Un été sans festivals

Après dix ans de tentatives avortées pour réformer le statut des intermittents du spectacle, un protocole d'accord qui en modifie le régime voit le jour le 27 juin 2003.
À l'instar du Festival d'Avignon, la plupart des manifestations de l'été sont annulées les unes après les autres.

Le protocole d'accord a été signé par trois organisations patronales (le MEDEF, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, ou CGPME, et l'Union professionnelle artisanale, ou UPA) et trois syndicats, la CFDT, la CFTC et la CGC. La CGT et FO refusant de parapher le texte. Selon le régime des intermittents du cinéma, de l'audiovisuel et du spectacle, le nombre des bénéficiaires a doublé en dix ans. Ainsi, plus de 75 000 personnes ont été indemnisées en 2002 sur un total de 135 000 salariés cotisants. Mais, alors qu'en 2002 les dépenses s'élevaient à 952 millions d'euros, les recettes plafonnaient à 124 millions. Soit un déficit de 828 millions d'euros. Refusant catégoriquement un nouveau statut, qu'ils jugent discriminatoire, des milliers d'intermittents s'organisent, se fédèrent en collectifs et optent pour l'annulation hautement symbolique du Festival d'Avignon le 10 juillet.

Une « erreur de cible »

À l'origine de la mobilisation, le nouveau texte prévoit une réduction de la durée de cotisation permettant d'ouvrir les droits à ce régime spécifique à dix mois pour les techniciens et à dix mois et demi pour les artistes (au lieu de douze précédemment), au cours desquels il leur faudra effectuer le même nombre d'heures de travail qu'auparavant : les fameuses 507 heures. L'autre point sévèrement contesté étant la réduction de la durée d'indemnisation, à huit mois contre douze précédemment.

Côté syndicats, les interprétations divergent et les fossés se creusent. Le conflit entre les négociateurs et les opposants prolonge le scénario du débat sur les retraites. Pour les représentants de la CFTC, ce compromis, quoique imparfait, « a permis de sauver le régime des intermittents ». Ce n'est absolument pas le point de vue de Jean Voirin, secrétaire général de la fédération des syndicats CGT du spectacle (majoritaires dans le spectacle vivant) selon lequel « le rétrécissement des conditions d'entrée va se traduire par l'éviction de 30 % des allocataires ». À son appel, et à peine l'accord signé, le mot d'ordre de la mobilisation est lancé, des manifestations s'improvisent dans toutes les villes et la menace de sévères perturbations plane sur les Festivals d'Aix et d'Avignon.

Les intermittents dénoncent l'« erreur de cible ». En effet, depuis une dizaine d'années, les chaînes de télévisons et les grandes stations radio, mais surtout les productions audiovisuelles privées, ont abusivement sollicité ce statut pour leurs salariés de grille : infractions à la législation des CDD, petits arrangements internes sur le dos de l'UNEDIC en déclarant quinze jours un salarié qui a travaillé le mois. C'est ainsi qu'on trouve des intermittents embauchés depuis vingt ans pour la même chaîne et que des sociétés comme Disney ou Canal + ont dû, dans les années 1990, rendre des comptes et requalifier certains de leurs contrats. La moralisation est en marche sur les grandes chaînes de télévision. Le président de France Télévision, Marc Tessier, s'est engagé à plus de transparence pour 2004 dans un courrier au ministre de Culture, Jean-Jacques Aillagon.

Les regards convergent vers Avignon

En menaçant de faire grève pendant les festivals d'été, les intermittents entendent démontrer qu'ils occupent une place de choix dans la vie économique. La première manifestation touchée est le Festival Montpellier Danse, dont le directeur annonce le 29 juin l'annulation de l'événement, suivi par ses collègues du Festival de Marseille et des Tombées de la nuit de Rennes. Dès lors, tous les regards se tournent vers Avignon, festival le plus emblématique qui doit s'ouvrir le 8 juillet. Le 7, un manifeste, signé par 1 109 réalisateurs, techniciens, comédiens, appelle l'État à sauver le régime des intermittents. Certaines personnalités se distinguent par leur opposition au mouvement, comme Patrice Chéreau qui s'interroge en esthète : « Comment peut-on renoncer à jouer ? Les rues sont envahies par le silence et la mort, comme partout où des festivals ont été annulés. » Finalement après les Francofolies de La Rochelle, les Festivals d'Aix et d'Avignon sont annulés le 10 juillet par leurs responsables. Une première pour Avignon depuis sa création en 1947. À Aix, alors que le rideau retombe sur une Traviata chahutée par des sifflets et des pétards, Stéphane Lissner décide qu'il « n'était pas acceptable de continuer ». En Avignon, ce devait être la journée de l'ouverture du « off », mais dès 17 heures un cortège de plusieurs milliers de personnes défile sous la banderole : « la mort dans l'âme ». Puis vient l'heure de l'assemblée générale, au cours de laquelle 600 artistes et techniciens du « in » se prononcent majoritairement pour la reconduction de la grève. Le 10 juillet, Bernard Faivre d'Arcier reprend le mot d'ordre de la manifestation gréviste, expliquant qu'il clôt le festival « la mort dans l'âme ». Alors que MEDEF et CGT se renvoient la balle des responsabilités, déjà on s'interroge sur la survie des festivals annulés. De son côté, le gouvernement ne fléchit pas. En Avignon, alors que la direction du festival chiffre les pertes à plus de deux millions d'euros, la municipalité s'engage à dégager une subvention exceptionnelle. Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin annonce la mise en place d'un programme national pour la pérennité des festivals et la création d'un Conseil national de l'emploi culturel. Ce que confirme Jacques Chirac dans son discours du 14 juillet : l'accord sera agréé – le 8 août – et appliqué à partir du 1er janvier 2004. Dès septembre, la mobilisation change de ton, privilégiant les actions ponctuelles et ciblées.