Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Les altermondialistes au Larzac

Entre le contre-G8 d'Annemasse et le Forum social européen de Paris-Saint-Denis, la France a connu en 2003 une autre manifestation altermondialiste de taille, rassemblant en août 300 000 militants de tous horizons sur le plateau du Larzac.
Une nouvelle nouvelle gauche est-elle née ?

En France, l'altermondialisme a le vent en poupe. Début juin, il y a eu la grande manifestation d'Annemasse (Haute-Savoie), où environ 100 000 personnes sont venues crier leur rejet du G8 rassemblé non loin de là, à Évian. Début novembre, Paris et Saint-Denis ont accueilli des délégations altermondialistes venues d'Europe entière pour le deuxième Forum social européen, déclinaison continentale du Forum social mondial de Porto Alegre (Brésil). Entre-temps, du 8 au 10 août, ce sont près de 300 000 militants qui se sont rendus à L'Hospitalet-du-Larzac (Aveyron), pour manifester notamment leur défiance vis-à-vis de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), dont une réunion allait se tenir un mois plus tard à Cancún (Mexique).

« On ne touche pas au roquefort »

À l'initiative de ce rassemblement « Larzac 2003 », un réseau d'organisations non gouvernementales comprenant notamment Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'aide au citoyen), G10-Solidaire (confédération de syndicats appartenant à la mouvance SUD : Solidaire, unitaire, démocratique) et surtout la Confédération paysanne, emmenée par son charismatique porte-parole José Bové. Depuis trois décennies, José Bové est une figure de la lutte sociale. Sa condamnation à trois mois de prison ferme, il la doit au démontage d'un restaurant MacDonald's qu'il avait organisé en 1999 à Millau (Aveyron), afin de protester contre la pénalisation douanière, obtenue par les États-Unis, de certains produits agricoles européens, dont le roquefort. Or, sur le plateau du Larzac, « on ne touche pas au roquefort ». Trop d'éleveurs de brebis ont dû se battre pour continuer à en produire alors que l'État menaçait de les exproprier.

C'était il y a trente ans, en 1971, lorsque le ministre de la Défense Michel Debré annonçait à la télévision l'extension de 3 000 à 17 000 hectares du camp militaire du Larzac. Les éleveurs n'ont pas supporté. Les plus irréductibles d'entre eux ont rédigé le « serment des 103 », par lequel ils s'engageaient à ne jamais vendre leur ferme à l'État. Deux ans plus tard, les conjurés recevaient l'aide massive d'une galaxie hétéroclite de 60 000 personnes, qui déferlaient sur le plateau. Chrétiens de gauche « conscientisés », premiers écologistes, jeunes militants gauchistes, ouvriers des usines Lip en grève à Besançon, ou tout simplement francs-tireurs soixante-huitards en mal de nouveaux combats, tous venaient pour forger, avec les paysans locaux de tradition catholique, une étrange alliance de la contestation.

José Bové, tout juste vingt ans, en était. Tout comme il était de la suite des événements sur le Causse : soutien aux indépendantistes kanak, aux militants antinucléaires japonais, aux Palestiniens, aux sandinistes nicaraguayens. Autant de mouvements identitaires auxquels succède, en 2003, la lutte contre la mondialisation libérale des échanges.

« Larzac 2003 »

Mais les 300 000 militants qui se sont agglutinés sur les 100 hectares de champs concédés par des agriculteurs de la Confédération paysanne viennent de tous les horizons et de tous les combats, surtout ceux du printemps social très agité en France. Les syndicalistes qui se sont battus pour le maintien des 37,5 années de cotisation pour les retraites, les professeurs qui ont protesté contre la décentralisation de l'Éducation nationale, les intermittents du spectacle qui s'estiment menacés, tous sont réunis pour exprimer une inquiétude à la fois plus vague et plus vaste. L'OMC est un peu l'épouvantail contre lequel se dressent tous ceux qui se sentent dépossédés de leur souveraineté politique et entraînés vers des horizons libéraux par des instances européennes ou internationales censées être liées aux entreprises multinationales, et sur lesquelles ils n'ont guère de pouvoir de contrôle.