des chiffres annoncés par les pompes funèbres générales faisant état d'une surmortalité catastrophique et des cris d'alarme lancés par les urgentistes incapables de faire face à l'afflux de malades frappés d'hyperthermie, la canicule, en recul, a déjà provoqué une hécatombe dont le bilan se chiffre en milliers de victimes. Illustrant l'impréparation des pouvoirs publics face à cette catastrophe climatique, les images des cadavres, conservés dans des entrepôts ou des camions frigorifiques devenus des succursales des pompes funèbres, alimenteront la controverse sur la gestion des effets de la canicule par le gouvernement, qui tourne vite à la crise politique. Celle-ci ira en s'amplifiant à mesure que le décompte alourdit le bilan des victimes qui, de 1 500 morts annoncés par le ministre de la Santé Jean-François Mattei avant même la fin de l'épisode caniculaire, passe à 5 000, chiffre avancé comme « plausible » le 18 août par le ministre, pour s'établir autour de 11 500 à la fin août. Le gouvernement qui, après les longs mois de tension sociale du printemps, avait dû retarder son départ en vacances pour cause de réforme des retraites, se voyait donc contraint d'anticiper une rentrée politique que l'on prévoyait déjà chaude. Face aux accusations de l'opposition, il voudra jouer la carte de la transparence, tant sur le chiffre des victimes que sur les responsabilités dans la catastrophe sanitaire, qu'une commission d'enquête parlementaire sera chargée de déterminer. Pourtant, tout en reconnaissant certains dysfonctionnements, M. Mattei déclinera toute responsabilité directe, l'information n'étant pas remontée jusqu'à lui. En revanche, le directeur général de la santé, Lucien Abenhaïm démissionnera le 18 août pour stigmatiser les failles d'un système d'alerte dont le cloisonnement entre les services limite l'efficacité. Les tentatives de justification du gouvernement, qui en appelle à la solidarité nationale à l'égard des personnes âgées dont la catastrophe sanitaire a illustré l'état d'abandon dans ces maisons de retraite où la canicule a été particulièrement meurtrière, non plus que les mesures annoncées notamment en faveur des urgentistes pour parer à de nouvelles épreuves, n'ont pu dissiper dans l'opinion le sentiment que les autorités n'ont pas réagi à la mesure du drame. Le gouvernement doit ainsi faire face à une crise de confiance qui n'épargne pas le chef de l'État, dont le pesant silence aux heures les plus graves de la canicule contribuera à faire baisser la cote de popularité. M. Chirac ne s'exprimera publiquement que le 20 août, de retour du Québec où il passait ses vacances. Pourtant, l'ampleur d'un drame qui incite à la décence, le sentiment de culpabilité aussi, qui habite des Français montrés du doigt pour leur indifférence envers leurs aînés auxquels ils seraient prêts, comme le leur demande Jean-Pierre Raffarin, à donner un jour férié au titre de la solidarité, la fatigue, enfin, après un printemps social chaud et un été caniculaire, ont tiédi les ardeurs militantes lors d'une rentrée politique et sociale relativement calme. Mais la canicule n'en a pas moins fragilisé le gouvernement.