Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Corse : la réforme en panne

Consultés par référendum le 6 juillet, les Corses ont rejeté par une courte majorité la réforme proposée par le gouvernement visant à ériger l'île en une collectivité territoriale unique.

« Approuvez-vous les orientations proposées pour modifier l'organisation institutionnelle de la Corse ? » Appelée le 6 juillet à se prononcer sur cette question posée par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, la Corse est ressortie profondément divisée de ce référendum régional, le premier du genre jamais organisé en France, le « non » emportant la faveur des électeurs corses, par 50,98 % des suffrages.

Une bonne mobilisation

Une très courte majorité donc, mais néanmoins lourde de conséquences politiques dans l'île comme à Paris, où la victoire du « non » a surpris la quasi-totalité des acteurs politiques, en porte-à-faux avec un électorat corse qui s'était relativement bien mobilisé (60,52 % de participation) pour rejeter un projet institutionnel se voulant consensuel. Car la réforme des institutions insulaires, en s'inscrivant dans le prolongement du processus de Matignon lancé par le gouvernement précédent dirigé par Lionel Jospin, prétendait rassembler l'ensemble de la classe politique et les citoyens corses autour du principe de la substitution d'une collectivité territoriale unique à l'actuelle région et aux deux départements. Héritant de l'ensemble des ressources et charges des départements existants, la nouvelle entité corse devait être gérée par une direction unifiée, au grand dam des partisans du « non », qui craignaient que la réforme éloigne un peu plus la Corse de la France, et à la satisfaction des partisans du « oui », qui voulaient y voir une reconnaissance de la réalité insulaire corse. Prudent, le texte ne touchait pas à l'organisation de l'État dans l'île, avec ses deux préfets de région siégeant à Ajaccio et à Bastia, les conseillers généraux devant être remplacés par des conseillers territoriaux, chargés d'appliquer, avec les représentants de l'ancienne administration départementale, les orientations de la collectivité unique. Soucieux de remédier au déficit de coordination entre les différents échelons de l'administration dont souffre traditionnellement la Corse, comme l'indiquait l'audit administratif réalisé en juin, qui soulignait aussi la nécessité de réduire les personnels des deux conseils généraux et les risques de clientélisme afférant, le projet présenté par le gouvernement péchait peut-être par excès de prudence, et sans doute surtout par l'ambiguïté et la confusion des interprétations auxquelles il avait donné lieu. Entre les arguments des adversaires de la réforme, qui lui reprochaient, pour les uns de distendre les liens entre l'île et le continent, pour les autres de procéder à un bricolage institutionnel inutile, et les assurances prodiguées par ses auteurs et partisans, qui en soulignaient les progrès sur la voie d'une meilleure intégration de la Corse dans la République ou sur celle de la reconnaissance de sa spécificité politique, les électeurs corses, troublés, ont été manifestement incapables de se faire une opinion plus tranchée. Quelques heures avant le scrutin, l'arrestation spectaculaire d'Yvan Colonna, le tueur présumé du préfet Claude Erignac, et le triomphalisme affiché par Nicolas Sarkozy, promoteur de la réforme et de la politique corse du gouvernement, ont ajouté au trouble, surtout parmi l'électorat nationaliste, déjà réticent à suivre les consignes à voter « oui » de ses dirigeants.

Un échec pour le gouvernement

Le désaveu exprimé dans les urnes sera donc à l'aune d'un consensus qui rassemblait autour de ce projet de réforme la grande majorité des responsables politiques, sur l'île comme sur le continent, de droite comme de gauche. Personnalité phare du gouvernement, Nicolas Sarkozy interprétera la défaite du « oui » comme un « échec personnel » qui vient égratigner une cote de popularité jusque-là au beau fixe. Pour Jean-Pierre Raffarin, dont le gouvernement traverse une période de turbulences sociales, notamment en raison de la réforme de la retraite, qui a dû peser aussi dans le référendum corse, la victoire du « non » constitue aussi un revers qui va au-delà de la question corse. Outre le fait que les électeurs corses ont pu saisir l'occasion de ce vote pour exprimer leur désaccord avec les grandes orientations nationales, c'est sa politique de décentralisation, dont cette consultation constituait la première expérimentation, qui est affectée par ce résultat. J. Chirac n'est pas épargné par la défaite du « oui », qu'il avait désigné comme « la meilleure manière d'affirmer l'attachement des Corses à la France et à la République ». La formulation avait d'ailleurs provoqué un certain malaise parmi les dirigeants nationalistes corses, eux aussi désavoués par leur électorat au lendemain d'un référendum qui donne un coup d'arrêt au processus de Matignon, l'une des rares initiatives de l'ancienne majorité à avoir été approuvée par le nouveau gouvernement. En Corse même, le référendum a conforté un statu quo qui risque d'entraîner à nouveau l'île dans la spirale de la violence et de la répression, si une nouvelle dynamique politique ne vient pas relancer un dialogue moribond. Alors que l'UE s'apprête à accueillir dix nouveaux membres, la Corse a manqué son rendez-vous avec une Europe des régions, où elle aurait trouvé sa place auprès d'autres entités régionales insulaires comme les Baléares, Madère ou la Sardaigne. Et la recrudescence des attentats durant l'été ne crée pas un climat propice au compromis entre Paris et ses habitudes jacobines et des nationalistes corses tentés par le repli identitaire.