Attentats terroristes au Maroc

Épargné jusqu'alors par le terrorisme international, le royaume du Maroc a été frappé de plein fouet, dans la nuit du vendredi 16 au samedi 17 mai, à Casablanca, où une série de cinq attentats ont fait 41 morts et une centaine de blessés.

Les attaques à la bombe et à la voiture piégée ont frappé pour l'essentiel des restaurants, un hôtel, mais aussi un centre culturel juif et le consulat de Belgique de la ville. Une dizaine de kamikazes ont trouvé la mort et trois suspects, tous de nationalité marocaine, ont été arrêtés par la police. Les attentats se sont produits alors que les Marocains vivaient, depuis une semaine, au rythme des festivités organisées à l'occasion de la naissance, le 8 mai, du prince héritier Moulay Al-Hassan, premier fils du roi Mohammed VI. Interrogé sur un éventuel rapport entre les attentats de Casablanca et ceux de Riyad (Arabie saoudite) qui avaient fait 34 morts le 12 mai, selon un bilan saoudien, Moustapha Sahel, le ministre de l'Intérieur, a souligné « la concomitance et la similitude du mode opératoire » entre ces deux séries d'actions. Le ministre a également affirmé que le but visé par les terroristes était de porter atteinte au processus démocratique au Maroc et à son « pluralisme » politique. « Le Maroc ne se laissera pas intimider par ceux qui ont choisi de tuer des innocents », a-t-il ajouté.

Lutter contre « l'obscurantisme »

Le 25 mai, musulmans, juifs, Arabes, Berbères, chrétiens, toutes les communautés marocaines se sont réunies à Casablanca lors d'une manifestation rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes contre le terrorisme. Une manifestation dont les islamistes modérés ont été les grands absents forcés, car accusés par certaines associations d'avoir créé un climat propice à la violence. Ainsi, le parti islamiste Justice et Développement (PJD, opposition) a dû renoncer.

Dans un discours diffusé à la radio et à la télévision le 29 mai, Mohammed VI a déclaré que « l'heure de la vérité avait sonné » pour ceux qui « exploitent la démocratie pour porter atteinte à l'autorité de l'État ». Le roi du Maroc a annoncé « la fin de l'ère du laxisme ». Sans les identifier, le souverain a pris à partie « certains milieux » qui auraient fait « un mauvais usage de la liberté d'opinion » en se cantonnant dans une « opposition systématique aux orientations des pouvoirs publics ». Il a ajouté qu'il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour lutter contre « l'obscurantisme », sans faire dévier le Maroc de sa marche « vers la démocratie et la modernité ». Les effets du discours du roi n'ont pas tardé à se faire sentir. Ainsi, le préfet de police de Casablanca a été remplacé par un militaire, un colonel des compagnies mobiles d'intervention (CMI), l'équivalent des CRS français. Le Parlement a adopté une loi antiterroriste qui renforce la marge de manœuvre des forces de sécurité. La Chambre des représentants l'avait adoptée à la quasi-unanimité quelques jours auparavant. De son côté, la Chambre des conseillers (Sénat) a suivi, avec 89 voix pour et 7 abstentions. Le texte a suscité la critique d'une partie de la société civile, qui le juge liberticide.

Une guerre sans merci contre le terrorisme

Le premier procès lié aux attentats terroristes du 16 mai et qui voyait comparaître 52 membres présumés du groupe intégriste marocain Salafia Jihadia a finalement été ajourné le 21 juillet, peu après son ouverture à Casablanca. La cour a accédé à la requête de la défense, qui réclamait un report pour pouvoir préparer ses plaidoiries. Les inculpés sont poursuivis pour « constitution d'une association criminelle, atteinte à la sécurité intérieure de l'État, sabotage, homicide volontaire, dommage intentionnel causant blessures et invalidité permanente ». Répartis en deux groupes, l'un étant directement impliqué dans les attentats, l'autre ayant planifié des attaques similaires dans des villes telles que Marrakech, Agadir et Essaouira, les prévenus devront être jugés au fur et à mesure par les tribunaux de Casablanca, Rabat, Kenitra et Tanger, sur la base de la nouvelle loi antiterroriste. Depuis les sanglantes attaques du 16 mai, les autorités marocaines ont donc choisi de déclarer une guerre sans merci à l'intégrisme islamiste. Le 12 juillet, la chambre criminelle de Casablanca a condamné à mort dix membres présumés de la Salafia, huit à la prison à perpétuité et treize autres à des peines de prison allant d'un an à vingt ans. Sept autres Marocains ont été condamnés séparément, les 12 et 18 juillet, à dix ans de prison ferme pour appartenance à une « bande criminelle et atteinte à la sécurité de l'État ». À ceux qui seraient tentés de douter de la détermination des autorités marocaines à éradiquer le terrorisme, le ministre de la justice, Mohammed Bouzoubaa, a déclaré que plus de 700 personnes faisaient l'objet, au Maroc, de procédures judiciaires pour implication directe ou indirecte dans les attentats de Casablanca.

Un climat peu propice à la croissance

Les attentats de Casablanca ont mis à mal les prévisions économiques du royaume. Jusqu'au drame, les experts tablaient sur une croissance supérieure à 6 % pour 2003, grâce à des conditions climatiques idéales. Mais, au lendemain des attentats, les autorités marocaines envisageaient une croissance deux fois moindre. Il est vrai que les secteurs du tourisme, de l'artisanat et des transports supportent en premier les conséquences de l'insécurité. On sait aussi que l'impact psychologique sur le moral des investisseurs a des effets dévastateurs sur le fonctionnement de l'économie. Les terroristes ont frappé à un moment où l'économie du royaume paraissait connaître de réelles difficultés. Trente ans après avoir lancé un ambitieux programme de développement industriel, les autorités marocaines ont dû constater son échec. L'absence d'un marché intérieur suffisamment vaste pour que s'y développe une industrie moderne et compétitive aura sonné les espoirs du gouvernement. Plus largement, la croissance économique demeure en deçà de la croissance démographique, au point que de nombreux experts estiment que la pauvreté regagne du terrain. Les autorités marocaines ont d'ailleurs pu vérifier que ces attentats avaient un impact négatif sur la croissance.

Georges de l'Enfernat

Une loi contre le terrorisme

Parmi les principales mesures appelées à figurer dans le Code pénal et destinées à lutter contre le terrorisme – dont la définition reste vague –, on retiendra plus particulièrement l'extension du délai de la garde à vue portée à douze jours (quatre jours renouvelables trois fois) : la possibilité de perquisitionner à toute heure du jour et de la nuit donnée à la police : celle d'intercepter plus facilement qu'auparavant le courrier et les conversations téléphoniques, de violer le secret bancaire : le renforcement des peines encourues.